The coolest man on the world
Des histoires de flics hantés par leurs démons intérieurs, il y a plus original pour vendre une série. Pourtant, Luther est bien plus que ça. Pourquoi ? D'abord parce que la série repose sur les (larges) épaules d'Idris Elba, acteur britannique repéré en 1998 dans l'excellente mini-série Ultraviolet. Six épisodes au climat glacial où il incarnait un militaire reconverti en agent du gouvernement britannique qui pratiquait la chasse officielle des vampires.
Un rôle où il en imposait par sa présence physique. Et quel physique ! (Oui, le rédacteur est une rédactrice, et assume totalement). Mais un rôle qui, au final, ne lui a pas laissé le loisir de montrer une grande palette d'émotions. Car il est, dans Ultraviolet, le bras armé de l'équipe : impitoyable, incorruptible et surtout monolithique, dont le seul but est de chasser (et tuer) du vampire, et notamment Stephen Moyer, déjà suceur de sang, dix ans avant True Blood.
Mais revenons-en à Idris Elba. Là, où, pour moi, cet acteur a pris toute sa mesure, c'est dans The Wire.
Dans le rôle de Stringer Bell, le bras droit de l'un des principaux dealers de drogue de Baltimore, Idris Elba a déployé ses ailes. Il est impérial en grand criminel avide de savoir et d'élévation sociale, qui prend des cours à l'université et essaie d'appliquer les principes d'économie de marché au trafic de drogue. Il faut le voir retranscrire, avec toute la patience qu'il peut trouver, le principe d'une clientèle captive à une troupe de petits dealers perplexes.
Stringer Bell est un personnage complexe, intelligent, violent, qui possède une soif d'apprendre et de s'élever, mais peut revenir très vite aux méthodes les plus primaires. Un personnage qui éclipse, et de loin, son ami d'enfance et associé Avon Barksdale.
Pour résumer, un personnage de grande classe.
Tout ça pour dire, Idris Elba est un grand acteur, au propre comme au figuré. Un type charismatique qui imprime son visage et sa présence sur une pellicule, juste en fixant la caméra. « The coolest man in the world », comme l'appelle la journaliste du Telegraph.
Je sais, ce focus ne lui est pas consacré, mais ce n'est par hasard que je fais une aussi longue disgression.
Tragédies en séries
En effet Idris Elba est au coeur du projet Luther. Il en est l'acteur principal, le producteur et il a sans nul doute rapporté de son expérience américaine (et notamment de The Wire) une propension à raconter des tragédies habillées en séries policières.
Car Luther, c'est ça. Si dans The Wire, nous étions dans la Grèce Antique, où chaque personnage ne peut faire autrement que de tisser et suivre le fil de sa propre tragédie, ici, les racines remontent à Shakespeare. Tout y est, d'Othello à Macbeth : la fascination pour le mal, les forces sombres incarnées non pas par trois sorcières, mais par Alice et les autres psychopathes, la trahison des proches, la jalousie... En bref, une trame qui court sur six épisodes et qui, on le devine, va se terminer par une destruction. Et c'est bien ça, ce basculement vers le côté obscur, qui est intéressant dans Luther, plus que les enquêtes elles-mêmes.
De fait, même si Luther est brillant, et quelquefois même trop, on est loin d'un whodunnit type the Mentalist. Ici, les criminels nous sont connus depuis le début, et ce qui nous intéresse, c'est bien la façon dont Luther et ses acolytes vont les confondre, et encore plus les moyens mis en oeuvre.
La série, pourtant, arrive à délivrer un certain suspense, mais franchement, on ne pouvait en attendre moins de la part de Neil Cross. Son nom ne vous dit rien ? C'est pourtant lui qui a écrit Spooks (MI-5 en français), la remarquable série britannique sur leurs agents secrets. Une série qui n'hésite pas à sacrifier des personnages principaux, et à jouer dans les gris, voire dans le noir avec les sentiments et la moralité de ses héros. Qu'en est-il pour Luther ?
Devil inside
John Luther est donc un flic. Un flic brillant, aux intuitions quasi magiques quand il s'agit de coincer des tueurs en séries et autres psychopathes. Mais un flic abimé : il vient de passer plusieurs mois en hôpital psychiatrique, sa femme est sur le point de le quitter...
Car John Luther a commis une erreur. Ce que l'on découvre dès la première scène. Celle-ci est sans doute très près d'un cliché éculé : le flic qui hésite à laisser crever un tueur en série, et finit par se dire que le monde se portera mieux avec un monstre de moins, on connait depuis Dirty Harry. Mais au final, peu importe, car cette scène d'ouverture n'est qu'un prétexte à nous préparer à ce dont est capable Luther quand il poursuit un but.
Autre écueil, la facilité avec laquelle le personnage principal, un très brillant policier, identifie les criminels et leurs motivations. Elle m'a agacée un moment, parce que, quand même, on a beau être intelligent et intuitif, on ne repère pas les très brillants psychopathes sur une expression, et puis, la difficulté à résoudre l'enquête, c'est quand même un plus pour le plaisir du spectateur.
Mais cette espèce d'infaillibilité de Luther est finalement assez réjouissante quand on la compare à l'aveuglement dont il peut faire preuve avec ses proches. Car sa faiblesse, c'est que ses émotions viennent entraver, un peu trop souvent, son jugement.
Et puis, nous l'avons dit, certaines enquêtes ne sont que des prétextes à mettre en place les différents protagonistes et leurs liens : la loyauté, la fascination, les alliances, les jeux de pouvoir et de mensonge...
Sympathy for the devil
La grande réussite de Luther, pour moi, c'est son ennemie intime, LA méchante de la saison 1, du moins celle que l'on nous présente ainsi : Alice Morgan (Ruth Wilson). Voilà un vrai méchant, intelligent, complexe, et qui arrive même à susciter une certaine sympathie. Alice est à la hauteur du héros et le surpasse quelquefois.
A tel point que Luther va rapidement laisser tomber l'idée de la coincer.
Mais, et c'est là que la série commence véritablement, c'est alors elle qui va se mettre en chasse. A-t-elle reconnu en Luther un alter-ego ? En tout cas, elle veut rester au centre de son attention.
Elle parvient à coup sûr à rester au centre de la nôtre. Ruth Wilson est une merveille d'actrice, capable de passer de l'innocence à la perversité en un quart de seconde.
Et même si elle a tendance à mimer les expressions d'Ann Boleyn dans les Tudors, et notamment à faire la moue avec ses lèvres, elle est remarquable dans la série, et forme avec Idriss Elba un duo qui fonctionne vraiment bien.
Seconds rôles mais pas seconds couteaux
Au delà du duo de tête, la série développe plusieurs seconds rôles, dont certains gagnent au fur et à mesure en épaisseur.
Entre l'ami de toujours, la chef loyale et rigoureuse, le bleu pétri d'admiration, la femme infidèle et le rival, on aurait pu craindre une succession de clichés, mais la série et ses protagonistes montent en puissance tout au long de la saison, et certains d'entre eux révèlent des qualités (ou des failles) insoupçonnés. Avec, pour certains, assez de mystères pour espérer de nouvelles storylines en saison 2. Notamment pour Ripley, le jeune partenaire de Luther, qui a l'air de promener de sacrées valises, les seules à même d'expliquer une loyauté aussi grande.
The BBC touch
Je ne sais pas si elle existe vraiment, la BBC touch. Ce que je sais en tout cas, c'est que la BBC a soigné ses productions 2010. Après Sherlock, voici encore un produit série bien emballé, bien réalisé. Et qui nous montre un Londres froid, gris, hostile, de béton, d'acier et de buildings. Avec des plans de rues bondées qui vont finir par devenir aussi connus que ceux des rues de NY.
Comme dans Sherlock, le générique est remarquable. Un petit bijou vite identifiable, qui fait la part belle à l'ambiance. Le héros, lui, est stylisé, réduit à une silhouette et un regard (quand c'était les reflets dans Sherlock). Le tout est orchestré par Massive Attack, et ça donne ça.
Quant aux choix musicaux, comme ça a été dit sur le site, c'est brit, donc c'est bon. En fait, la musique dans Luther est plutôt discrète et n'apparaît finalement que dans le dénouement, dont elle est un élément majeur, souvent en remplacement des dialogues. Et qui se charge d'écrire ce texte de fin ? Au choix, Sia, Muse ou encore la divine Nina Simone. Bref, plutôt des pointures.
Seul regret, comme dans Sherlock, la production a décidé de terminer sur un cliffhanger, laissant les fidèles spectateurs dans une longue longue attente pour connaître le sort réservé aux protagonistes.
C'est un reproche, et c'est l'un des seuls que je ferai à Luther. Parce que j'ai adoré voir la série la première fois, et que je la revisionnerai sans peine juste avant la deuxième saison, prévue dans quelques mois. J'espère que je ne serai pas la seule.