Critique : Black Mirror 1.02

Le 30 décembre 2011 à 16:06  |  ~ 11 minutes de lecture
Un deuxième épisode intéressant, une plongée dans un univers claustrophobique où l'image devient notre pire ennemi.
Par sephja

Critique : Black Mirror 1.02

~ 11 minutes de lecture
Un deuxième épisode intéressant, une plongée dans un univers claustrophobique où l'image devient notre pire ennemi.
Par sephja

THX 2012 

Dans un univers totalement clos composé d'une multitude d'écrans vit Bing, un homme discret qui jouit d'un certain confort grâce aux douze millions de crédits que son frère lui a légué après sa mort. Chaque jour, il peut ainsi échapper aux nombreuses pages de publicité qu'il doit subir pour différents programmes et pédaler sans s'épuiser pour gagner assez d'argent pour manger et vivre sainement. Jusqu'à ce qu'il rencontre Abi, une jeune femme qu'il va essayer d'aider à sortir du lot, lui cédant toute sa fortune pour participer à un télé-crochet. 

 

Résumé de la critique 

Un épisode intéressant que l'on peut détailler ainsi : 

  •  un univers conceptuel intéressant, mais limité 
  •  des comédiens qui parviennent à exister et à donner une âme à cette histoire 
  •  la victoire du système sur l'être humain 
  •  un concept intéressant, mais trop répétitif 

 

 

Mozart en verres miroirs  

Les habitudes sont difficiles à perdre et une des miennes est que lorsqu'une création me déplait, je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est essentiellement de ma faute. Manque d'ouverture d'esprit, manque de maturité, le temps m'a appris que les oeuvres auxquelles on reste insensible sont le plus souvent le résultat de nos propres lacunes. Bref, j'ai mené quelques recherches supplémentaires sur Black Mirror, suffisamment pour appréhender différemment la série, ce qui explique mon retard pour cette critique. 

La principale qualité de cet épisode est avant tout visuelle, un monde fascinant où les images envahissent la vie privée, transformant une simple chambre en gigantesque écran de télévision. L'immersion est totale, le sentiment d'enfermement fort pour un univers abstrait, jamais localisé ni dans le temps, ni dans l'espace. Le créateur cherchant à produire "la version XXIème siècle de The Twilight Zone", cette volonté d'abstraction paraît assez cohérente et judicieuse, produisant un premier acte vraiment brillant et indéniablement immersif. 

Sur les murs, un univers Orwellien modernisé, où l'humain vit de manière virtuelle, projetant son identité dans un avatar pathétique, spectateur d'un univers où le choix se limite à un simple oui ou non. Tout refus de participer au programme proposé par le système entraine des pénalités financières, obligeant les habitants à fournir un effort pour acheter cette seule et unique liberté. La métaphore sur le monde du travail est assez flagrante, le vélo représentant le labeur forcé qui permet d'acheter de quoi subvenir à ses besoins essentiels, mais aussi si l'effort est assez conséquent, aux désirs facultatifs. 

Si l'univers visuel est épatant, la métaphore est un peu trop évidente, la faute à un scénario qui manque de finesse, enfonçant fréquemment des portes ouvertes. Certes, le monde du travail peut être envisagé sous cette forme, mais comparer le labeur d'une personne à un homme qui pédale sur un vélo renoue avec le cynisme déplaisant du premier épisode. Malgré ses qualités esthétiques, le show atteint vite ses limites avec un univers certes intéressant, mais à qui il manque au premier abord une certaine âme. 

 

Zeitgeist  

Pourtant, il y a un point où cet épisode dépasse largement le précédent, c'est dans la qualité d'interprétation des deux personnages principaux qui parviennent à ne pas se faire dévorer par l'aspect conceptuel du récit. Peu convaincant dans The Fades, Daniel Kaluuya se montre beaucoup plus à son avantage ici, tenant son personnage de bout en bout en laissant jusque dans le dernier acte le doute sur ses intentions. Bing est un garçon introverti, encore traumatisé par la mort de son frère, qui cherche quelque chose qui lui permette de se sentir vivant à nouveau.

L'univers a beau être claustrophobique, les interactions entre individus existent, même si la diffusion régulière de programmes pornographiques obligatoires cherchent à freiner leurs ardeurs. En concevant ce monde comme un immense réseau social, les auteurs s'inscrivent dans une angoisse très contemporaine, mais délaisse malheureusement la publicité qui est pourtant adepte de ce type d'intrusion. Un oubli regrettable pour un monde qui installe un fort sentiment de routine, avant que n'apparaisse Abi, une nouvelle venue qui va attirer l'attention de Bing. 

Pour jouer cette ingénue, les auteurs vont miser sur la charmante Jessica Brown Findlay, dont la carrière semble décoller avec deux apparitions dans Misfits et un rôle récurrent dans Downtown Abbey (sans oublier Labyrinth mais j'en parlerais plus tard en 2012). Bing est aussitôt fasciné par son enthousiasme, sa légèreté, mais surtout par la voix de cette jeune femme pas encore épuisée par des années de vélo et de lassitude. Il fait alors le choix de lui offrir sa chance, lui offrant tous ses crédits contre un billet dorée pour pouvoir assister à une émission de télé-crochet.

Evidemment, le cynisme du show retrouve un terrain idéal avec un jury cruel où l'on retrouve Rupert Everett et Julia Davis, la série retrouvant ce ton cynique et inutilement provocateur qui m'énerve tant. Pourtant la qualité des comédiens est telle que l'on est vite troublé par l'effondrement de cette jeune femme, surtout connaissant le passif de cette comédienne (une blessure à la cheville a détruit sa carrière de danseuse). Ces scènes de face à face avec le jury nous ramène au coeur du show, sur le terrain où s'affronte le système fort de son arrogance et les êtres humains, cherchant à monnayer leur image contre un peu de liberté. 

 

 

Les mailles du réseau 

Thème fétiche de Black Mirror, les séquences de télé réalité permettent de confronter l'héroïne à l'opinion publique par le biais d'une foule d'avatars virtuels attendant avec passion la réaction des juges. Sans faire de cadeau et avec un cynisme cruel, la série s'amuse à briser le mythe de ces télé-crochets, mais s'égare alors dans le règlement de compte simpliste et un poil prévisible. Dès lors, toute cette construction ne semble avoir qu'un seul but, à savoir utiliser des personnages et la sympathie que l'on ressent pour eux pour massacrer les émissions populaires et le sacro-saint jugement du public. 

Le problème est que, par mon âge canonique, je ne suis pas client de ce type de spectacle, ayant évité par manque de temps la mode de la téléréalité. Bref, mon avis va fortement diverger d'un homme moderne  comme CAD et m'empêche de faire une critique vraiment objective de cette série, n'ayant que peu d'expérience de ce type de spectacle. Qu'Abi fasse le choix de se laisser corrompre contre le confort ne me choque pas et me paraît assez réaliste au vu de la naïveté de cette jeune femme. Certes, les utopistes y verront une dénonciation de la victoire du système sur l'être humain, mais ce choix me paraît être avant tout celui de la facilité par des scénaristes qui cherchent un peu trop à provoquer. 

Le système est ici clairement à l'image des hommes et, dans un monde aussi connecté que le nôtre, vouloir briser les mailles du réseau me semblent simplement suicidaires. De ce fait, la conclusion me semble assez positive, montrant un homme qui a su donner un sens à son existence, faisant le choix de devenir un élément de l'inconscient collectif, une icône de plus dans un monde d'images. C'est sur ce point-ci que la série peine à tenir la comparaison avec l'oeuvre de Rod Serling, lequel proposait des conclusions plus sombres et mystérieuses là où Black Mirror verse dans le pur cynisme.

Entre une histoire intrigante et un final qui prend la forme d'une leçon de morale un peu trop basique, le show s'étire inutilement dans une conclusion moyennement convaincante. Mais, comme je l'ai dit ci-dessus, ce point de la critique est bien subjectif et c'est là la force de Black Mirror, être le reflet d'une époque où la technologie a lentement envahit le quotidien, transformant l'image en un bien précieux dont la médiatisation cherche à s'emparer pour en faire un produit comme un autre.

 

Les risques d'une litanie 

La vie de Bing est une routine, rythmée par l'intrusion d'images dans son quotidien, celui-ci n'ayant pas le droit de fermer les yeux pour y échapper sans qu'une alarme ne se mette en marche. L'idée est excellente et la scène où il doit subir le film érotique avec Abi est superbe, créant un vrai changement dans une existence calibrée à l'excès. Seulement, à force de décrire un monde comme une routine, Black Mirror crée un sentiment de répétition gênant, les clips vidéo se ressemblant un peu trop pour éviter la litanie. 

En conclusion, un épisode visuellement superbe, décrivant un univers complexe et fascinant qui donne tout son sens au titre de la série. L'ensemble peut paraître un peu froid et distant dans le ton choisi, mais les comédiens parviennent à faire exister leur personnages, nous permettant d'entrer dans l'univers à la différence du premier épisode. Dommage par contre que le final fasse un peu dans la facilité, choisissant une voie trop facile en décrivant le choix de faire partie du système comme une récupération de l'individu. A sa manière, Bing a su accomplir son deuil  en criant son besoin de vivre, faisant de ce final une conclusion assez optimiste, à l'opposé de l'effet recherché.

 

J'aime : 

  •  l'univers visuel est superbe 
  •  l'idée que le héros ne puisse pas fermer les yeux 
  •  les comédiens sont excellents, avec une préférence pour Jessica Brown Findlay 
  •  l'idée d'un réseau social géant dans un lieu clos 

 

Je n'aime pas : 

  •  la manie d'enfoncer des portes ouvertes 
  •  les clips vidéos qui manquent de variété et la métaphore qui manque de subtilité 

 

Note : 13 / 20 

Un épisode convaincant et intéressant, preuve que la série repose sur une vraie idée, loin des provocations inutiles du premier épisode. Les comédiens excellents, l'univers visuel remarquable sont autant de points positifs pour cet épisode, gâché par un volonté un peu lourde de faire de cette histoire une métaphore du monde réel. Mon opinion personnelle est que l'intrigue se suffisait bien à elle seule, laissant ainsi au spectateur le droit d'interpréter comme il le sent le message derrière l'oeuvre. Un point que Rod Serling et sa Twilight Zone avait particulièrement bien compris.

C'est ma dernière critique de 2011. Je me prends une journée de repos et vous souhaites à tout un bon réveillon et mes meilleurs voeux. On se retrouve en 2012 avec des surprises, plein de nouvelles séries peu connues qui vont vous étonner. Merci à tous et bien évidemment à CAD pour avoir suivi avec moi Dark Mirror  Black Mirror.

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