Critique : Mr. Robot 2.04

Le 06 août 2016 à 10:56  |  ~ 11 minutes de lecture
Mais qu'est-ce que Mr. Robot est en train de devenir ? Un véritable objet télévisuel inconnu, quelque chose de totalement nouveau qui se plaît à briser plusieurs codes pourtant bien ancrés dans le milieu.

Critique : Mr. Robot 2.04

~ 11 minutes de lecture
Mais qu'est-ce que Mr. Robot est en train de devenir ? Un véritable objet télévisuel inconnu, quelque chose de totalement nouveau qui se plaît à briser plusieurs codes pourtant bien ancrés dans le milieu.
Par PuckyPotts

Cette semaine, je vous propose une critique un peu différente. Nous n'allons pas parcourir l'épisode de manière thématique comme nous l'avons fait pour les trois premiers. Comme cet épisode marque clairement un tournant dans l'histoire qui avance enfin, nous allons, au regard des premiers épisodes, décortiquer quelques théories qui font de plus en plus sensation parmi les fans de la série. Puisque Sam Esmail a envie de jouer avec ses spectateurs, jouons avec lui. Ces allers-retours de théories entre l'équipe de la série et les fans montrent à quel point le format des séries rend important le visionnage en « temps réel ».

Je vais d'abord commencer par justifier ce choix. Je regrette de ne pas avoir plus insisté sur ce point lors des critiques précédentes, il est temps maintenant d'y revenir. Et avant toute chose, le personnage principal que nous voyons à l'écran, je vais maintenant l'appeler le narrateur. Elliot et Mr. Robot ne représentent pour moi plus que des personnalités différentes dont je suis bien incapable de dire laquelle est l'identité « réelle ». Cette distinction devient particulièrement importante.

Reprenons. Le narrateur ne nous fait plus confiance. Jusque maintenant, rien d'extrêmement novateur, les exemples de narrateurs incertains sont légion dans les œuvres de fiction. Ce qui l'est moins en revanche, c'est la véritable personnalisation du spectateur. Nous devenons un personnage à part entière. Notre omniscience toute relative devient un élément diégétique. En effet, le narrateur nous reproche de ne pas avoir été honnête avec lui, de lui avoir caché que Mr. Robot était son père, ce que nous avions découvert avant lui. La relation de confiance fonctionne dans les deux sens. Le quatrième mur n'est plus simplement brisé, il est reconstruit derrière nous, nous enveloppant en quelque sorte.

Fort de ce constat, il apparaît naturel d'évoquer quelques théories, en particulier lorsque l'on sait que Sam Esmail assume à 100% ses références cinématographiques, parmi lesquelles on peut compter des réalisateurs comme David Fincher, Stanley Kubrick ou encore Martin Scorsese. Impossible maintenant de le nier : tout ce que nous voyons à l'écran doit être questionné, rien n'est certain.

Je précise également que les théories que j'avance sont à la fois des théories que j'ai rencontrées sur le net et des théories que j'ai moi-même élaborées à partir de mon propre ensemble de références. N'étant pas vierge d'historique cinématographique (heureusement !), je ne peux m'empêcher d'y mettre du personnel et je vous invite alors à questionner et élaborer vos propres théories. Je considère en effet que c'est un exercice très intéressant que nous invite à faire ici Sam Esmail.

 

 

L'asile ou la prison

 

Il y a une théorie qui remporte un énorme succès sur le net. C'est la théorie de l'asile ou de la prison. Certains considèrent que le narrateur n'est pas en liberté. Adonnons-nous à la traditionnelle liste des indices. D'abord, l'environnement proche du narrateur : sa chambre quelque peu spartiate et exiguë. Ensuite, un personnage qui m'intrigue énormément : la mère du narrateur. Se pourrait-elle être en fait un gardien ? Elle n'intervient jamais, ne s'inquiète jamais des hausses de ton que peut avoir le narrateur. En parlant de hausses de ton, les personnages ne rencontrent le narrateur que dans la cuisine autour d'une table, une simple visite ? Même le téléphone ne semble servir que lors de coups de fils réguliers qui lui sont permis.

 

Elliot au lit.

 

Et les événements à l'extérieur alors me direz-vous ? Les repas avec Léon ? La pièce dans laquelle ils mangent pourrait très bien être un grand réfectoire. Elle y ressemble énormément dans tous les cas. Les matchs de basket ? C'est un lieu commun de la prison ou des asiles, ces fameux matchs de basket qui divertissent et maintiennent en forme les captifs. L'Adderall alors ? Est-ce que cela ne pourrait pas être des médicaments ?

Ray, Ray, Ray... Définitivement, le personnage qui m'interroge le plus. On sait déjà que Sam Esmail est un grand fan de Martin Scorsese. Et ce personnage me donne l'étrange impression de jouer un rôle similaire à celui du Docteur Cawley dans Shutter Island. Parce qu'un double spoil, c'est toujours mieux, dans ce film, on apprend que le personnage joué par Leonardo Di Caprio, fou, est mis dans la situation de sa vie précédant son internement pour tenter de lui faire regagner raison. Je n'ai trouvé cette théorie sur le net, mais est-ce que Ray pourrait être un docteur dans cet asile qui souhaite mettre en situation le narrateur ? Et pourquoi pas ?

 

 

The Seven Seals

 

Seconde théorie, la plus poétique. On sait que Sam Esmail se plaît à disséminer des références cinématographiques tout au long des épisodes en guise d'indices, on l'a déjà vu. La partie d'échec, point culminant de l'épisode, une scène magnifique par ailleurs, fait clairement référence à un film que personnellement, j'adore et que je vous conseille à tous et toutes de regarder, The Seven Seals ("Le Septième Sceau" en français) de Ingmar Bergman. Dans ce film, on voit se jouer une partie d'échec entre un chevalier croisé et la Mort.

 

Elliot et Mr. Robot jouent aux échecs.

 

Vous me voyez venir ? Mr. Robot représente la mort ? Non, ce n'est pas là où je veux en venir. Et c'est là toute la poésie de cette théorie : la Mort serait représentée par Elliot. Les symboles sont assez importants, par exemple la tenue que porte Elliot. En effet, comme dans le film suédois, la capuche est assez significative. Autre point, c'est le chevalier qui dans le film de Bergman challenge la Mort en lui proposant un va-tout, tout comme Mr. Robot le propose à Elliot ! Les formules empruntées sont d'ailleurs similaires.

Et si Elliot n'était depuis le début que la Mort elle-même ? Ce qui expliquerait pourquoi tant de personnages autour de lui meurent. Edward, Shayla, Gideon, Romero. Le narrateur s'inquiète en effet que tous ses « amis » meurent les uns après les autres et qu'il pourrait en être la conséquence directe. Je trouve cette théorie poétique. C'est mon âme de révolutionnaire : la révolution a son prix, et la destruction des dominations sur Terre est accompagnée de son fardeau.

 

 

Je suis perdu !

 

Avant de clore cette critique, une ou deux choses. J'ai pu voir mentionné qu'il se pourrait très bien que le héros du show ne soit nul autre que Mr. Robot lui-même. Après tout, la série porte son nom. Si c'est lui qui défie la Mort aux échecs, ce devrait être lui qui cherche à se débarrasser de cette mauvaise identité que serait Elliot. D'où l'importance d'utiliser cette notion de narrateur. En tant que spectateur, il est aujourd'hui impossible d'identifier laquelle des personnalités du narrateur est sa personnalité véritable, si tant est qu'il en ait une.

 

Mr. Robot

 

Vous le comprenez, je ne sais plus à qui me fier. Je sais que Sam Esmail a fait un boulot qui me touche très efficacement, je suis perdu. Pour le moment, je vais me raccrocher au même rêve que le narrateur. Cette scène complètement irréelle avec une version de Twinkle Twinkle Little Rock Star en mode berceuse de Basket Case de Green Day (dois-je mentionner que cette chanson prend place dans un asile ?) en fond sonore apparaît fausse. Mais nous devons nous en contenter pour le moment. Le narrateur nous fait même l'honneur de nous y faire une place.

Toutes ces théories sont bien belles. Certaines sont réellement intéressantes et ont le mérite d'initier un jeu entre l'équipe de la série et les fans. Mais ce jeu auquel se prête volontiers l'équipe est la meilleure preuve que toutes ces théories ne sont sûrement pas vraies. Sam Esmail veut se jouer de nous, c'est une évidence. Il pourra considérer qu'il aura réussi son tour de force s'il réussit à bluffer le plus de personnes possibles. Il y a tellement d'éléments qui alimentent ces théories, en particulier celle de l'asile/prison, qu'elles ne peuvent être que trompeuses. Personnellement, je me demande même si ce n'est pas le narrateur qui essaie de me tromper en me faisant croire qu'il est en prison. À suivre !

 

Mr. Robot m'apporte plus de raison. Cette note, elle est personnelle. Au-delà des qualités formelles de la série, le show me fait poser ces questions qui restent et qui trottent dans mon esprit. Des questions existentielles. L'énorme bagage culturelle que Sam Esmail embarque avec lui est impressionant. Rarement dans une série, j'aurai eu l'impression que chaque élément de chaque plan, tant du point de vue technique que du point de vu sémantique, soit à ce point réfléchi. Mr. Robot m'a définitivement embarqué pour sa deuxième saison, mais malheur au narrateur, je suis toujours plus méfiant.


J'ai aimé :

 

  • Toutes les références cinématographiques.
  • L'utilisation des musiques, toujours plus intelligente.
  • Le narrateur, de retour aux fourneaux ?

 

Je n'ai pas aimé :

 

  • J'ai l'esprit tout chamboulé !

 

Ma note : 16/20.

 

 

Le coin du Techos

 

  • init 1 : petit moment d'émotion, init 1 est la première commande que le narrateur a appris à Darlene. Pour faire simple, init est le premier processus que les systèmes Unix lancent lors du boot. Tous les autres processus en découlent. init 1 démarre en mode superutilisateur unique sans aucun service réseaux. C'est en quelque sorte l'équivalent du mode sans échec sous Windows. Ce mode est essentiellement utilisé pour corriger des anomalies. C'est intéressant de voir que, sans nécessairement connaître cette commande, on comprend tout de suite que c'est un appel à l'aide de la part de Darlene.
  • Proxy : plus connu, un proxy joue ni plus ni moins le rôle d'un intermédiaire entre deux machines. Ici, les proxy sont des serveurs permettant d'accéder à internet.
  • Access Point Name : pour faire simple également, APN est le port utilisé par un mobile pour accéder aux données mobiles internet. Il est aujourd'hui compliqué d'accéder sur les téléphones à la configuration de l'APN, des utilisateurs ayant tenté d'accéder gratuitement à internet par le passé à l'aide de serveurs proxy.
  • Internet Relay Chat : c'est un protocole de communication. C'est en gros un chat qui peut servir de salle de discussion en groupe ou en un à un. C'est un réseau IRC que le narrateur utilise pour communiquer avec Darlene sur l'ordinateur de Ray. Vous pouvez d'ailleurs reproduire la conversation sur ce site et ainsi découvrir une réponse supplémentaire du narrateur qui semble confirmer le hack du FBI.
  • Test d'intrusion : pentest en anglais, on découvre que c'est le premier boulot du narrateur. Le TI permet d'évaluer la sécurité d'un système. Le but pour un pentesteur est d'exploiter les failles d'un système pour tenter d'en évaluer les risques liés. Il est plutôt mal vu qu'un pentesteur face tomber un système (selon la gravité, ça peut faire rire, mais le pentesteur se fait quand même tirer les oreilles), ce qui est arrivé au narrateur et a mené à son renvoi.

 

 

Fun facts

 

  • En faisant pause sur les instructions que Ray tend au narrateur, on se rend compte qu'elles sont exactes !
  • On apprend que le FBI est passé de Blackberry à des systèmes Android, comme dans la vraie vie.
  • Les mots croisés de la mère d'Elliot possèdent quelques secrets également.
  • Vous pouvez voir le film fictif, Carreful Massacre of the Bourgeoisie.

L'auteur

Commentaires

Avatar Galax
Galax
"Mais ce jeu auquel se prête volontiers l'équipe est la meilleure preuve que toutes ces théories ne sont sûrement pas vraies. Sam Esmail veut se jouer de nous, c'est une évidence. Il pourra considérer qu'il aura réussi son tour de force s'il réussit à bluffer le plus de personnes possibles." Huuuum tu vois je suis loin, loin d'être sûr. En saison 1 il avait au contraire pris tout le monde à contre-pied en faisant finalement exactement ce que tout le monde attendait : le twist où le héros a en fait perdu un peu la boule, doublée de la fameuse scène "OMG you're my sister". Je ne crois pas que c'est l'objectif de la série d'être imprévisible dans son scénario. Je pense qu'elle aime être surtout imprévisible dans sa direction : Angela qui passe de vouloir faire un procès à E. Corp à essayer de gravir leurs échelons, par exemple. Mais elle aime jouer sur l'attente et la connaissance du spectateur omniscient, donc je ne serai pas surpris qu'on apprenne par plus de détails qu'Elliot est en fait enfermé, et que quand ce dernier l'apprend et apprend qu'on l'a toujours su, pète encore plus un câble. Du coup, je pense véritablement que la théorie asile est réelle. Et tout à fait juste le parallèle avec Shutter Island (<3). Super l'avatar, sinon ;) Enfin !

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PuckyPotts
Je vais essayer de retrouver un article qui en parlait justement. Il se basait sur des interview et des tweet de l'équipe qui avait bien conscience d'avoir été "prévisible" en première saison et de vouloir jouer avec le spectateur. Pour le parallèle avec Shutter Island, je trouverai ça énorme, mais j'avoue que pour le coup cette théorie j'ai rien trouvée dessus et elle vient de moi. Wait&See !

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