Critique : Better Call Saul 1.03

Le 25 février 2015 à 14:10  |  ~ 11 minutes de lecture
Que penser de Better Call Saul après trois épisodes ?
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 1.03

~ 11 minutes de lecture
Que penser de Better Call Saul après trois épisodes ?
Par Hopper

Better Call Saul frappe fort. Si les premiers épisodes m’ont laissé un goût d’inachevé, comme si l’ombre de sa grande sœur était toujours présente, c’est avec une grande appréhension que votre serviteur commence le troisième épisode. Il ne passe pas plus de cinq minutes avant que je me retrouve immergé pleinement dans l’histoire. Ça y est, la magie opère. Les mimiques de Bob Odenkirk ne me laissent plus de marbre et je me surprends à sourire parfois à sa poisse et ses maladresses. Le courant passe si bien, que j’oublie Pinkman et White qui m’adressaient un dernier au revoir… Un au revoir et non un adieu ! Pourtant, force est de constater que les avis sont assez partagés, concernant le sobrement intitulé « Nacho ». Personne ne va jusqu’à crier au rejeton illégitime, mais il y a dans l’air une semi-déception ou, du moins, une attente silencieuse, interrompue parfois par le soupir des plus réceptifs à la première salve d’épisodes.


« I'll take an Edible Arrangement as an apology — heavy on the pineapple. »

 

Jimmy McGill en plein questionnement métaphysique.

 

Les scénaristes méritent cinq ananas chacun. C’est avec une grande maestria que Vince Gilligan et Peter Gould emploient leur savoir-faire accumulé en matière de storytelling. Leur credo « petites actions, grandes conséquences » nous est asséné à nouveau. Cette ficelle n’est pas sans rappeler la théorie du chaos et la célèbre métaphore qui en découle. Le battement d'aile d'un papillon aujourd'hui à Pékin engendrerait dans l'air suffisamment de remous pour influencer l'ordre des choses et provoquer une tempête le mois suivant à New York. Ce n’est pas par hasard que le dernier épisode de la saison 2 de Breaking Bad est nommé « Effet papillon ».

Et c'est ce qui se passe. En deux appels seulement qui partaient pourtant d’une bonne intention, Jimmy se retrouve dans le collimateur de tout le monde : l'avocate Kim Wexler, la police, Nacho (le nain chaud) et indirectement Mike. En effet, la famille Kettleman disparaît après avoir été prévenue par Jimmy d’un potentiel danger. Puis, Nacho est arrêté (un voisin a relevé sa plaque d’immatriculation) et il en vient à suspecter Jimmy de l’avoir livré. Il le menace même de mort, s’il échoue à trouver une solution. D’aucuns parlent de tension zéro. Après tout, qui ne connaît pas à l’avance le sort du futur Saul Goodman ? (Le pilote vend dès le début la mèche aux nouveaux venus.)

Vince Gilligan affirmait d’ailleurs « que les meilleures compositions musicales sont celles qui vous surprennent par moments, mais qui, dans d’autres, vous donnent l’impression de savoir dans quel sens vous vous dirigez », ajoutant que la satisfaction du spectateur résulte de « cette fatalité, de cette inéluctabilité ».

 

Saul en pleine discussion avec son amie, l'avocate Kim.

 

Les scénaristes face à cet état de fait sortent deux cartes. La première est celle du mystère. Pour résumer, il existe trois registres dramatiques : le mystère, le thriller et le suspens. Le mystère correspond à un puzzle qui attend d’être résolu par le protagoniste. Ainsi, on voit dans une bonne partie de l’épisode 3, Jimmy comme un Hercule Poirot du pauvre, à la recherche d'indices, pour mettre au clair cette histoire de disparition. En l’occurrence, la séquence d’investigation dans la maison rappelle le film de Fincher, Gone Girl, avec une montée de tension et une multiplication d’hypothèses qui se valent en crédibilité. Ce côté fin limier fonctionne puisqu'il irrigue de sang frais l’ensemble et permet d’en révéler plus sur le personnage de James McGill. On apprend aussi sur la rivalité qu’il entretient avec son frère. Résultat : les points d’ombre pullulent (mystère, quand tu nous tiens !).

L’intérêt de développer les personnages secondaires apparaît dès lors comme une évidence : si on sait comment finissent Saul et Tuco, mais pas comment ils en arrivent là, on ne sait pas ce qu’il adviendra du frère de Saul et de ses homologues. Et vient la composante, la carte thriller. En cela, Better Call Saul s’oppose à Breaking Bad. Cette dernière en usait : de l’action (type course poursuite), des éruptions de violence, jeu du chat et de la souris (l'affrontement Gus-Walter dans la saison 4). Il est clair que cet héritage se fait toujours ressentir, mais il est tourné dans une optique comique qui contraste avec le sérieux du propos : le rouleau de papier toilette modificateur de voix, la course poursuite, les appels répétés de Jimmy au téléphone public. C’en serait presque de l’autodérision.

 

« Only two things I know about Albuquerque: Bugs Bunny should have taken a left turn there and give me a hundred tries, I'll never be able to spell it. »

 

James et Chuck discutent en prison.

 

Donc, l’épisode est prenant : le cauchemar éveillé du futur Saul Goodman prend aux tripes. Il y a une grande inventivité en termes de situations. « Le ton. Le point de rupture essentiel tient au fait que Saul n’est pas en train de mourir du cancer. Cette réalité affecte le comportement de Walter White, dont la dégradation morale ne vient pas uniquement des circonstances, il a une facette sombre et destructrice. Saul Goodman aime la vie, il a juste un peu de mal à trouver sa place. Le résultat de ses efforts est souvent contestable, mais il est porté par une formidable énergie et il aime ce qu’il fait. » Rappelle Bob Odenkirk.

Certains pourront pester sur la résolution du mystère, mais elle tombe quand même dans le sens. Elle rappelle d’ailleurs l’épisode 3 de la saison 1 des Sopranos « Denial, Anger, Acceptance » (quelle coïncidence) durant lequel Tony reçoit la visite d'un juif qui voudrait qu'on l'aide à régler un problème avec son gendre. Torturé, celui-ci ne cède pas aux menaces et la solution (très simple) est donnée par Hesh, l’ami juif de Tony : menacer un homme de castration est pire que le menacer de mort. « Nobody wants to leave home. » Une leçon de vie ?

Un mot sur les personnages secondaires : si l’apparition de Tuco m’a refroidi sur le coup, les nouvelles têtes arrivent à s’imposer. Les interprètes de Chuck McGill, Kim Wexler et Nacho, en plus de forcer le respect, tiennent tête à l’ami Bob. Leurs personnages gagnent en profondeur : Kim entretient un rapport complice avec Jimmy, comme si cet attachement tenait à leur point commun, celui d’être un peu looser sur les bords. Il sera d'ailleurs intéressant d’assister à leur (hypothétique) collaboration et à leur évolution respective. Une possible rivalité entre les deux ? En tout cas, la future ascension de Jimmy ne peut être sans conséquence. Quant à Nacho, il est plus froid, plus calculateur, moins impulsif qu’un Tuco.

Et puis ça blablate. Le moteur de l’action semble d’ailleurs la parole : la langue de Jimmy provoque le désordre ambiant. Les dialogues sont bien écrits et souvent assez piquants. « I'm busting my nut here every day for 700 a throw, inhaling your BM, which is straight from Satan's bunghole. » Quant à la réalisation, elle abandonne la caméra à l’épaule pour des cadres fixes. Même rengaine pour l’éclairage et la photographie, du grand art ! Mais, la palme revient sans doute à Dave Porter : ses musiques dysharmoniques et stridentes font monter la température. Une forme bien maîtrisée, donc ! Mais, ça ne casse pas non plus trois pattes à un canard (dans le sens où il n’y a pas de véritable surprise ou coup de génie pour l’instant) ! (Je vous renvoie aux plans barrés de Breaking Bad.)

 

Jimmy trouve la tente des Kettleman.

 

Le principal ennemi de Better Call Saul serait la redite. Si la série était sortie avant Breaking Bad, il est certain qu'on aurait loué sa fraîcheur de ton, son dynamisme et son affiliation avec le film Fargo. C’est pourquoi on est en droit d'attendre que la série adopte une approche plus anticonformiste, détourne les attentes du spectateur et trouve son propre style afin d'asseoir sa propre légitimité. En l'état actuel des choses, il nous est impossible de juger si ce triple objectif a été tenu, mais j’avoue que je ressors un peu plus rassuré. Je ne prédis rien : le soufflé peut vite retomber. En tout cas, Vince Gilligan et ses sbires doivent redoubler d’inventivité pour outrepasser les contraintes du spinoff.

J’ai lu une remarque assez intéressante formulée par une rédactrice américaine. Mis à part le fait qu’elle trouve Bryan Cranston hotcharismatique contrairement à Saul, celle-ci pense que la série a peut-être besoin de la mort d’un Krazy 8. (Comme dans le troisième épisode de Breaking Bad.) Par contre, elle ne se plaindrait pas de la mort de Mrs Kettleman. D’accord ! Ensuite, elle décrit Walt comme un protagoniste audacieux, courageux (et chauve). Odenkirk pourrait difficilement atteindre un tel niveau de charisme ou de classe parce que ce n’est pas dans la nature de Saul. Selon elle, ce qui manque à la série, c’est un Jesse Pinkman, un électron libre, un pétard, quelqu’un d’imprévisible. Seulement le problème est que tous les personnages, sauf Mike et Tuco, ne font pas partie de l’univers de Breaking Bad. J’apporte un ajout à la remarque : il est évident que Breaking Bad était plus universel et plus dramatique dans ses enjeux. L’importance de famille, le cancer, un entourage assez protecteur, etc. Walt avait de lourdes responsabilités sur ses épaules, des proches sur qui compter...

 

Jimmy McGill au téléphone public.

 

 

Concluons. Better Call Saul est donc un joyau d’écriture. Il est évident que les spectateurs ont été plus réceptifs au raz-de-marée de la saison 5 que celui de la saison 1 de Breaking Bad. Mais, ce que je vois pour l’instant, c’est une histoire intimiste du même ordre que les premières tribulations des amis Walter et Jesse. Les mésaventures d’un personnage profondément humain. Le rythme est lent, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il ne se passe rien.

Personnellement, j’ai pris mon pied dans « Nacho ». L’épisode arrivait à varier les plaisirs, en changeant de registres et de types de situation. En tout cas, à mon avis, jusque-là, c’est sans doute le meilleur épisode de la série, car il arrive à se détacher des clins d’œil et des références adressés à sa génitrice. Ensuite, si la facette « honte de la famille » et celle de « Saul “Better Call” Goodman » étaient plus ou moins attendues, il n’en était rien pour James « militant en faveur de la justice et de la vérité » McGill. Sa promenade dans le désert avec la belle musique l’accompagnant met du baume au cœur. Cependant, le mystère demeure entier. Quel format adoptera Better Call Saul ? Du procédural, du feuilletonnant ou bien un mélange hybride des deux ? À voir.

 

« I knew it, I knew it! Finally someone believes me! » - Jimmy McGill

Note de l'épisode 3 : 15/20.

Note de l'épisode 2 : 13,5/20.
Note de l'épisode 1 : 11/20. 

 

P.-S. Je n’arrive toujours pas à me faire au générique. Et petit bisou à Mike, le vieux grincheux !


Gros coup rusé de Saul Goodman.

L'auteur

Commentaires

Avatar Taoby
Taoby
Très très bonne critique de cet épisode. Je ne sais pas si tu sera récurent sur les critiques de la série mais au plaisir de te lire. J'ai beaucoup plus accroché que toi sur les 2 premiers, mais il en faut pour tous. "Certains pourront pester sur la résolution du mystère, mais elle tombe quand même dans le sens. " Tout à fait et puis c'est comme si leur plan était génial quoi. Mais c'est sa simplicité qui lui donne cette complexité.

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Stean
Tout a été dit, très belle critique. Comme d'habitude de ta part.

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Galax
Jolie critique. Evidemment pour moi tu es trop gentil. La façon qu'a la série de se servir du comique pour décrire certaines situations (que tu interprètes comme de l'auto-dérision) personnellement c'est ce qui me gêne car je ne sais pas si je dois prendre la série au sérieux ou pas, du coup. Breaking Bad aussi avait des moments où je me suis pissé dessus (en saison 1) mais c'était selon moi bien mieux intégré, beaucoup plus subtil (remember les restes dissous de Krazy 8 qui tombe du plafond dans l'épisode 3) et ça ne laissait aucun doute sur le vrai but de la série. "" L’intérêt de développer les personnages secondaires apparaît dès lors comme une évidence "" Ah on est complètement d'accord, par contre je ne vois aucun développement pour aucun des personnages secondaires. Ni Kim l'amie sans personnalité, ni Mike qui te balance des punchlines, ni le frère de Jimmy (c'est le plus intéressant du lot mais celui qu'on voit le moins), ni Nacho le gangster classique. Dire qu'ils gagnent en profondeur dans cet épisode franchement je ne comprends pas. Au mieux on commence à se familiariser avec leurs noms (oui je suis méchant) mais le seul vrai personnage de la série à l'heure actuelle c'est Saul et personne d'autre, les autres sont au stade de brouillon avec un peu de potentiel. C'est mon ressenti en tout cas. Je suis d'accord plus avec ce que dit la rédactrice Michelle dans le lien que tu as posté. Autant sur le besoin d'un tournant comme la mort d'un Krazy 8 que sur le besoin de l'apparition d'un Jesse (surtout ça en fait). Et enfin je vois pas comment la série pourrait basculer sur du procédural. Il est clair qu'elle a abandonné cette possibilité dès le deuxième épisode... à voir si elle a fait le bon choix. Le show a les moyens pour devenir très bon mais il en est encore bien loin pour ma part.

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