Critique : Doctor Who (2005) 9.05

Le 24 octobre 2015 à 19:18  |  ~ 17 minutes de lecture
De la complexité de faire simple.
Par Gizmo

Critique : Doctor Who (2005) 9.05

~ 17 minutes de lecture
De la complexité de faire simple.
Par Gizmo

Depuis le début de la saison, Doctor Who ne sait plus où donner de la tête. Mêlant avec habileté les références au passé (la série n'a jamais été aussi référencée) et les perspectives d'avenir, l'ère de Twelve semble désormais avoir trouvé son ton. À ce stade de la saison, après deux two-parters lourds d'enjeux et de péripéties, la saison prend le temps de souffler sous le soleil d'un petit village viking. Mais méfions-nous des apparences, car sous couvert d'une apparente simplicité, The Girl Who Died pourrait avoir bien des choses à nous dire. À mi-chemin entre l'humour et le drame, le loner et le two-parter, la boutade et la mythologie, The Girl Who Died est bien difficile à cerner. Dissection de l'hybride télévisuel...

 

Doctor Who critique 9.05

 

 

Un guerrier pur jus

 

Depuis 2005, la principale question qui anime Doctor Who consiste à savoir si son protagoniste principal est un guerrier ou non. The War Doctor a commis l’irréparable (pensions-nous) en provoquant un double génocide, affectant gravement Nine qui refusait de répéter son acte face aux Daleks dans son unique season finale, quitte à y laisser sa vie. Ten avait composé une armée avec ses Enfants du Temps, Eleven avait poursuivi ce chemin en devenant "The man who can turn an army around at the mention of his name", puis combattu pendant 900 ans sur Trenzalore. Conséquence de toutes ces blessures endurées sur les champs de bataille successifs, Twelve était le Docteur foncièrement opposé à l’action militaire, toujours à la recherche d’une alternative. Le soldat sans arme, si ce n’est le langage.

Reprenant cette thématique centrale de la série, The Girl Who Died fait le pari de l’humour, en dépit de son titre sinistre. Il évoque de nombreux épisodes précédents, tant dans sa forme que dans son fond. Ainsi, dès les premières images, le parallèle avec Robot of Sherwood a frappé bon nombre de spectateurs. Un cadre rustique, des personnages relativement stupides, des robots aussi imposants qu’inutiles et un bad guy qui rit de manière tonitruante et sort ses répliques comme s’il sortait de Power Rangers. Sur le fond, on retrouve aussi de nombreuses similitudes avec la boutade Gatissienne de l’an passé : la force des légendes face au réel, le pouvoir d’écrire une histoire qui traversera les âges par la simple force de sa volonté, la victoire de David contre Goliath…

Bref, si l’épisode semble boiteux avant même de débuter, c’est qu’il ne semble pas prendre comme modèle la meilleure des références. La déception est d’autant plus grande lorsqu’on voit le duo à la barre de cette aventure en apparence innocente : à ma droite, Steven Moffat, l’inépuisable matador de la BBC, aussi décrié qu’adoré par les fans, à ma gauche, le bouillonnant poulain qui cumule deux victoires consécutives à son actif en une seule saison. En voyant cela, on ne pouvait espérer qu’un cocktail explosif.

 

Doctor Who critique 9.05

 


Tiens, voilà du Odin!

 

L’histoire, vous la connaissez. Dans un petit village viking, une jeune fille provoque une race alien, condamnant son village et ses concitoyens. Souhaitant mourir en héros, les vikings refusent de fuir. Heureusement, le Docteur a un plan. Pas vraiment de surprise, tout se déroule comme prévu. Sans trop vous spoiler, le Docteur sauve le village et chasse les vilains aliens, tout le monde rit, les villageois dansent, le Docteur et Clara repartent bras dessus bras dessous. À ce stade, c’est quasiment du Doctor Who 1.01 que nous offrent Mathieson et Moffat, comme s’ils avaient rédigé cette intrigue sur un coin de serviette entre deux pintes et un aller-retour au petit coin. Cet épisode est une blague, une pause ensoleillée déconcertante de simplicité et dont la naïveté confine presque à la bêtise.

Bien évidemment, le point qui fait débat dans cet épisode concerne principalement les ennemis. Odin, sorti tout droit d’une mauvaise boutique de déguisements, se nourrit de la testostérone des vaillants soldats. Un concept…. Déconcertant. Si cet épisode est une farce, sa menace en constitue le point culminant. Le récit n'iconise jamais Odin, ne le rendant ni effrayant, ni intéressant. C'est un bouffon, et le scénario semble totalement assumer ce parti-pris. Et ce ne sont pas les Mire, carcasses de ferraille qui feraient passer les Cybermen pour des acteurs shakespeariens, qui parviennent à relever le niveau.

 

Doctor Who critique 9.05

 

Que ce soit dans leurs motivations, leurs actions ou leur véritable apparence, les Mire ne sont ni originaux, ni intéressants. « Les plus grands guerriers de la galaxie », concept depuis longtemps épuisé sous des formes bien plus intéressantes, comme les Sontariens ou les Ice Warriors. Ces derniers partagent d’ailleurs de nombreux points communs avec les aliens du jour, que ce soit par leur imposante armure ou par la révélation dispensable de leurs visages en CGI.

Odin et sa troupe de joyeux lurons n’ont aucune prestance, ils ne servent qu’à poser les bases de l’intrigue, pour ensuite disparaître durant la majeure partie de l’épisode. Leur humiliation durant la résolution de l’épisode confirme la vacuité totale de cette menace, allant jusqu’à superposer la musique de Benny Hill sur la fuite d’Odin. L’épisode pousserait-il la blagounette trop loin?

 

 

« Showrunners never actually show off ! »

 

The Girl Who Died est un épisode décomplexé durant les trois-quarts de son déroulement. C’est peut-être même l’épisode le plus décomplexé que la série a pu offrir depuis un bon moment, refusant même l'épique du combat final de Robot of Sherwood. Ainsi, tandis que l'épisode déroule son récit, une question taraude le spectateur : Moffat et Mathieson n’auraient-ils pas été trop légers cette fois-ci ? Si de nombreuses qualités sont au rendez-vous, il perdure l’impression que le duo, avec un postulat similaire, aurait pu offrir un produit bien plus abouti. La perspective de voir un épisode de Who explorer la mythologie nordique est pourtant alléchante.

L’épisode est riche de thématiques, de belles répliques, de finesse sous-jacente. Mais par moments, le flacon importe autant que l’ivresse. Moffat et Mathieson ont tout à fait le talent pour offrir un épisode tenu de bout en bout, mais ils prennent le parti de l’humour. Certes. Malheureusement, un bon scénariste doit aussi savoir jouer avec les tonalités de son épisode pour offrir une œuvre riche de nuances. Cet épisode tente trop de faire le grand écart, à tel point que lorsque les enjeux véritables du récit sont révélés (le dilemme moral du Docteur quant à la survie d'un enfant), le spectateur ne se sent pas aussi investi que prévu.

 

Doctor Who critique 9.05


S’ajoute à cela une gestion très bancale du dilemme final : d’où vient le « battlefield medical kit » qui rend Ashildr immortelle ? Pourquoi le Docteur se sent-il si investi par sa perte, alors qu'il n'hésitait pas à sacrifier O'Donnell dans l'épisode précédent ? (Certes, son lien avec O'Donnell était moins fort, et Ashildr est une enfant, mais je reste sceptique devant ces arguments) pourquoi ne pas avoir amené plus tôt les enjeux autour de l'immortalité, à travers des ennemis qui auraient disposé de cette capacité, par exemple ?

Enfin, le contexte dans lequel s’inscrit l’épisode joue aussi beaucoup contre lui. Le titre, tout d’abord, dont je n’explique toujours pas l’utilité. Pourquoi, dans un épisode aussi dénué d’enjeux, spoiler dans le titre le seul véritable rebondissement du récit ? Dans une perspective similaire, le buzz autour du personnage de Maisie Williams et, pour les fans opiniâtres, le visage de Capaldi joue plutôt en défaveur de l’épisode. Ce n’est pas que les réponses apportées sont mauvaises, loin de là, mais plutôt que l’épisode part avec un bagage si imposant qu’il ne peut qu’être déconcertant/décevant une fois le spectateur confronté au projet fini.

Il est d’ailleurs passionnant de voir à quel point le contexte de l’épisode fait écho à l’histoire qu’il nous raconte : un épisode/une race alien à la réputation démesurée confronté à la simplicité désuète d’un village/d’une intrigue qui refuse de se plier à cette guerre d’ambitions. Mais à ce stade, je crois que nous sombrons dans l'affabulation du fan...

 

Doctor Who critique 9.05

 

 

Et la tendresse, bordel ?

 

Si l’épisode n’est pas exempt de défauts sur le plan scénaristique, on ne peut pas lui reprocher de manquer de cœur(s). La doctorisation de Clara se poursuit, elle n’est pas toujours d’une grande finesse, mais a le mérite de s’intégrer sans problème aux épisodes, contrairement à certains autres « arcs » de la série. Ainsi, lors de l’invasion des Mire, Clara pense avant tout à se libérer, quitte à condamner Ashildr et à se condamner elle-même. Les « pulsions suicidaires » de Clara redoublent d’intensité depuis le season premiere, et ne semblent pas vouloir s’arrêter de sitôt. À ce sujet, la saison 9 représente une véritable réussite : au cinquième épisode, il est toujours difficile de savoir où nous mène cette saison et quels éléments seront susceptibles de jouer un rôle à l’avenir.

 

Doctor Who critique 9.05

 

Ainsi, l’évolution de Clara demeure, à ce stade de la saison, moins mécanique que l’an dernier, et son duo avec Twelve semble enfin fonctionner à plein régime. C’est dans ces petits instants, par exemple lorsque le Docteur ne peut pas s’empêcher de la prendre dans ses bras, que la série surprend et réjouit. Cette amitié teintée de respect entre le Docteur et Clara apporte une certaine tendresse à l’épisode qui s’intègre parfaitement à l’épisode et à sa simplicité apparente. En ce sens, The Girl Who Died frappe dans le mille, avec son petit village viking et son beau ciel bleu. On se croirait presque en vacances dans un petit village breton, du côté de Kerjouano.

Ainsi, en dépit de toutes les réserves émises à l’encontre de l’épisode, on s’attache tout de même à cette petite bande de bras cassés, car l’épisode ne force pas trop le trait pour en faire des crétins finis. Bien évidemment, ces personnages demeurent de purs accessoires et seule Ashildr est dotée d’une véritable épaisseur (à tel point que les personnages secondaires ne sont désignés que par les sobriquets ridicules du Docteur). Les échanges avec la jeune fille amorcent aussi quelques pistes intéressantes qui seront plus explorées la semaine prochaine, comme nous l’annonce le plan final.

Un plan final audacieux, légèrement tape-à-l’oeil, qui semble annoncer une évolution intéressante pour le personnage, tout en annonçant des enjeux qui rejoindront ceux de la saison à travers les répliques finales du Docteur. Il faut à présent espérer que Catherine Tregenna saura explorer ce personnage et le guider vers de nouveaux horizons.

 

 Doctor Who critique 9.05

 


Face à face


Eleven était le Docteur du timey-wimey, n’hésitant pas à jouer avec les règles du temps comme un chaton avec une pelote de laine. La saison 8 avait brutalement tranché avec cette ère, nettement moins portée sur les astuces de temporalité que sur le fardeau qu’elles pouvaient représenter pour le Docteur. Est-ce son rôle de décider du cours de l’Histoire pour les humains, de condamner une minorité pour sauver l’humanité, de défier la mort et ses lois inflexibles pour sauver un seul être ? Si à l’époque le dessein global ne m’apparaissait pas encore, cette neuvième saison commence à révéler tous les tenants et aboutissants du Docteur incarné par Capaldi.

Réitérée à plusieurs occasions l’an dernier, et rappelée lors de la conversation avec Davros cette année, la question de la moralité du Docteur n’a finalement pas été résolue avec Death in Heaven. Le Docteur voudrait n’être qu’un idiot, bien entouré, qui essaye de faire de son mieux, mais ce début de saison nous rappelle qu’être un idiot est bien plus difficile qu’on ne le croit.

 

Doctor Who critique 9.05

 

Ainsi, que ce soit à travers la rencontre avec le jeune Davros, le plan diabolique du Fisher King ou ici la perte d’un être humain, le Docteur doit en permanence faire face aux conséquences de ses actes. Il est un voyageur temporel, et de ce fait il provoque des ricochets à travers l’espace et le temps à chacun de ses voyages. Chaque acte a une conséquence, et si Before the Flood nous avait déjà initié à l’idée, The Girl Who Died nous rappelle une fois de plus que les causes et les conséquences sont plus difficiles à dépêtrer qu’on le croit.

 

Doctor Who critique 9.05


La gravité de l’acte final du Docteur aura des conséquences, auxquelles nous assisterons la semaine prochaine. Mais au-delà du prochain épisode, The Girl Who Died nous confronte à de véritables interrogations quant à la pérennité de la série. Combien de temps encore pouvons-nous nous attacher aux dilemmes qui régissent la vie du Seigneur du Temps avant que ces derniers ne deviennent trop lourds à porter, pour le spectateur comme pour le personnage ?

Cette interrogation peut sembler superficielle, mais elle mérite d’être posée. Depuis 2005, le Docteur a subi tant de pertes, a vécu tant d’échecs, de frustrations et de déceptions que chaque nouveau drame ne semble être qu’un clou qu’on enfoncerait sur le couvercle de son cercueil. Avec la perspective prochaine du départ de Clara, et le déchirement qu’il provoquera pour le Docteur (surligné très justement à travers un échange glaçant au milieu de l'épisode), l’endurance du personnage va une fois de plus être mise à rude épreuve. Nul doute que, comme lors du départ des Ponds, le Docteur parviendra à se relever et à repartir aux côtés de nouveaux compagnons. Mais un épisode comme The Girl Who Died nous rappelle finalement que le Docteur est condamné à une souffrance éternelle, lui l’immortel qui refuse d’arrêter sa course, de peur de se regarder dans un miroir et d’avoir à affronter ses actes.

L’évocation de Pompéi, et du sauvetage de Caecilius, résonne ainsi avec beaucoup de justesse au sein d’une saison qui semble vouloir faire le bilan des pertes accumulées par le Docteur. Mais au-delà de ce jeu d’échos savamment mené, c’est aussi la question de la longévité de la série qui est posée. Combien de temps le Docteur peut-il continuer à courir, mourir, perdre ses proches et se relever sans que le spectateur se lasse? Quels nouveaux enjeux peut-on trouver pour un personnage qui a tant vécu, et tant perdu ? The Girl Who Died, sous son apparente simplicité, est un épisode-bilan qui conjugue tous les aspects que peut prendre la série. Tour-à-tour agaçant, brillant, ridicule, profond, simpliste… The Girl Who Died est un miroir tendu à Doctor Who, un reflet dans l’eau.

 

« Who framed me this face? » 51 ans d'histoire, ma belle !  


Doctor Who critique 9.05

 

The Girl Who Died est un petit moment de répit bienvenu, malheureusement pas au niveau des précédents scripts de ces deux scénaristes. Si les dialogues et l'humour sont aux petits oignons, la menace et sa résolution peinent à convaincre. Néanmoins, de nombreuses pistes sont posées pour l'avenir, faisant de ce simple petit épisode ce qui sera sans doute une pièce maîtresse pour le reste de la saison...

 

J’ai aimé :

 

  •  Un épisode (trop ?) léger, qui rompt avec ce début de saison plutôt sombre
  •  Capaldi, impérial, dans le drame ou dans l'humour
  •  La relation Doctor/Clara, enfin harmonieuse et respectueuse, et dont la fin s'annonce déchirante
  •  La construction d'un fil rouge autour de nombreuses thématiques très bien imbriquées dans les épisodes
  •  Un humour qui fonctionne bien sans être trop crétin
  • L'explication du visage de Capaldi, simple, mais qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion

 

Je n’ai pas aimé :

 

  •  Le false Odin et The Mire, triste blague
  •  La résolution de l'épisode, trop vite parachutée et sans réels enjeux
  •  La série rate le coche d'explorer la mythologie viking plus sérieusement, dommage
  •  Le sentiment que Mathieson et Moffat auraient pu offrir plus mémorable

 

Le coin du fan

 

  •  "Reverse the polarity of the neutron flow" est une phrase culte du troisième Docteur, ici tournée en dérision par le douzième Docteur. Elle avait fait sa réapparition dans the Day of the Doctor
  •  Le yoyo était apparu l'an dernier dans Kill the Moon, mais c'est un joujou dont le quatrième Docteur avait déjà usé dès sa première aventure, Robot
  •  La combinaison spatiale du dizième Docteur semble définitivement être adaptée à Clara, qui l'avait portée dans Kill the Moon l'an dernier
  •  Twelve "speaks baby", une langue qu'il n'a pas oubliée, et dont il avait déjà usé sous sa onzième incarnation

 

Ma note : 13/20.

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