Quasiment sortie dans l’anonymat le plus total derrière les superproductions Netflix The Get Down et Strangers Things, la minie-série d’HBO, largement acclamée par la critique est parvenue, malgré quelques longueurs, à tenir presque toutes les promesses que laissait entrevoir son pilote. Émouvante, glaçante et souvent poignante : une chose est sûre, cette fiction adaptée de la série britannique Criminal Justice ne laissait pas indifférent. La fin de la première saison du show est donc l’occasion pour moi de revenir en détail sur cette plongée dans les méandres du système judiciaire américain.
Attention spoilers.
L’intrigue en bref
The Night Of, c’est d’abord le récit d’une descente aux enfers, celle de Nasir Khan, dit Naz (Riz Ahmed), un jeune étudiant sans histoire d’origine pakistanaise. Un jour après une nuit d’excès, il se réveille aux côtés d’une jeune femme baignant dans son sang. Paniqué et sans souvenir de la veille, il prend la fuite mais est rapidement arrêté et inculpé pour un meurtre dont il est le suspect idéal. Ne pouvant s’appuyer dans un premier temps que sur Jack Stone (John Turturro), un avocat raté et opportuniste qui l’a pris sous son aile, Naz essaye tant bien que mal de survivre dans un milieu carcéral aussi dur qu’impitoyable. Si The Night Of est le récit d’une lutte, c’est aussi une critique forte du système judiciaire américain dont Naz est prisonnier et dans lequel il est considéré comme coupable avant même d’avoir eu le droit à un procès équitable.
De l’innocence à la décadence
Toute décision a des conséquences. C’est ce qu’essaye de montrer The Night Of. Prenons Nasir Khan : au début du show, il est dépeint comme un étudiant modèle issue d’une famille travailleuse, respectable et aisée. Bref : belle vision d’intégration, de promotion sociale et de réalisation de l’American Dream, me direz-vous. Mais une succession de choix désastreux vont faire basculer la vie du jeune homme. Lorsqu'il décide d’emprunter le taxi de son père sans lui demander préalablement la permission, d’accepter de conduire Andrea Cornish (Sofia Black d’Elia) et enfin de finir la soirée chez elle en abusant de toutes sortes de substances illicites, il est loin de se douter que ses actions sonnent le glas de sa vie calme et rangée.
À partir de ce moment là, Naz est empêtré dans un piège dont il aura toutes les peines du monde à s’extirper.
Comme il est inculpé et que sa demande de liberté sous caution est rejetée, Nasir est logiquement jeté en prison et l’un des principaux axes narratifs du show devient par conséquent l’évolution du personnage en milieu carcéral. Pour survivre dans un environnement hostile comme la prison, tout est question d’adaptation et d’alliance. Nasir, qui n’a pas vraiment le profil du détenu type, le comprend très rapidement et après des débuts difficiles, il essaye de se fondre dans la masse, aidé notamment par Freddy Knight (Michael K. Williams), détenu qui semble véritablement régner en maître à Rikers Island, que ce soit auprès des détenus ou des surveillants.
Dès lors, exit le look d’étudiant modèle et place aux tatouages, aux cheveux rasés et à la musculation. Faute de pouvoir faire évoluer sa situation, le jeune américain décide donc de l’embrasser, au risque de se décrédibiliser auprès du jury qui aura la lourde charge de statuer sur son sort lors de son procès. Il se retrouve même directement impliqué dans le trafic de stupéfiants orchestré par Freddy pour faire passer du crack en prison. Pire, après avoir dépassé ses quelques réticences initiales, il devient même consommateur.
J’ai entendu métamorphose ? Eh bien difficile d’affirmer le contraire, le personnage de Naz est désormais bien loin de l’image du gendre idéal qu’il semblait incarner en tout début de série. D’ailleurs, cette transformation radicale est quelque peu déroutante : l’étudiant réservé semble devenir un taulard aguerri en quelques jours tout au plus, et cela manque quelque peu de cohérence même si le but de la manœuvre était peut être d’introduire un premier doute dans l’esprit du visionneur sur le rôle de l'accusé dans le meurtre d'Andrea Cornish.
Même s'il est vrai que notre premier réflexe est de le penser innocent en s’appuyant sur son aspect inoffensif et sur le portrait assez mièvre qui est initialement fait de lui, la fin de la saison et notamment le procès apporte une lumière nouvelle sur ce personnage qui est en fait bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Tout d’abord, on apprend que les actes violents commis en prison ne sont peut-être pas uniquement dus à la nécessité absolue de se faire respecter, parce que le jeune homme n’en est pas à son coup d’essai. En effet, l’accusé a un passif violent et s’est par exemple fait expulser du lycée pour avoir sévèrement blessé deux de ses camarades qui le stigmatisaient à cause de sa religion. Cette information, combinée au fait qu’il est aussi révélé qu’il organisait un trafic d’amphétamines au sein même de son université, font logiquement s’interroger le spectateur sur l’innocence du prévenu qui, si elle paraissait évidente au départ n’est, il faut bien le reconnaître, plus aussi certaine.
La transition entre ces deux extrêmes est plurielle : elle est d’abord visible à l’écran grâce à la visualisation des effets pervers du milieu carcéral sur Nasir, mais aussi et surtout dans l’attitude des différents protagonistes quand ils en apprennent plus à son sujet. Puis elle l'est dans la pensée et l’imaginaire des spectateurs, qui voient désormais l’accusé sous un nouveau jour.
Un casting riche au service d’un scénario intelligent
Si The Night Of s’était limitée à une narration figée sur le personnage de Naz, nous nous serions sans doute rapidement ennuyés ferme. Certes, l’interprétation de Riz Ahmed est impeccable et on ne peut que louer son intensité dramatique, mais après un pilot de haut vol, le show s’essouffle progressivement et on commence à trouver le temps long.
Les moments passés en compagnie de l’accusé et de ses camarades matriculés se révèlent assez étouffants, et on prend comme une bouffée d’air frais le développement parfois cocasse d’autres storylines. Cette alternance permet aussi d’avoir une vision globale des forces impliquées dans l’enquête, ou ici en l’occurrence dans l’absence d’enquête et du fonctionnement de l’appareil judiciaire. On est aussi le témoin privilégié des répercussions désastreuses d’une telle affaire sur la famille de l’accusé et plus globalement sur la communauté musulmane new-yorkaise.
Bref, le showrunner Steve Zaillian et son équipe d’auteurs ont été bien inspirés de procéder de cette façon, car cela permet au show de tenir le cap sans connaître de baisses de régime trop significatives. Cela semble néanmoins se faire au détriment d’autres éléments, comme des scènes d’enquête dignes de ce nom.
Ici, l’investigation des forces de police se limite à quelques prélèvements sur le lieu du crime et même si on peut supposer que cela sert la critique de fond du système policier et judiciaire, cela reste tout de même très léger et dessert la crédibilité d’une série jusque ici très réaliste. Je dois bien avouer que l’idée d’un drame policier sans enquête policière digne de ce nom me laisse tout de même assez sceptique, et cela même si l’omission est volontaire.
Seul l’Inspecteur en chef Box, incarné par le très bon Bill Camp, semble, même s’il est au départ convaincu de la culpabilité de l’accusé, se soucier un minimum de la vérité. On sent cependant bien que ce personnage austère ne fera pas plus que de raison pour disculper celui qu’il a lui même interrogé et fait remettre aux autorités pénitentiaires, quand bien même la plupart de ses certitudes s’effondrent au fil de la saison.
Tout à l’heure je parlais de bouffée d’air frais, et le farfelu Jack Stone campé par l’excellent John Turturro en est assurément une. Très loin d’être un ténor du barreau, Stone est cependant très touchant dans sa quête de vérité et dans l’énergie qu’il déploie pour faire innocenter Nasir. D’un autre côté, il apporte un côté humoristique et décalé à un show qui en avait bien besoin.
On ne peut s’empêcher de se fendre d’un sourire un peu coupable devant son eczéma chronique, ses accoutrements grotesques et sa recherche acharnée d’un remède auprès d’à peu près tous les dermatologistes de Big Apple. On comprend aussi très rapidement pourquoi l’avocat travaille avec autant d’acharnement sur cette affaire. C’est l’occasion pour lui d’enfin faire une différence tout en se sortant de sa routine et d’une vie bien morne, autant professionnellement que personnellement.
Son allocution finale, poignante et particulièrement émouvante, clôture avec brio la performance de John Turturro dans un rôle alliant comique et dramatique qui paraît avoir été taillé pour lui.
Mention spéciale aussi à Amara Karan que j’avais déjà eu le plaisir de voir jouer dans des adaptations de pièces de théâtre shakespeariennes, avant de la découvrir campant le personnage de l’avocate "officielle" de Naz, Chandra Kapoor. Aussi jolie que talentueuse, la jeune britannique interprète toujours avec justesse un rôle pourtant assez complexe, tant la palette d’émotions éprouvée par Chandra est grande.
Le seul bémol que je relève avec son personnage est d’ordre scénaristique et il se rapproche de ce que j’ai reproché à Nazir plus haut. La jeune avocate semble brillante et même si vers le mid season, il est dit que son petit-ami l’a quitté, elle paraît assez équilibrée émotionnellement.
Pourtant, seulement quelques semaines après avoir rencontré son client pour la première fois, elle l’embrasse au mépris des règles déontologiques les plus élémentaires de son métier et va même jusqu’à secrètement lui apporter de la drogue en prison. Plus que de se décrédibiliser, la jeune femme perd aussi son métier et toute chance d’exercer dans le futur, et j’avoue avoir du mal à voir où ont voulu en venir les auteurs au moment de l’écriture de cette storyline.
Chandra méritait sans doute mieux que cette fin ridicule où, honteuse et bientôt radiée du barreau, elle ne peut même plus assurer la défense de son client et doit laisser la parole à Jack Stone.
Enfin, il me faut aussi souligner la performance de Jeannie Berlin dans le rôle de l’impitoyable procureur Helen Weiss, et plus globalement de l’ensemble du casting. Au final, l’excellent niveau d’interprétation des différents acteurs permet à The Night Of d’explorer de façon efficace les différentes storylines mises en avant dans un scénario intelligent, qui permet au show de rester de bonne facture malgré quelques faiblesses.
Un tableau critique de l’univers juridique et carcéral américain
Un autre élément qui fait la singularité de The Night Of est sans doute la critique et la dénonciation à peine masquée des abus de la justice et du milieu carcéral du pays de l’Oncle Sam. La série d’HBO nous montre assez durement et sans filtre un système où la vérité importe peu, tant que le procès ou l’enquête conduisent à une condamnation exemplaire de l’accusé. Naz est donc bien malgré lui la marionnette de personnages puissants qui ne se soucient que très peu de son sort ou de sa possible innocence, car il est à leurs yeux le coupable idéal.
Le procès et la succession de protagonistes cités à comparaître illustre bien le laxisme et l’incompétence de la police dans l’affaire Khan vs the State of New-York. En effet, on se rend rapidement compte du nombre impressionnants de pistes non explorées par les forces de l’ordre et des incohérences de certains arguments de l’accusation. De plus, plusieurs personnes dont le beau père d’Andrea, Don Taylor, avaient un mobile pour la tuer et cela paraît réellement aberrant que personne n’ait pris l’initiative d’enquêter sur ceux qui en voulaient personnellement à la jeune femme, surtout quand on sait que la majorité des crimes sont commis par des individus connaissant leur victime.
On voit aussi qu’au fur et à mesure du procès et de ses recherches personnelles, les certitudes de Dennis Box s’effritent et qu'il se rend compte que le véritable coupable est certainement l’avocat de la victime, Ray Halle (Paulo Constanzo). Il va rapidement en aviser la procureure qui, même en face d’éléments tangibles qui auraient sans doute permis de faire innocenter Nasir, refuse d’abandonner les charges contre ce dernier, sûrement à cause des répercussions d’un tel échec sur sa carrière et de l’énorme coût financier d’un procès. Une nouvelle fois, on voit bien qu’au sein même du système judiciaire, ce sont les logiques égoïstes et individualistes qui prévalent, au détriment de la vérité et de la justice, au sens premier du terme.
Le séjour de Nasir en prison permet aussi à The Night Of de s’arrêter longuement sur la vie dans les prisons américaines et ceux qui en sont les acteurs. Et s'il y a sans doute du vrai dans le tableau peint par le show, on tombe quand même très rapidement dans le cliché.
Par exemple, l’immense majorité des détenus que côtoient Naz sont d’origine afro-américaine ou issus des autres minorités ethniques qui composent la société US. On a aussi le droit aux matons brutaux et corrompus, au champion déchu qui règne en maître incontesté sur la prison et organise toutes sortes de trafics, et enfin aux relations homosexuelles entre détenus. Bref, la totale quoi. Foncièrement ce n’est pas dérangeant et ça n’enlève pas grand-chose à la qualité globale de la série, mais je trouve toujours assez amusant de retrouver les mêmes clichés dans chaque fiction ayant pour théâtre le milieu carcéral.
Néanmoins, même si la prison est d’abord montrée comme un endroit de décadence particulièrement dangereux, il y a tout de même une nuance tant la relation amicale que Naz tisse avec Freddy est forte, en témoigne l’émotion palpable dans le dernier épisode au moment de sa libération.
Pour finir, on peut dire que la saison qui s’achève avec l’abandon des charges contre Nasir est symptomatique de l’inefficacité des forces de l’ordre et de la justice dans cette affaire. Après plusieurs semaines d’investigations et de procès, le mystère demeure autour de l’identité de l’assassin, et ce simple constat conclut efficacement la critique du système omniprésente tout au long des huit épisodes.
Même si je ne suis pas aussi dithyrambique que certains critiques, The Night Of reste tout de même pour moi une vraie réussite. Intelligente, émouvante et intense au possible, la mini-série d’HBO parvient, malgré ses défauts, à nous tenir en haleine jusqu’au bout. Fort d’un casting de haut-vol, d’une réalisation maîtrisée et d’une bande-son austère mais toujours adaptée, le show gagnerait à être connu et j’espère qu’il sera renouvelé pour une deuxième saison.