(Spoilers ahead)
They were back ! Eh oui, pour le plus grand plaisir de nombre d'entre nous, les Shelby, leaders du gang le plus connu du Birmingham de l'après Première Guerre mondiale, reposaient leurs valises sur BBC Two pour de nouvelles aventures particulièrement attendues. Aujourd'hui et après six épisodes aussi intenses qu'explosifs, la saison s'achève et me donne l'occasion de dresser un premier bilan de ce qui constitue pour moi l'un des shows les plus racés du paysage séristique actuel.
Une recette qui a fait ses preuves
Adepte de la première heure et un an et demi après l’intense final de la saison précédente, c'est un euphémisme de dire que j'attendais avec impatience cette nouvelle saison et globalement, je n'ai pas été déçu tant elle s'inscrit qualitativement dans la lignée des deux précédentes.
Ainsi, force est de constater que la plupart des ingrédients qui ont fait le succès des Peaky Blinders sont de nouveau présents. Par exemple, l'accent populaire à couper au couteau s'impose toujours comme l'un des véritables atouts charme de la série tant il lui fait gagner en authenticité et en crédibilité.
D'ailleurs, que seraient les Shelby sans leur accent si particulier ? Eh bien pas grand-chose, car ce véritable marqueur identitaire, s'il peut paraître aux premiers abords anodin, joue un rôle déterminant dans l'attachement du spectateur à des personnages pourtant aux antipodes de la figure des héros traditionnels.
Mais comme Steven Knight, le créateur et showrunner de la série, et plus généralement les auteurs de la BBC le montrent, le héros positif qui est un modèle de vertu et a une conduite idéale, très peu pour eux ! Dans cette troisième saison, le modèle du héros négatif caractérisé par son immoralité, sa violence, son manque d'états d'âme mais aussi ses faiblesses, qui le rendent attachant et fascinant, est une nouvelle fois incarné à la perfection par Tommy Shelby (Cillian Murphy).
Vous l'aurez donc bien compris : les personnages brutaux et charismatiques combinés à un climat général de violence et d’immoralité font partie intégrante du show qui leur doit d'ailleurs, je pense, une grande partie de son succès.
Peaky Blinders se veut donc atypique et se démarque par son format mais aussi par la période historique qu'elle dépeint. Seulement six épisodes d'une heure par saison c'est peu, mais encore une fois, et le créateur le revendique, pour la BBC il est vraiment primordial de privilégier la qualité à la quantité !
De la même manière, pouvez-vous me citer une seule autre série ayant pour cadre l’Angleterre populaire de l'après Première Guerre mondiale ? Non ? Eh bien là est aussi l'une des grandes forces de la série de la BBC : elle dépeint un contexte et des problématiques jusqu'ici délaissés par la télévision.
Sous ses airs purement fictionnels, le show s'inspire (très librement) de faits réels, les Blinders ayant réellement existé, et respecte globalement le contexte historique et politique de l'époque. Il serait donc faux de voir en Peaky Blinders un simple drame policier, tant l'aspect politique est au cœur des intrigues auxquelles sont mêlés les Shelby. Ainsi, quand la première saison évoquait la naissance de l'IRA et la violence économique et sociale de la société anglaise de l'après-guerre, la troisième saison est plus consacrée aux contrecoups de la révolution soviétique et à la lutte contre le communisme qui s'organise dans l'aristocratie russe en exil et les classes dirigeantes britanniques.
Certains éléments sont indissociables d'une série car ils en définissent l'identité profonde. Heureusement pour nous (et sans doute pour eux), Steven Knight et son équipe l'ont bien compris et cette saison des « fookin » Peaky Blinders est la digne héritière des précédentes dont elle reprend les principaux ingrédients.
Maintenant, la fin de la saison 2 et le début de la nouvelle saison nous amenaient à nous poser plusieurs questions, ma foi, assez existentielles :
- Avec qui Tommy a-t-il finalement décidé de se marier et quel impact cela a-t-il eu sur lui dans cette nouvelle saison ?
- Quelle tâche W. Churchill va-t-il lui confier ?
- Se pourrait-il que les Shelby soient pour la première fois au cœur d'enjeux qui les dépassent largement ?
Arrêtons-nous donc maintenant longuement sur l'intrigue de cette troisième saison et les éléments qui en font sa particularité !
Shelby International Company ?
Dans l'imagination de beaucoup d'entre nous, la saison 3 devait être celle de l'exode vers les États-Unis pour les Peaky Blinders. Cela apparaissait comme une suite logique après l'extension des activités du gang à Birmingham et ses environs puis à Londres. Néanmoins, la fin de la saison 2 et le fait que Tommy soit épargné par Churchill himself, parce que ce dernier a « une tâche à lui confier », nous donnaient un indice assez explicite : l'avenir du cadet des Shelby et donc des Blinders s'inscrit encore largement dans cette bonne vieille Angleterre.
Mais alors, est-ce la fin de l'American Dream pour nos célèbres gangsters ? Eh bien rassurez-vous, il semble que non ! En effet, les scénaristes prennent tout au long de la saison un malin plaisir à nous teaser un possible développement de la Shelby Company Limited outre-Atlantique et notamment à Boston, sur la côte Est, lieu où l'industrie américaine est la plus développée.
Alors, moyen de nous faire patienter ou simple coup d'épée dans l'eau ? Difficile à dire, et même si Ada (Sophie Rundle) accepte de partir à Boston pour explorer ce nouveau marché, rien n'est effectif et les références aux États-Unis sont encore bien vagues et lointaines tant l'intrigue principale de cette nouvelle saison prend de place dans l'arc narratif. N'allez cependant pas croire que toute migration vers le nouveau continent est à exclure, d'autant plus que le show vient d'être renouvelé pour deux saisons supplémentaires. Il paraît donc probable que dans un futur plus ou moins lointain nos prières soient exaucées, et que les Blinders partent à la conquête du pays de l'Oncle Sam.
Et pourtant, cette saison est bel et bien celle d'une certaine internationalisation pour les Shelby, même si ce n'est pas forcément celle que l'on attendait.
Je m'explique et je commence par un petit point historique : en 1924, au moment où reprend le show, l'URSS est fraîchement créée et concrétise la révolution communiste de 1917. Parallèlement, le régime se durcit et force les couches aristocratiques, majoritairement tsaristes, à l'exil dans des pays d'Europe occidentale comme la Grande-Bretagne, où elles sont soutenues par les classes dirigeantes craignant la contagion de l'idéologie communiste.
C'est donc dans ce contexte troublé que Churchill va « forcer » les Shelby à s'insérer en leur faisant jouer le rôle d'intermédiaires et d'exécutants dans une conspiration visant successivement à voler des chars d'assaut pour la cause tsariste, puis à simuler une ingérence « rouge » sur le territoire britannique.
Ce complot est planifié sous les ordres de la Section D, une organisation secrète d'hommes politiquement et économiquement influents visant à lutter contre la cause communiste. La finalité de ce subterfuge est donc logiquement de forcer le gouvernement à prendre des mesures punitives contre l'URSS, et les Shelby sortent très largement du cadre de leurs activités habituelles qui se limitent majoritairement à la gestion de paris hippiques.
Si les Blinders, et surtout Tommy, véritable leader du gang et seul au courant des véritables enjeux politiques auxquels ils sont mêlés, pactisent avec deux camps dont les intérêts paraissent convergents, au final il n'en est rien et seule la volonté de nuire à la nouvelle URSS est vraiment partagée.
Au milieu de cette lutte politique et d'influence sans merci, chacun agit pour son propre compte et pour la première fois, Tommy Shelby semble être dépassé par les événements dont il est un acteur forcé. On retiendra par exemple cette scène assez choquante où il est presque battu à mort par les hommes de main de la Section D, ou encore l'enlèvement de son fils. Autant d'éléments qui montrent l'ascendant que possède l'organisation secrète sur celui qu'on avait plus l'habitude de voir dans le rôle de l'oppresseur que de l'oppressé.
La trame scénaristique est donc encore une fois particulièrement complexe. Elle est composée d'un enchevêtrement de récits et d'intrigues qui s'entremêlent et laissent parfois le spectateur assez désarçonné car un certain flou narratif demeure. Aussi, l'implicite est encore très présent, notamment dans les conversations des frères Shelby, et il ne facilite pas la compréhension générale du main plot. Pour autant, les récits secondaires ne doivent pas être laissés de côté car ils revêtent une importance toute particulière et contribuent au dynamisme du show. Je vous propose donc ici un retour détaillé sur certains détails qui ont attiré mon attention et démarquent cette troisième saison de ses deux aînées.
Femmes, femmes, femmes
J'entends déjà les plus conservateurs d'entre nous me dire que le milieu du crime est un univers d'hommes et que les femmes n'y ont pas leur place... Mais chers lecteurs, derrière chaque homme, et ici derrière chaque malfrat, se cache(nt) une ou plusieurs femmes dont l'influence est loin d'être négligeable, tant l'amour semble affecter le comportement des membres de la fratrie Shelby.
Par exemple, commençons par évoquer la figure centrale du show, Tommy Shelby himself : tout au long de la deuxième saison, il est tiraillé entre son amour pour Grace Burgess (Annabelle Wallis) et l'affection naissante qu'il éprouve pour May Carleton (Charlotte Riley), une Lady dont la richesse et le prestige social pourraient lui être très utiles. Le cliffhanger final de la saison 2 où il annonce sa volonté de se marier, en plus de déchaîner les passions de nombreux fans, était un indice de l'importance grandissante qu'allaient jouer les femmes dans les saisons à venir.
Ainsi, le season premiere, bien qu'il pose les bases du main plot, est majoritairement consacré au mariage de Tommy et Grace, qui s'aiment et qui vont avoir un enfant. Dès lors, impossible de ne pas voir dans l'achat d'un somptueux manoir, la réception faste et la promesse faite de se consacrer à des activités purement légales, les premières traces de l'influence de Grace sur son mari qui, pour contenter sa femme, compte s'acheter une respectabilité. De la même façon, l'assassinat précoce de Grace lors de l'épisode 2 paraît faire perdre pied à Tommy et a des répercussions importantes sur son comportement et ses choix lors du reste de la saison.
Il entame ainsi très rapidement une relation toxique avec l'énigmatique et irrévérencieuse duchesse Tatiana Petrovna (Gaite Jansen), qui n'est autre que l'intermédiaire du camp tsariste. Elle lui tient tête, lui fait explorer de nouveaux horizons et d'une certaine façon l'aide à surmonter la perte de sa femme. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette saison est encore plus mouvementée qu'à l'accoutumée pour le chef des Peaky Blinders, et les femmes de sa vie n'y sont pas totalement étrangères.
Vous souvenez-vous d'Arthur (Paul Anderson), frère aîné de Tommy, cette brute dont la violence n'avait d'égale que l'impulsivité ? Eh bien il n'est plus, ou du moins il n'en demeure que des bribes.
Désormais, il va à l'église tous les dimanches, invoque le petit Jésus aussi souvent que possible et prie pour la rédemption de son âme aux côtés de Linda, femme profondément imprégnée de religion qu'il a épousée. Et s'il suit encore les ordres de son frère, c'est d'abord par loyauté, mais surtout pour réunir la somme d'argent nécessaire pour partir vers les USA et travailler à l'évangélisation des populations indiennes. Assez incroyable, me direz-vous ? Eh bien oui, parce qu'on lit dans ses yeux confus que lui-même semble avoir du mal à y croire. Il n'a cependant pas véritablement le choix, Linda étant une femme de poigne, déterminée à le soustraire aux griffes de son frère et à l'illégalité dans laquelle il baigne depuis sa plus tendre enfance. Et puis elle est enceinte, et je crois que c'est l'argument qui finit de convaincre Arthur de sa bonne étoile et de la nécessité pour lui de prendre du recul.
À vrai dire, je n'imaginais pas une seule seconde un tel retournement de situation pour un personnage comme Arthur Shelby, et je dois bien avouer que cela me laisse sceptique. Il est tellement perturbé, violent et imprévisible que la simple idée de le voir mener une vie rangée et honnête m'a tout de suite semblé absurde.
Enfin, et je pense que c'est important, cette troisième saison de Peaky Blinders correspond plus généralement à une montée en puissance des protagonistes féminins. Cela peut être très bien résumé par la scène iconique qui voit avancer au ralenti les femmes de la Shelby Company, en route vers une manifestation pour la progression des droits des femmes dans le milieu du travail. C'est très symbolique car cela montre qu'elles en ont fini avec le rôle passif auquel les hommes les limitent et veulent désormais avoir leur mot à dire.
Parallèlement, Polly (Helene McCrory) est toujours aussi importante au sein de l'organisation où elle est l'une des seules à oser tenir tête à Tommy. Le développement d'une storyline qui lui est propre rend ce personnage d'autant plus intéressant, bien que les enjeux de cette saison soient d'abord personnels pour elle, avec son fils Michael (Finn Cole) mais aussi son love interest Ruben Oliver (Alexander Siddig).
Figures très souvent subversives, les femmes se rebellent dans cette troisième saison et entendent bien faire entendre leurs voix, que ce soit dans la conduite du business ou dans l'avenir de leur couple avec les hommes du gang.
Thumb up
Impossible de faire l'éloge de Peaky Blinders plus longtemps sans mentionner la très grande qualité du casting du show. Globalement, les acteurs affichent un niveau de performance homogène et rendent une copie quasi sans faute. C'est simple, Cillian Murphy (Tommy), Joe Cole (John) et Paul Anderson (Arthur), interprètes des trois frères Shelby, semblent être tout droit sortis du Birmingham des années 1920 tant ils capturent à merveille l'ambivalence de leurs personnages, les rendant tour à tour effrayants mais aussi très touchants.
Le regard bleu électrique de Cillian Murphy nous captive et nous hypnotise. Il contribue à rendre le chef de gang charismatique et énigmatique, au point de nous faire admirer un homme pourtant profondément violent et immoral.
C'est aussi ça le charme des Blinders, cette imprévisibilité propre à la grande majorité des protagonistes, qui ravit et intrigue la grande majorité des spectateurs. On a aussi du mal à parfaitement cerner les personnages et il n'est jamais aisé de prédire leurs agissements ou réactions, tant la folie qui les habite est parfaitement rendue à l'écran.
Il serait aussi injuste de ne pas citer Tom Hardy (Alfie Solomons) qui, dans son rôle de chef du gang juif londonien, est tout à fait remarquable. Même s'il est très loin d'être inconnu du grand public, il est pour moi dans ce rôle original une véritable révélation et, comme pour les frères Shelby, je n'imagine personne d'autre pour incarner son personnage.
Peaky Blinders est donc aussi un plaisir coupable. Porté par un casting impressionnant, on adore aimer puis haïr des héros aussi attachants que détestables.
Quant à la réalisation toujours aussi soignée, elle est cette saison portée par une bande son remarquable (Radiohead, David Bowie, Arctic Monkeys...) qui hisse la série de la BBC bien au-dessus de la plupart de ses concurrentes américaines.
Pour finir, thumb up pour le cliffhanger final. Peaky Blinders ne déçoit que rarement avec ses fins de saison, et cette année, le season finale ne fait pas exception à la règle.
Après le dénouement de l'intrigue principale, tout semble rose pour les Blinders. C'est sans compter sur la Section D qui fait pression sur la police locale pour inculper les membres du gang, forçant Tommy à marchander et à regarder impuissant sa famille se faire interpeller dans son propre manoir.
Alors, trahison ou simple diversion en attendant de les faire libérer ? Même s'il semble impensable de voir le héros abandonner son clan, les épreuves qu'il a traversées paraissent l'avoir changé et jettent un flou sur sa future gestion de la situation. Néanmoins, une chose est certaine : après avoir perdu sa femme, Tommy perd sa famille et se retrouve plus seul que jamais.
Thumb down
Même si cette nouvelle saison m'a largement conquis, on peut toutefois, en creusant, lui trouver quelques bémols qui ne sont, je vous rassure, pas préjudiciables à la qualité de l'ensemble.
Pour commencer, cette saison est-elle celle des Blinders comme les deux précédentes, ou bien celle de Tommy Shelby seulement ? Je m'explique : on ne peut que constater qu'au fil des saisons, le rôle du personnage campé par Cillian Murphy ne fait que grandir dans le schéma narratif du show. Tommy Shelby devient de plus en plus un personnage omniscient et se contente de donner des ordres sans expliquer à sa famille les enjeux et les intrigues auxquels elle est mêlée. Foncièrement, ce n'est pas si dérangeant que ça, mais le problème est que c'est très souvent fait au détriment d'autres personnages dont la storyline n'est que très peu exploitée.
Un personnage me vient directement en tête : John Shelby qui mériterait, au vu de son importance et de son potentiel, son propre récit parallèle au main plot. Malheureusement, la négligence de certains protagonistes vient aussi du format du show : six épisodes, cela reste trop court pour exploiter efficacement le potentiel pourtant indéniable des John Shelby ou autre Alfie Solomons.
Un autre élément que je peux reprocher à Peaky Blinders est la lenteur relative du début de saison. Cependant encore une fois, ce n'est rien de très préjudiciable et une fois lancé, le show ne souffre d'aucun problème de dynamisme, au contraire de Game of Thrones par exemple.
La combinaison de la multitude d'intrigues et de l'accent très prononcé peut aussi paraître assez déroutante pour le spectateur, mais une écoute et un visionnage attentif permettent de remédier facilement à tout problème de compréhension.
En conclusion, pour moi Peaky Blinders est un véritable coup de cœur et l’une des meilleures séries de ces dernières années. Cette nouvelle saison reprend la grande majorité des éléments qui ont fait le succès du show en introduisant certaines nouveautés qui ne la rendent que plus dynamique et accrocheuse.
Peaky Blinders ébahit, envoûte et terrifie, et on ne peut qu'espérer que les prochaines saisons seront aussi réussies que leurs trois aînées, qui s'imposent aujourd'hui comme des références du drame historique et policier. La BBC prouve aussi une nouvelle fois, après des productions comme Sherlock, Poldark ou Luther, qu'elle n'a rien à envier aux gros labels américains comme Showtime ou HBO.
Je n'ai qu'une chose à dire aux retardataires : n'attendez plus ! Vous auriez tort de vous priver d'un show de cet acabit où sont réunis casting de haut vol, personnages charismatiques et intrigues passionnantes.