Pourquoi ce passage en introduction de critique ? Tout simplement parce que le parallèle entre cet épisode et le film de Christopher Nolan est criant au sortir de cet épisode : « there’s so many layers ». Community nous délivre là un épisode que l’on rangera dans la catégorie des OVNI, et qui je l’avoue, m’a donné énormément de mal à critiquer. Détaillons donc niveau par niveau.
Level 1 : le délire
Tout commence comme n’importe quel épisode de Community. Le study group est réuni dans la study room, en train de réviser leur examen de biologie. Et de galérer. En tout cas, ça part fort, la première vanne étant à mettre au crédit de Pierce, et sa phrase mnémotechnique « Kevin please come over for gay sex ». Du lourd, d’entrée.
Le dean fait alors sa seule apparition (ou presque) de l’épisode, habillée à moitié en femme et à moitié en homme, pour annoncer une bonne et une mauvaise nouvelle. La distillation du doyen est aussi une part essentielle de la qualité d’un épisode, tant il peut s’avérer drôle ou lourd. Cette fois-ci c’était parfait, puisqu’il nous a même gratifiés d’une pose « dévoilage de jambes » comme il l’avait fait aux Oscars, créant la polémique en se moquant d’Angelina Jolie. Jim Rash dans toute sa splendeur.
La bonne nouvelle, c’est donc que l’examen est annulé. Et là les chemins se séparent : Pierce va regarder les premières moitiés de trois films différents, Shirley va tester un nouveau fast-food à l’autre bout de la ville, Jeff va déjeuner pendant 3 heures, et Britta et Troy vont déjeuner ensemble, un scénario mis en place par Annie qui se retrouve dans le Dreamatorium avec Abed. Et là ça part vraiment.
Annie est catastrophique en assistante de l’Inspector Spacetime, ce qui irrite furieusement Abed, sans compter le fait qu’Annie joue à l’entremetteuse et met en péril le groupe selon Abed, qui décide de lui montrer, via le Dreamatorium, comment le repas se passe. La magie opère, Abed commence un monologue qui se transforme en une véritable situation, dans laquelle on croît vraiment voir et entendre les personnages.
Le délire va vraiment se poursuivre tout au long de l’épisode, visualisant de nombreuses situations, mettant en interaction la plupart des personnages. Excepté qu’Annie vient manipuler le moteur du Dreamatorium, en échangeant les pensées d’Abed qui font fonctionner la salle avec les pensées des autres, souhaitant susciter de l’empathie chez Abed. Sauf qu’elle le casse, littéralement ! Du coup, ces situations, toutes aussi délirantes les unes que les autres, tournant autour de l’hôpital, ce que souhaitait Annie, et parodiant Grey’s Anatomy par moments, ont pour but de retrouver le véritable Abed.
Dans ces situations, une saute à l’esprit : Troy sous sérum de vérité. Il avoue où se cache Abed, mais un bon paquet d’autres trucs. La vidéo d’introduction est un des morceaux choisis, mais on évoque également son attirance pour Clive Owen, ou ses points Godwin récurrents. Le point d’orgue de cet épisode complètement fou.
Et l’épisode va encore durer 10 minutes complètement ancrées dans le Dreamatorium, au point qu’on finit par oublier qu’on s’y trouve réellement.
Level 2 : les relations
Comme je l’avais déjà relevé dans les précédents épisodes, un des arcs récurrents de la saison en cours concerne l’évolution des relations entre les personnages. On s’est attaché à l’amitié (Troy/Abed, Shirley/Jeff) mais aussi à l’amour (Troy/Britta, Annie/Jeff). Ces thématiques resurgissent en grandes pompes dans cet épisode via, encore une fois, les simulations d’Abed.
L’impact d’une seule de ces relations sur le groupe est en effet énorme, on l’a vu dans Pillows and Blankets avec le déchirement du groupe. En interprétant les personnages selon la perception plutôt objective qu’il a d’eux Abed retranscrit les relations citées plus haut d’un point de vue quasi-extérieur, proposant une sorte d’introspection de ces relations.
La principale cible, étant donné que l’intrigue se déroule autour d’elle, est Annie. Lorsqu’elle demande à Abed de l’emmener « là où elle veut », pensant retrouver Abed et non ses interprétations, on se retrouve là où tout a commencé entre Annie et Jeff : la fin de la première saison, la nuit de leur premier baiser. Et en tournant la situation au ridicule, Abed/Jeff réussit à faire prendre conscience à Annie sa vision de son supposé amour pour Jeff. Vision qui se développe lorsqu’Abed prend les traits d’Annie, offrant une véritable remise en question.
On finit alors le Dreamatorium sur l’amitié entre Annie et Abed, et l’on assiste à la naissance d’un lien jusque là trop peu exploité, une véritable relation de complicité lorsqu’Annie tend la main à Abed pour le sortir de son trou l’isolant du monde. Et l’épisode se termine sur la réunion de tous autour de la table, échangeant des regards complices sur les amitiés nouvelles et anciennes. Annie, enfin acceptée par Abed, se joint même à l’épisode de Troy and Abed in the morning !
Level 3 : le méta
Le dernier aspect que je souhaitais est celui qui semble le moins évident dans cet épisode. Même si par moments, les métaphores ne sont pas aussi subtiles, il y a tout une réflexion psychologique sur la quête du soi sous-jacente, et il était important de la relever pour montrer à quel point cet épisode est plein et profond.
Et tout cela réside dans une espèce de déstructuration de la série, abolissant toutes les conventions au regard des personnalités et des relations des personnages. On se rend compte que les perceptions qu’ont Annie et Abed des autres personnages sont totalement biaisées, et c’est par de subtils et profonds « mind games » (navré pour l’anglicisme, mais je n’ai pas d’équivalent français) qu’ils tentent de se faire découvrir mutuellement ces visions. Cela rejoint la confrontation Annie/Annie que j’évoquais plus haut.
Concernant Abed, on va encore plus loin, en tentant réellement d’expliquer qui est ce personnage qu’on n’a jamais réussi à cerner, par cette propension à lui-même se fermer au monde extérieur via sa bulle de séries télévisées. Et c’est le Dreamatorium, instrument que l’on pensait de délires simples, qui va se transformer en véritable révélateur de personnalités. Annie, après avoir critiqué Abed, se lance dans une recherche métaphorique (c’est celle-là qui n’est pas très subtile…), la menant à se comporter comme Abed pour retracer sa piste, et le retrouver enfermé dans un casier, isolé du monde. Elle finit par lui tendre la main et l’ouvrir à la réalité.
Le procédé le plus flagrant et le plus subtil dans cet épisode exprimant cette dé-personnalisation (après les anglicismes, les néologismes !) des héros, c’est le fait qu’à chaque réinterprétation d’un personnage par un autre, on voit la personne interprétée, mais on entend par moment l’interprète. C’est vraiment, vraiment très bien fait, et ça décontenance tout au long de ces 22 minutes.
Au final, Community nous livre un épisode ultra-conceptuel qui, pour cette raison, ne sera probablement jamais apprécié comme il se doit, mais qui, à mes yeux, a réussi à faire passer Inception pour un film nettement surcôté. Manier avec une telle originalité et une telle classe l’évolution des personnages, je dis bravo !
J’ai aimé :
- Le premier visionnage au premier niveau
- Le deuxième visionnage au deuxième niveau
- Le troisième visionnage au troisième niveau
Je n’ai pas aimé :
- Quand j’ai fini l’épisode pour la troisième fois et réalisé que je n’avais plus besoin de le revoir.
Ma note : 18/20, un petit chef-d’œuvre de 22 minutes, comme on commence à en avoir l’habitude de la part de Dan Harmon. Avoir autant de profondeur sur un aussi petit format, c’est du génie !