Bilan : Major Crimes saison 1 : l'art délicat du spin-off

Le 27 octobre 2012 à 18:47  |  ~ 13 minutes de lecture
Analyse de la création d'un spin-off au travers de la transformation convaincante de The Closer en Major Crimes.
Par sephja

Bilan : Major Crimes saison 1 : l'art délicat du spin-off

~ 13 minutes de lecture
Analyse de la création d'un spin-off au travers de la transformation convaincante de The Closer en Major Crimes.
Par sephja

the closer

 

Spin-off : mode d'emploi

 

Au début, la série s'appelait The Closer, un cop show de la chaine TNT crée par James Duff avec en actrice principale Kira Sedgwick qui devint vite populaire dans le rôle de Brenda, une détective au caractère bien trempé, obtenant même plusieurs Emmys pour sa prestation. Après sept saisons, l'actrice choisit de mettre fin à sa participation à la série, laissant les auteurs dans une situation délicate une situation délicate, obligés de poursuivre sans leur vedette. Trois choix se présentaient alors à eux, trois solutions connues pour garder en vie une franchise lucrative et efficace en générant une série dérivée ou spin-off. 

La première solution consistait à suivre l'exemple de la défunte Profiler, une série des années quatre-vingt-dix qui avait aussi perdu son interprète vedette, Ally Walker, à la fin de la saison trois. Les auteurs l'avaient alors remplacés lors du season premiere par Jamie Lurner tout en conservant la même équipe et le même style, certain que la recette bien rodée saurait survivre au départ de son héroïne. Seulement, le succès ne fut pas au rendez-vous et le show ne survécut pas longtemps, les spectateurs ne parvenant pas à s'attacher à un nouveau personnage assez fade.

La seconde solution consiste à délocaliser la série dans une autre ville avec un nouveau décor, recette bien connue des fans de CSI tant la franchise aura su mettre en place trois versions inégales aux différents recoins des Etats-Unis. Le procédé est intéressant, car il permet de marquer une vraie rupture avec la série mère, mais nécessite de gros moyens financiers dont ne dispose pas une chaine du câble comme TNT. De plus, ses franchises sont le plus souvent l'oeuvre d'une équipe créative sans lien avec l'original, comme ce fut en partie le cas de NCIS LA, donnant le sentiment d'assister à une déclinaison plus qu'à un vrai spin-off.

La troisième solution consiste à promouvoir un personnage déjà connu en lieu et place de l'héroïne, solution qui permet de faire survivre la série encore quelques saisons comme pour The Office (US) ou Primeval. Seulement, cette option a vite entraîné dans les deux cas une lassitude du spectateur pour une nouvelle mythologie fréquemment décevante, menant à une lente érosion des enjeux et, par voie de conséquence, de l'audience. Réussir la mise en place d'un spin-off apparaît alors comme un petit miracle (Frasier et NCIS sont des exemples réussis), engendrant plus souvent le pire que le meilleur... il suffit de regarder Torchwood pour voir toute la difficulté d'un tel projet.

 

major Crimes

 

La prise de pouvoir du Capitaine Raydor 

 

Tout le travail de préparation de Major Crimes aura donc reposé sur le remplacement de Kira Sedgwick, la comédienne ayant laissé le temps aux auteurs de préparer cette transition en prévenant longtemps à l'avance de son envie de partir. L'occasion pour l'équipe créative de construire durant une saison le personnage de Raydor, de souligner sa différence avec Brenda, affichant une autorité froide et calculatrice loin du style plus sanguin de Johnson. Ce changement est le point central qui va donner sa spécificité au spin-off, reprenant ici un principe déjà expérimenté durant les franchises des Law and Order.  

Le changement dans la continuité, voilà ce que cherche les auteurs de Major Crimes, reprenant la recette qui fait durant plus d'une dizaine de saisons le succès des séries de Dick Wolf. Pour incarner ce changement d'orientation, les auteurs ont la bonne idée de faire appel à la comédienne Mary Mc Donnell qui avait déjà fait preuve d'un savant mélange entre fragilité et autorité dans le rôle de la présidente Roslin dans BSG. Dès la première scène, l'équipe créative montre sa volonté de plier la série à sa comédienne, évitant l'erreur commise l'année passée par Criminal Minds : Suspect Behaviour.

Malgré l'immensité de son talent, Forest Whitaker avait été obligé de faire avec un personnage conçu à la va-vite et mal calibré, entrainant l'échec surprise d'une série dérivée qui avait pourtant tout pour réussir. Présente dans The Closer pendant toute une saison, Mary Mc Donnell a eu une saison pour rentrer dans la peau de Raydor et de prendre ses marques et la crédibilité qui lui permet de s'imposer dès les premières minutes  de Major Crimes. Complexe et attachante, Sharon est une femme de caractère qui va porter sur ses épaules cette première saison, la comédienne se montrant particulièrement à son aise. 

Raydor est une femme très froide au premier abord, pour ne pas dire glaciale, qui parvient à supprimer tout l'aspect émotionnel des enquêtes pour se concentrer sur les faits et focaliser le travail de son équipe sur la seule résolution de l'enquête. Un esprit pragmatique qui marque une réelle différence avec Brenda et apporte une remarquable plus-value par l'intensité dont elle fait preuve lors des séquences de négociation. En effet, plus que le changement d'héroïne, c'est la mentalité du LAPD qui change en profondeur, justifiant la nécessité du passage de The Closer à Major Crimes.

 

l'équipe de Major Crime

 

Nouvelle série, nouveau concept 

 

Si Criminal Minds Suspect Behaviour a pris l'eau l'année dernière, c'est aussi à cause de l'absence d'un vrai concept qui vienne donner du sens à l'évolution vers un spin-off qui ne peut pas être une simple copie de l'original. Il est nécessaire de marquer un changement, qu'il soit d'époque (Ashes to Ashes) ou de contexte (Primeval New World) afin que le projet ne ressemble pas à une simple déclinaison à but lucratif. Pour Major Crimes, le changement va concerner les méthodes d'investigations de l'équipe, soumis à de nouveaux impératifs financiers qui changent la donne. 

En effet, la ville de L.A. est touchée de plein fouet par les restrictions budgétaires et les autorités souhaitent que Raydor obtienne des aveux contre un deal, évitant ainsi des frais judiciaires devenus insupportables pour les finances de la Californie. Ce simple argument suffit à mettre à mal la structure habituelle de The Closer qui reposait beaucoup sur la capacité de son héroïne à faire craquer les coupables durant des interrogatoires plus ou moins réussis. Dès les premières minutes, l'assistant-chef Taylor joué par Robert Gossett pose le décor : pas besoin de trouver la preuve décisive qui condamne les coupables, l'important consiste à obtenir un deal qui place le suspect derrière les barreaux, quitte à réduire considérablement la peine. 

Un pragmatisme qui se retrouve dans le style rigide de Raydor, préférant une peine moindre aux risques d'une procédure judiciaire qui peut se retourner contre la Californie en cas d'erreur dans la procédure. C'est donc à une partie de bluff que Major Crimes nous invite le plus souvent, fonctionnement intéressant qui évite l'emploi de l'habituelle preuve irréfutable qui sert à conclure certains copshow, élément narratif aussi peu crédible que fréquemment prévisible. La série marque donc une volonté des scénaristes de faire évoluer le cadre rigide de la série-mère en se donnant la possibilité d'offrir des conclusions en demi-teinte tout en s'assurant que le spectateur conserve la sensation que la justice a été rendue. 

L'art du spin-off est là, dans la capacité à faire évoluer le concept d'une série pour offrir aux spectateurs une nouvelle expérience du fait de rendre la justice, utilisant avec intelligence l'actualité économique des Etats-Unis. Un concept risqué, mais finalement assez payant, offrant des scènes de négociation qui fournissent le plus souvent de bons climax à des intrigues classiques. Le seul épisode à ne pas proposer cette phase de négociation est un season final décevant, intrigue poussive et décevante qui va payer le prix d'une mythologie intéressante, mais mal exploitée. 

 

Raydor et Rusty

 

Une mythologie intrigante, mais très inégale

 

Pour montrer toute la subtilité du personnage de Raydor, les scénaristes se devaient de contrebalancer son apparente froideur en montrant une face plus humaine de sa personnalité. Le pilote va donc l'affubler du jeune Rusty, un garçon témoin dans une affaire dangereuse et dont la mère a totalement disparue, le laissant à la charge des services sociaux et de la police. Leur relation va se construire autour du besoin de ce garçon de compenser l'absence maternelle, obligeant Sharon à assumer la place difficile de mère de substitution. 

Avec sa présence perpétuelle dans les couloirs du LAPD, le jeune garçon va permettre à la nouvelle patronne de Major Crimes de nuancer son caractère glacial et de laisser apparaître sa sensibilité, gagnant ainsi la confiance de ses partenaires. Si Rusty commence mal en donnant dans un premier temps la sensation d'être une horrible tête à claques, la bonne alchimie qui se met lentement en place avec Raydor va amener une seconde partie de saison mieux réussie que la première. Le garçon parvient à abattre les défenses de Sharon et apparaît alors comme le révélateur du vrai caractère de l'héroïne, retrouvant avec lui le souvenir des fantômes de sa propre famille. 

Seule déception de la saison, l'irruption du père de Rusty va s'avérer assez peu concluante, les scénaristes oubliant de développer toute la partie liée au témoignage du garçon et au péril qui pèse sur lui. Ainsi, le season final ne tire pas vraiment profit de ce duo assez réussi pour se concentrer sur une histoire de tireur d'élite aussi théâtrale que peu inspirée. Les meilleurs épisodes de la série sont d'ailleurs entre le 1x05 et le 1x08, moment où ces deux solitudes finissent par s'apprivoiser peu à peu, créant une confiance mutuelle assez forte. 

Du coup, il apparait assez vite que le charme de la série ne vient pas de sa mythologie, mais de ses différents personnages que l'on retrouve avec un certain plaisir épisode après épisode. Concentrée sur la mise en place de Raydor, cette première saison aura posé les bases d'un concept intéressant et d'une héroïne attachante et charismatique, adepte d'un pragmatisme qui a l'avantage d'éviter certaines séquences de remplissage. Même si le season final déçoit, le show reste un cop show de bonne facture, réussissant à changer son organisation tout en conservant certains des cadres de la série-mère.

 

Sanchez et Provenza font équipe

 

L'art délicat du spin-off

 

Après une courte saison de dix épisodes, Major Crimes a prouvé qu'elle est un bon spin-off, s'inscrivant dans la suite de The Closer tout en offrant une mécanique suffisamment différente pour s'en démarquer. Si l'intrigue principale est restée assez moyenne, les personnages se sont montrés bien plus convaincants, élément décisif dans la mise en place d'un cop show finalement assez classique. Toujours râleur et aigri, Provenza aura apporté des éléments de comédie intéressants, incarnant une certaine nostalgie par rapport à l'époque de Brenda. 

En éloignant Pope et Gabriel, les scénaristes ont la bonne idée de changer deux éléments majeurs de la série, libérant de la place pour Sanchez qui est la vraie révélation de cette saison. Acceptant l'autorité de Sharon, il est incarné par un Raymond Cruz convaincant qui s'avère décisif lors des séquences d'action, partageant le besoin d'efficacité de Raydor en se montrant fréquemment décisif. A l'opposé, Flynn est plus en retrait, héritant d'une partie investigation assez plaisante pour une série qui a le mérite de donner assez rapidement l'identité du criminel, évitant l'introduction de fausses pistes agaçantes et prévisibles. 

Nouvelle venue au LAPD, Sykes n'a pas convaincu, ne parvenant pas à s'imposer au milieu des personnages bien rodés de The Closer, seul vrai personnage original qui permet de voir combien il est difficile d'intégrer un personnage neuf dans un univers déjà bien étoffé. Un semi-échec qui permet de constater toute la difficulté que représente l'élaboration d'un spin-off, obligeant à modifier la mécanique d'un show sans nuire aux personnages "historiques". Si Major Crimes reste un cop show plaisant et sympathique, il permet de constater toute la difficulté que représente le développement d'un spin-off et justifie à mes yeux la nécessité d'écrire ce bilan. 

La série est une preuve que lorsque l'héroïne part, il est toujours possible de tenter une greffe, de tout réorganiser pour garder vivant des personnages secondaires aussi attachants que Provenza ou Tao. C'est là que se trouve le coeur du show, justifiant la fidélité semaine après semaine d'un public d'environ cinq millions de spectateurs devant un show qui n'a rien d'un chef-d'oeuvre. L'art délicat du spin-off, c'est finalement de conserver son identité tout en acceptant la nécessité du changement pour éviter la mort d'un univers que les auteurs refusent de quitter. La théorie de l'évolution à l'échelle d'une série, en somme.  

L'auteur

Commentaires

Pas de commentaires pour l'instant...
Image Major Crimes
12.81
12.7

Derniers articles sur la saison

Aucun article similaire.