On ne peut pas reprocher à J.J Abrams de ne pas faire ce qu'il pense savoir faire. En revanche on peut sans doute émettre un bémol sur sa précipitation pour ce qui est de la gestion des projets.
Person Of Interest, sa nouvelle production pour la chaîne américaine CBS, met en scène Finch, un milliardaire inventeur d'une machine de surveillance pour le gouvernement américain, machine commandée après les attentats du 11 septembre 2001. A ses côtés, Reese, un ancien membre des forces spéciales chargé d'enquêter sur des personnes choisies par la dite machine.
Cette dernière est en effet capable de prédire des actes terroristes en se basant sur de nombreuses données, comme les enregistrements des caméras de surveillance et des appels téléphoniques. Mais elle prédit également les crimes impliquant des personnes ordinaires et Finch reçoit chaque jour les numéros de sécurité sociale des personnes impliqués, qu’elles soient victimes ou coupables : à Reese d’enquêter.
Au delà des appararences
Person Of Interest a donc débuté sur la promesse d’une énième série à épisodes formatés pour fournir “l’enquête de la semaine” au téléspectateur. Mais passé les trois premiers épisodes, on comprend que le concept de la série créée par J.J. Abrams (Alias, Lost, Fringe, Alcatraz) et Jonathan Nolan (scénariste de Memento et The Dark Knight , accessoirement frère de Christopher Nolan) va plus loin que le simple formula-show.
En effet, le duo de justiciers mystérieux qui tente de résoudre les énigmes liées aux numéros de sécurité sociale que fournit la Machine vont, par petites touches, dévoiler des fragments de leurs passés respectifs, offrant plus de consistance aux personnages. La structure de leur relation finit par se renforcer mais est souvent bizarrement imbriquée par un jeu de mystères savamment orchestrés.
De la même façon, les personnages secondaires s’enrichissent et voient leurs rôles prendre de l’ampleur au fur et à mesure, amenant un aspect feuilletonnant peu prévisible au départ (à part pour le personnage de Carter, femme flic qui cherche dès le pilote à découvrir l’identité de John et Harold). Peu à peu, la série va également s’enrichir de menaces potentielles de haut niveau pour nos héros, comme des membres de la CIA ou Elias.
L'interprétation des acteurs est à la hauteur de cette série d’action à suspense, Jim Caviezel et Michael Emerson (Ben de Lost) en tête. La réalisation est très convenable, avec une gestion des combats assez réalistes, qu’ils se passent au corps à corps ou par armes à feu.
Une Amérique paranoïaque
Le concept paranoïaque de Person Of Interest se retrouve dès le monologue du générique fait par Harold, où il présente le principe de leur action et la Machine qui leur fournit les identités de personnes potentiellement impliquées dans des crimes violents, par recoupement des différents types de surveillance qui peut exister (écoutes, vidéosurveillance, etc).
Cette réflexion autour de la paranoïa et les méthodes expéditives de certains pour y faire face font partie intégrante des rebondissements dans la série, ce qui est appréciable. John Reese, ex-agent de la CIA, semble la plupart du temps prêt à tout pour arriver à sauver un innocent et il n’est pas rare de le voir tirer une balle dans les jambes d’un adversaire pour l’immobiliser sans aucune hésitation. D’ailleurs, on le sent également prêt à “franchir la ligne” à plusieurs reprises dans la série.
Ce personnage m’a souvent fait penser à un Batman sans costume : un justicier urbain, expéditif, peu bavard et pour qui la fin justifie les moyens… Cela donne à cette série un questionnement moral évident.
Parallèlement à cela, Harold multiplie les fausses identités, les firewalls et les cachettes différentes, en brouillant même les pistes auprès de son partenaire (et du téléspectateur par la même occasion), soulignant par son action que tout le monde est surveillé. Visuellement, cela se retrouve dans la série où les ellipses narratives et les flashbacks sont introduits par un extrait de ce qu’un ordinateur relié à ces systèmes de surveillance pourrait donner sur son écran, avec parfois des indices sur l’intrigue (frise chronologique, analyse des résultats par l’ordinateur, etc).
La machine
Au cœur de l’intrigue, la Machine est l’un des plus grands mystères de la série. ATTENTION SPOILER. On sait qu’elle est autonome, sinon Finch n'aurait pas pu avoir les numéros dans l'épisode 13, puisque ils étaient compromis par "Le Hacker" (dont on est sûr à 99% que c'est Root, elle écrit à Finch lors de ce même épisode : "vous pouvez m'appeler root », confirmant qu’elle est notre hacker qui donne tant de fil à retordre à nos amis !). FIN DU SPOILER, vous pouvez reprendre une lecture normale.
Cependant, même si la Machine est autonome, comment peut-elle prendre des décisions ? Ce n'est qu'une machine… Ou alors je pense que la Machine est capable de bien plus que de sortir les numéros ! Elle peut agir et prendre des décisions en conséquence ! D'ailleurs quand Reese s'adresse à la machine on peut lire ceci: "error: continuity of operations compromised" : elle est donc capable de s'adapter aux diverses situations.
Tout au long de la saison j'ai pu remarquer des codes couleur pour la machine :
- Rouge = Menace
- Blanc = Normal
- Jaune= Reese et Finch.
Ce changement de couleur pour notre duo de justiciers est intéressant : la Machine ne peut sans doute pas s'imaginer que son créateur peut être une personne d’intérêt. Elle voit Reese et Finch comme des fragments de son programme et non comme des personnes à part entière. À l’opposé, Root, elle, est un virus, un virus que la machine n'a pas vu venir et qui a endommagée son programme (enlevé Finch). Le rôle de Root risque d’être, à mon sens, crucial dans la saison 2.
Et finalement l'idée d'Abrams ne manque pas de séduction : la relation entre l'Homme et la machine demeure une question essentielle, à laquelle aucune réponse ne peut être apportée, sinon que les humains ont besoin de leur invention tout en sachant que plus ils l'améliorent, plus ils en sont dépendants, pour ne pas dire prisonniers. Person of Interest pose finalement la question de la liberté, mais surtout du droit à l'anonymat, en faisant le constat que celle-ci et celui-là ont été réduits à une part simpliste, continuellement scrutée par la Machine et le duo de justiciers.
Excellente surprise de cette saison 2011-2012 sur les networks américains, Person Of Interest digère au bout de 10 ans les relents paranoïaques d’un pays qui a subi le 11 Septembre et propose une série d’action avec un scénario plus élaboré que la moyenne dans ce domaine.
Toutefois, l’équilibre semble encore un peu fragile en première saison : il n’est pas dit que la capacité des scénaristes à gérer les rebondissements feuilletonnants comme à innover régulièrement sur la partie “enquête de la semaine” soit infinie…
Mais j'arrête de faire la fine bouche pour apprécier à sa juste valeur cette série qui renouvelle un peu le genre policier-action sur les grandes chaînes américaines non câblées.
Incontestablement une des meilleures nouveautés de la saison au même titre qu'Homeland, Awake ou encore Once Upon A Time .