C’est avec un sentiment mêlant tristesse et espoir que nous lançons cet avant-dernier épisode. Tristesse d’abord, car la série arrive bientôt à sa fin et l’heure des adieux s’approche inéluctablement. Espoir, ensuite, car tous ceux qui se sont investis depuis 2015 ne souhaitent qu’une chose : que la série réussisse sa sortie ! Enfin, une lourde responsabilité pèse sur les épaules de Better Call Saul : clôturer l’univers de Breaking Bad. En Jimmy, nous croyons !
Se préparer aux adieux
Il y a quelque chose de très poétique à regarder cet épisode intitulé Waterworks. Il est écrit et réalisé par Vince Gilligan (c’est son dernier épisode, Peter Gould ayant la charge du prochain). Lui qui s’est consacré pendant près de quinze ans à cet univers signe ici son chant du cygne. Waterworks est la culmination des intrigues longuement pensées et construites, de personnages savamment développés, des leçons apprises. Comme un dernier tour de magie, nous, spectateurs, sommes dans l’expectative, si bien que cela rajoute une dimension supplémentaire au visionnage.
Sans plus de détours, disons-le d’emblée : Waterworks est un chef-d’œuvre. C’est ce que la télévision peut offrir de mieux et cet épisode rejoint le panthéon des meilleurs épisodes de tous les temps à mon avis. La tragédie est d’un niveau shakespearien ; cette heure de télévision est une des plus sombres et déprimantes qu’il m’ait été donné de voir. Il y a une tristesse qui plane sur toutes les scènes. L’entrain des débuts est bien loin et on sent que nous nous approchons inexorablement de la chute de Gene et de... Kim.
Lui dire ses quatre vérités
D’abord, cet épisode a une fonction morale et nous montre les conséquences de l’action des personnages. La première partie de l’épisode s’attarde longuement sur Kim dans sa vie d’après : l’ennui et la conformité qu’elle s’est imposés, comme pour se punir après avoir souillé à jamais la mémoire d’Howard. La preuve en est : quand sa collègue de travail lui demande quel parfum de glace choisir (vanille ou fraise), Kim refuse de trancher. Elle devient spectatrice de sa propre vie, tributaire des choix des autres. Quand son nouveau partenaire lui ramène un substitut de mayonnaise (« Qu’en penses-tu ? On tente le coup ? »), elle lui retourne la question (« Je ne sais pas. Qu’en penses-tu ? »).
Cet effacement total est difficile à encaisser, surtout pour un personnage qui brillait par son intelligence et son indépendance. On comprend maintenant mieux pourquoi Rhea Seehorn, l’interprète de Kim, affirmait il y a quelque temps que « certains destins sont pires que la mort. »
Vient ensuite le fameux appel de l’épisode précédent rendu cette fois-ci audible. Kim conseille à Gene de se rendre à la police ; Gene, blessé, lui somme d’en faire de même. Il est fou rétrospectivement de constater comme cet appel téléphonique (qui a lieu six ans après la séparation de Kim et Jimmy) réveille chez les deux concernés des sentiments enfouis. Ce cocktail explosif provoque une réaction en chaîne...
Mordre la poussière
Les conséquences sont sans appel pour les deux personnages. D’un côté, Kim prise de remords décide de retourner à Albuquerque ; elle révèle la vérité à la justice et à la veuve d’Howard. Comme l’explique si bien le personnage, elle encourt la prison, même si cela s’annonce compliqué en raison du manque de preuves matérielles. Quant à Gene, frappé dans son ego, il fait le choix de poursuivre ses arnaques et inévitablement cela tourne mal. La mère de Jeff, Marion, démasque sa véritable identité et prévient les autorités.
Le château de cartes s’écroule. C’est poussés dans leurs derniers retranchements que la nature des protagonistes apparaît au grand jour. Deux scènes intéressantes nous éclairent à cet égard : à deux reprises, Gene a la possibilité d’utiliser la force pour s’en sortir (en assommant l’homme chez qui il s’est introduit avec le vase ou en étranglant Marion avec la corde du téléphone). La caméra s’attarde longuement sur ces moments décisifs au point que l’on s’inquiète que Jimmy commette l’irréparable. Mais, fort heureusement, cela ne ressemble pas au personnage et il ne franchit pas la ligne rouge.
Dans une interview, Vince Gilligan confirme cette interprétation concernant la fin de l’épisode : « Et pour moi, je pense qu’à ce moment-là, les nuages se sont dissipés et il a réalisé, “Qu’est-ce que je fais ? Comment ai-je pu aller si loin ?” Et il la laisse partir. Si la fièvre n’était pas tombée et que la folie n’était pas retombée, il aurait pu l’arrêter, mais peut-être qu’à ce moment-là, un peu de l’ancien Jimmy est revenu. Je l’espère. Cela reste à voir. »
Pleurer à chaudes larmes
La série apprécie énormément faire des parallèles et c’est là que la richesse des détails se trouve, étoffant l’expérience de visionnage.
Premier parallèle intéressant : n’oublions pas que Jimmy s’est fait une spécialité en début de série de travailler pour une clientèle senior. Il réussissait à les charmer avec ses belles paroles et boniments. Il est dramatiquement ironique de constater que celle qui entraîne sa chute est une personne âgée. Son hubris lui fait du tort ; Gene a cru pouvoir facilement la tromper. Dans le chemin menant chez elle, il commence à chanter les paroles de la chanson The Tide Is High (« La marée est haute, mais je m’accroche »), presque en fanfaronnant.
Sauf que Gene ne se rend pas compte qu’il s’est trahi lui-même pendant son appel avec Marion. Comment un gérant de restaurant peut-il connaître les subtilités de la libération sous caution (« Et ne vous inquiétez pas pour le garant. Parce qu’à Omaha, ils n’en ont pas. On entre au poste et on paie la caution en liquide. Ça n’a rien à voir avec Albuquerque. ») ? Gene se perd totalement dans son illusion qu’il est toujours Saul. D’ailleurs, le reflet en couleurs sur ses lunettes quand il voit la vidéo de Saul, symbole employé dans le premier épisode de la série, est réutilisé ici dans la scène finale.
Deuxième parallèle : le retour de Kim à Albuquerque. La nostalgie est omniprésente. On constate qu’il n’y a plus de gardien de parking au tribunal (poste occupé par Mike dans les premières saisons) ; tout a été automatisé. De même, Kim regarde longuement la table où Jimmy et elle s’étaient assis avant de se marier (dans l’épisode 7 de la saison 5). Petit pincement au cœur aussi quand Kim voit une jeune avocate faire un nœud de cravate à un vieux monsieur (rôle qui rappelle ses années de pro bono). La culmination de tous ces sentiments réprimés a lieu dans le bus : Kim pleure toutes les larmes de son corps et c’est déchirant à regarder...
On pourrait également revenir sur la rencontre entre Jesse et Kim, mais de l’aveu même de Vince Gilligan, cette séquence ne remplit pas forcément une fonction narrative. Au moins, c’est du fan service assumé... Dernier point : lors de la signature du papier de divorce, alors que Kim quitte le bureau de Saul, ce dernier appelle sa secrétaire Francesca « ma belle ». Cela explique un peu mieux son comportement inapproprié à son égard dans Breaking Bad. Cela s’apparente pour Saul à un mécanisme de défense pour pallier sa rupture avec Kim.
Cet avant-dernier épisode Waterworks est éprouvant à regarder, déchirant, poétique. La tragédie y atteint des sommets. La question qui se pose désormais est : quel type de fin nous réserve la série ? Jimmy aura-t-il droit à une forme de rédemption ? Ou devons-nous nous préparer à une fin très sombre ? Reverrons-nous Kim ? À vos pronostics !
J’ai aimé :
- Totale maîtrise technique
- La tragédie à l’état pur !
Je n’ai pas aimé :
- Plus qu’un épisode
Ma note : 19/20