Vers la fin des comédies romantiques ?

Le 31 décembre 2014 à 16:32  |  ~ 10 minutes de lecture
Manhattan Love Story, A to Z, Friends With Better Lives : le déclin des "dramédies" ?
Par Charlene2

Vers la fin des comédies romantiques ?

~ 10 minutes de lecture
Manhattan Love Story, A to Z, Friends With Better Lives : le déclin des "dramédies" ?
Par Charlene2

 

 

Il y a quelques semaines, le Hollywood Reporter revenait sur l'état déplorable des comédies diffusées actuellement sur les grands networks américains. Le constat est plus qu'alarmant, plusieurs producteurs exécutifs issus des studios ont parlé d'« état d'urgence ».

Premières victimes de ce déclin : les « dramédies » romantiques, savant mélange de comédie et de romance. Quatre épisodes auront suffi à sceller le sort de Manhattan Love Story. La chaîne américaine ABC a annulé au début du mois d'octobre la série de Jeff Lowell, plombée par de mauvaises critiques et des audiences de plus en plus faibles. Il n'était pas rare qu'un network décide de se séparer d'un programme après seulement une poignée d'épisodes diffusés, mais le procédé est de plus en plus fréquent. Les très prometteuses A to Z, Selfie ou encore Mixology ont rapidement tiré leur révérence avant la fin de l'automne. Alors comment expliquer ce phénomène ?

 

A to Z

 

 

Un manque d'originalité

 


Chaque année, les networks intègrent plus d'une vingtaine de nouvelles séries dans leur grille des programmes. L'offre est massive mais la demande l'est nettement moins. L'originalité a ses limites et les scénaristes engagés sur de nombreux projets souffrent de mimétisme chronique.

Mad Love est l'exemple parfait pour illustrer cette absence de créativité. En 2011, CBS diffuse le soir de la Saint-Valentin le pilote de la série dirigée par Matt Tarses. L'action se déroule à New York (encore) où Ben rencontre Kate au sommet de l’Empire State Building. C'est le coup de foudre. Toutefois, le couple doit composer avec ses deux meilleurs amis. En effet, Connie et Larry se détestent. Mad Love  se présente comme un conte de fées moderne décalé. Toutefois cette sitcom est une pale copie de ce qui se faisait de mieux dans les années 90, voire 80. Pour ce premier épisode, on oscille entre les scènes sirupeuses des deux amoureux et celles qui opposent Larry et Connie, manifestement très attirés l'un par l'autre. L'humour se veut corrosif mais la dynamique ne s'opère pas. Pire encore, les scénaristes, anciens membres du « staff writing » de Scrubs n'hésitent pas à emprunter quelques éléments narratifs à How I Met Your Mother. Le personnage de Ben n'a pas seulement la même coupe de cheveux que Ted mais il partage aussi les mêmes répliques : « I just met the woman of my dream » (Je viens de rencontrer la femme de mes rêves). Sarah Chalke, qui incarne Kate, a joué dans How I Met Your Mother. Larry, le narrateur et tombeur n'arrive pas à la cheville d'un Barney Stinson. Enfin, le bar où se retrouvent nos héros est une lamentable réplique du MacLaren.

 

Mad Love

 


Pour expliquer ce déclin qualitatif, le Hollywood Reporter propose une théorie intéressante : la fuite des cerveaux. Selon le journal, de nombreux scénaristes choisissent de s'associer à de grandes séries tel que Modern Family pour éviter la catastrophe industrielle. Autre point alarmant : les networks préfèrent investir dans la sitcom familiale. En effet, pour la saison 2015/2016, les studios ont pour objectif de remettre en avant les formats multi-caméra. Un choix plus sûr et moins coûteux, même si leur image est moins prestigieuse. “Le business de la comédie ne va pas disparaître. La personne qui sera capable de trouver comment réinventer le genre de la multicam sera en très bonne position cette année”  a annoncé récemment Patrick Moran de chez ABC Studios.

Alors si le manque de créativité et la nonchalance de nombreux scénaristes provoquent depuis peu la chute d'un genre télévisuel populaire, il est important de rappeler que l'avis du téléspectateur est également capable d'entraîner une série hors des grilles de programmation.

 

 

Le téléspectateur, le maître du petit écran

 

 

Par leur construction, les « dramédies » romantiques sont un genre hybride qui peut dérouter une partie du public. En effet, le sériephile fraîchement baptisé recherchant désespérément de l'humour sera gêné par l'introduction d'une romance au cœur de sa série comique préférée. Les personnages qui nous amusaient tant par le passé nous semblent fades, trop mielleux après 5 saisons. C'est d'ailleurs le cas pour Ted Mosby d'How I Met Your Mother. Au début de la sitcom, notre architecte était drôle et attachant, ses maladresses face au sexe opposé nous faisaient sourire. Cependant, cet éternel romantique a fini par lasser le public. J'ose écrire aujourd'hui qu'il y avait peut-être trop de romance. Trop d'émotion. Trop de passion.

Après une longue discussion avec un de mes collègues, sériephile, nous sommes arrivés à cette observation étonnante : la forme des « dramédies » romantiques pourrait être à l'origine de leur propre déclin. Serait-ce le syndrome Clair de Lune ?

 

 

Clair de Lune

 

 

Petit rappel sur cette expression employée ci-dessus. On parle de syndrome Clair de Lune lorsqu'une série voit brusquement son audience chuter dès lors que le couple tant attendu par les spectateurs se forme (Madame est servie, Une nounou d'enfer, Loïs et Clark...). Moonlighting, plus connue sous le nom de Clair de Lune, apparaît sur le petit écran en 1985 sur ABC. L'intrigue repose essentiellement sur la relation ambiguë entre David et Maddie. Nos deux héros ne cessent de se disputer, de se réconcilier et de se disputer à nouveau. Toutefois, cette tension sexuelle est finalement consommée lors de la 3ème saison. Pour plusieurs critiques, cette romance marquera le début du déclin de la série mais elle donnera aussi naissance à ce que l'on appelle aujourd'hui, le syndrome Clair de Lune.

Les romances non avouées/non consommées sont omniprésentes dans les « dramédies » romantiques. Plus encore, elles sont le fondement du genre mais d'une certaine façon ce procédé bride l'évolution des personnages. Mindy fraîchement en couple avec Danny n'est plus la célibataire loufoque de la saison 1 de The Mindy Project. Chandler, membre de l'équipe de Friends perd son côté corrosif auprès de Monica. Il n'existe plus qu'à travers sa relation avec la jeune femme. Toutefois, lorsqu'il est question du traitement du couple Ross/Rachel, Martha Kaufman et son staff font preuve de discernement. Pour ne pas lasser le public, ils décident de séparer Ross de Rachel. Le choix est efficace et permet ainsi au téléspectateur d'assister à des scènes de pur divertissement. A partir de la saison 4, le personnage de David Schwimmer prend une véritable dimension comique. Les déboires sentimentaux de Ross ne nous ont jamais autant amusés. On rit aux éclats lorsqu'il se fait blanchir les dents ou décide de faire des UV pour séduire une femme. Ross nous aurait-il autant distrait s'il avait été en couple durant 10 saisons avec Rachel ? Pas sûr.

 

 

Hollywood, un monde impitoyable

 

 

Le déclin des « dramédies » romantiques ne peut se dissocier du manque de tolérance des grands ponts des Networks. Souvent malmenés par les studios, les créatifs sont parfois obligés de quitter leur propre programme. Souvenez-vous du départ soudain de Dan Harmon, à la tête de la brillante série Community depuis trois ans. Le créateur du programme avait été contraint de quitter ses fonctions de showrunner après avoir été renvoyé de la production de sa propre série par Sony Pictures Television. Son absence lors de la saison 4 avait finit par peser lourdement sur la qualité des épisodes. La mobilisation des fans et l'intervention de Joel McHale, acteur principal du show, ont finalement favorisé son retour. Certes, Dan Harmon n'a pas un caractère facile mais diriger une importante équipe est une tâche difficile. Rappelons aussi que Franck Darabond et Ann Biderman ont également subi le courroux des studios. Ils ont été remerciés après deux saisons passées sur les plateaux de The Walkind Dead et Ray Donovan. Le dépassement de budget aurait été au cœur de leur éviction.

Il n'est pas question de critiquer le travail des Networks, mais chaque secteur à ses failles. Nous devons bien reconnaître que l'industrie hollywoodienne ne ménage jamais ses efforts lorsqu'il est question de divertir le public. Producteurs et scénaristes travaillent chaque année pour proposer aux téléspectateurs le meilleur produit possible. Toutefois, cette recherche de la perfection a un prix : Martin Winckler, spécialiste des séries TV a soulevé le problème dans son ouvrage, Série Télé : De Zorro à Friends, 60 ans de téléfictions américaines. L'auteur décrit les rouages de ce vaste business : « En Amérique, les conditions de diffusion des fictions sont si difficiles que certaines productions, pourtant de grande qualité, ne survivent pas plus d'une ou deux saisons, voire quelques épisodes. Certaines passent totalement inaperçues du public américain car en cas d'échec d'audience, la chaîne peut décider d'éliminer un programme de sa grille avant d'avoir diffusé tous les épisodes déjà prêts ». A ce jour, il est inutile de compter le nombre de séries passées à la trappe. Faisons tout de même un petit clin d’œil à Best Friends Forever, Friends With Better Lives, Free Agents, Bent...

 



En définitive, les studios et les networks sont toujours disposés à trouver la prochaine « dramédie » romantique. L'offre est un gage de leur détermination. The Mindy Project et New Girl sont toujours à l'antenne. Toutefois la déclaration de Sam Armand, spécialiste média, peut laisser présager le pire : « Les comédies ne sont plus considérées comme un rendez-vous télévisuel. Les téléspectateurs ne programment pas leur DVR ou leurs recherches pour des comédies sur les plateformes de VOD de la même manière qu'ils le font pour les dramas ».  Les « dramédies » et les comédies peuvent elles disparaître ?

L'auteur

Commentaires

Avatar alanparish
alanparish
Chouette article, je ne connaissais pas le syndrome Clair de Lune !

Avatar nicknackpadiwak
nicknackpadiwak
après ça reste un canevas super dur à faire varier : il et elle sont fait l'un pour l'autre, malgré les difficultés (et une demi douzaine de saisons), ils finiront ensemble. sinon dans le genre comédie romantique, une qui est bien sympa : Jane The Virgin

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Koss
Bon papier. Ce qui est dramatique surtout, c'est l'impossibilité pour les scénaristes à écrire des personnages en couple qui soient intéressants. Comme tu le dis, dès qu'un perso est en couple, il perd de "sa saveur". Et je rejoinds Nick' sur son constat, les comédies romantiques existent encore mais plus sous le format sitcom : Jane the Virgin et You're the worst;

Avatar alanparish
alanparish
Je suis le seul à penser que Jane the Virgin n'est pas une sitcom ? Format de 40 minutes, pas spécialement de blague. C'est juste un drama non ? C'est vraiment bien You're the Worst ?

Avatar Koss
Koss
Ce n'est pas vraiment un drama. C'est plus un pastiche de telenovela drôle qu'un drama. Mom, c'est bien plus un drama que Jane. You're the worst, j'aime beaucoup, mais je ne sais pas si tu aimerais. Peut-être.

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