Round 1 : Don Draper
- Don trompe sa femme, sa femme le sait mais ne fait rien.
- Don fume des clopes.
- Don boit un verre.
- Don doit trouver une pub pour une marque, au final c'est quasiment toujours Peggy qui trouve le petit truc en plus qui claque.
- Don fume des clopes.
- Don boit un verre.
- Le reste n'est qu'intrigue sans grand intérêt.
- Don fume des clopes.
- Don boit un verre.
Mais si nous commençons par parler de Don Draper, alors allons directement droit au but. Don Draper boit, fume, a l'apparence d'un être indestructible.
Pourtant, Don Draper est avant tout un mystère, le personnage le plus fascinant et mystérieux qui soit, et la série fixe dès le générique la vraie nature de Don Draper. C'est avant tout un homme en souffrance car il n'est qu'un fantôme, un homme qui a renié son passé et masque derrière une apparence inamovible et cynique une souffrance invraisemblable.
Prenons une scène type, celle où il a un accident de voiture avec sa maîtresse (saison 1 je crois mais je peux me tromper). Don, plutôt que d'agir humainement, fonctionne comme un homme qui s'acharne à garder son masque et refuse de baisser sa garde. La chaos a beau s'abattre sur lui, il reste inamovible, quoi qu'il arrive. Le mystère de Don Draper, cet être vide qui n'est qu'apparence, voilà ce qui me fascine dans Mad Men (Don Draper étant l'incarnation de l'idée même d'une publicité).
Du coup, Mad Men est une série frustrante, portrait d'un homme qui n'est qu'apparence et renvoie à notre propre fascination pour le paraître plutôt que pour l'être.
Pour revenir à ce que tu disais, oui Don fume, oui il boit, oui il trompe sa femme, oui sa vie est horriblement monotone, mais elle est aussi un appel au secours permanent d'un être au bord du gouffre. J'aime Mad Men car je suis une personne comme Don Draper, je cache beaucoup, je ne dévoile rien avec les personnes. Son histoire est mon histoire et chaque épisode de ce soap incroyablement mélodramatique me renverse totalement.
Alors c'est marrant parce qu'on a pas du tout la même vision de Don. Moi j'y vois surtout un homme horriblement banal en proie à toute la société de consommation qu'il va prôner dans son entreprise (cigarettes, whisky, différence...). Loin d'être intelligent, et complètement dépendant de la société dans laquelle il vit, alors qu'il se donne l'image inverse. Une sorte de bobo des années 50 au final (et personnellement je trouve pas ça très intéressant).
Ce qu'on nous livre sur son passé au début de la série est soit inintéressant (son frère), soit ridicule (son changement d'identité), et pour le coup vraiment très peu subtil.
Je suis loin de le trouver approfondi, et bien souvent ce que tu expliques est plus intéressant que ce qu'on nous montre dans la série, donc peut-être tu es très bon visionneur et tu comprends absolument chaque mouvement de Don comme voulait le montrer les scénaristes (et je trouve qu'ils devraient te recruter pour vendre le personnage), soit son personnage n'est pas si profond qu'il y parait, et c'est uniquement votre imagination qui le construit.Si tu résumes Mad Men uniquement au personnage de Don c'est bien dommage car pour moi il est loin d'être le plus intéressant du show. Mais malheureusement, il est au centre de tout. Tu défends ton petit Don, et c'est tout à ton honneur, mais sa vie mérite t-elle d'être au centre de ce show ? Quoi de plus banale comme vie pour l'époque ? (je parle bien sûr de sa vie de tout les jours).
Round 2 : Mad Men, un soap et c'est tout ?
Au-delà du fait que cela affaiblit plus les personnages que cela ne les renforce (je préfèrerais largement que l'histoire de Campbell soit étoffée comme celle de Joan plutôt que de nous balancer à la gueule des banalités sur les autres), leur côté caricatural rend du coup les intrigues assez vaudevillesques, du genre qui va faire un croche-patte à l'autre, qui va baisouiller avec qui…
Ces différences de traitement entre les intrigues m'ont rendu pénible la vision de certains épisodes. En fait j'aurais préféré que le casting soit plus resserré avec des personnages à thématiques fortes que l'on apprendrait à connaître (et reconnaître) d'épisode en épisode au lieu d'avoir constamment un gouffre entre le binôme Don-Peggy et les autres qui nous font du Desperate Housewives. Je ne trouve pas que Mad Men est une série soporifique dans le sens où justement, il y a beaucoup de mouvement, de rencontres, d'affrontements. Malheureusement il y en a jusqu'à écœurement et je trouve que ce bourdonnement rend inaudible le propos de la série.
Pour revenir au show en son entier, il aura fallu attendre 3 saisons et donc 39 épisodes, pour avancer un peu dans l'évolution des personnages. Enfin, je dis des personnages, uniquement Don et Betty, le reste est négligé ou négligeable, au choix.
Weiner a la sale habitude, en effet, de lancer des pistes avec plus ou moins de conviction et de donner l'impression d'aller à la pêche. Mais cela peut être vu aussi vu comme un désordre bourdonnant ou comme une forme de générosité. Tout dépend si la structure permet de donner au tout une apparence convenable, domaine dans lequel les saisons 3 et 4 sont bien supérieures aux premières.
Mais je joue beaucoup sur les détails, ton argument est très juste. Après tout, une série est rarement totalement maîtrisée, elle porte la marque de l'inspiration de l'instant et c'est ce qu'on aime chez elles. Rares sont les séries aui prennent le temps de donner une certaine clarté au récit, quitte à ennuyer ceux qui n'aiment pas que l'on dise trois fois la même chose (attention, ce n'est pas du tout un reproche).
@Fafa : Concernant les personnages pas assez creusés, je ne peux qu'être en désaccord. Ils le sont, mais pas dans le style habituel des autres séries. Prenons Campbell par exemple (saison 2) après l'accident d'avion de son père. Vous allez me dire "Son père est mort et alors ? Qu'est ce qu'on apprend de plus ?". Rien, mais si vous réfléchissez bien, au même moment sa femme désire un enfant. Chaque scène doit être vue dans Mad Men selon cette focale double. Ce passage où la PanAm vient à Sterling Cooper pour faire sa pub alors que son père a connu cette issue dramatique nous dit des millions de choses sur Peter Campbell. Je dois avouer que la saison 1 ne m'avait pas rendu le personnage sympathique, mais dire qu'il n'a pas de profondeur... non, là je ne suis pas d'accord.
Quant à trouver la série lente, je ne suis que partiellement d'accord. Je dirais plutôt que Matthew Weiner a un léger goût pour la coquetterie et joue parfois à allonger des choses inutilement. Je ne cacherai pas que les amourettes équines de la femme de Don Draper m'ont en partie bien ennuyé.
Round 3 : Et la publicité dans tout ça ?
- A l'agence, ça fonctionne toujours sur le même schéma, et je rejoindrais Fafa : on a un client, une réunion autour d'une table avec un verre de whisky et l'équipe artistique, puis une inspiration heureuse de Don ou Peggy.
- A la maison, Betty a ses petites histoires pas vraiment passionnantes, les gamins qui désobéissent etc... Bref, n'allons pas plus loin : du Desperate Housewives.
Mais il faut voir plus loin. L'intérêt, sur ces premières saisons, c'est l'idéalisation qu'on peut se faire des années 60. Autrement dit : tous les hommes rêvent d'être Don Draper. Tous les hommes rêvent d'avoir une société de consommation naissante à leurs pieds. De demander, à peine arrivé au bureau, clope au bec, à leur secrétaire bien roulée de préparer un whisky avec glace bien frappé, tout en tapant un mini-golf avec ce vieux Roger qui en balance une bien bonne sur le client juif qui s'apprête à demander de lui expliquer comment écouler ses millions de Lucky Strike. Sans nous, il ne les vendrait pas. Tous les hommes rêvent de rentrer, après un détour par le Waldorf avec leur maîtresse, retrouver, clope au bec, leur magnifique femme au foyer et leurs chérubins bien éduqués.
Alors, en 2011, à l'heure où les restrictions et interdits sont de plus en plus nombreux, on se dit (spectateur lambda) en regardant Mad Men, que les sixties, c'était le bon temps. Et du coup, on a envie de revenir voir ce qui s'y passe la semaine suivante, dans ce monde parfait où tout est beau, des costumes aux décors en passant par les acteurs (par leur jeu comme leur physique), sans parler de la reconstitution historique sans faille qui permet une immersion encore plus profonde.
Oui là je parle de marketing, mais en connaissance de cause car je sais que le succès (public- car il existe) est lié en très grande partie à cette idéalisation de l'époque, voire nostalgie pour certains. C'est indéniablement le point fort de la série. Cela ne plaira pas à tout le monde. Mais en général, pour le grand public, la forme fait la différence. Et là-dessus, rien à redire.
Pour prendre un exemple comique, vous avez tous déjà dragué une jeune femme/homme charmant, à première vue sympathique. Mad Men résume la publicité à ça, dans le monde des années 50, il faut séduire les femmes (la ménagère, vous connaissez l'expression) et pour cela, il faut que l'apparence soit impeccable, qu'elle ait cette classe, ce mélange de douceur et d'agressivité qu'ont les slogans de Don Draper.
Un autre exemple en saison 1, la publicité sur les cigarettes en plein scandale sur la santé publique. D'un côté, une industrie florissante, symbole de l'Amérique (le cowboy Marlboro, James Dean, Gilda) de l'autre, les premiers échos des conséquences de la cigarette. C'est un moment fort où la série montre comment les Mad Men esquivent un débat moral important pour se ramener à un seul mot : "Roasted". Quelle classe, quelle style, c'est simplement génial et ignoble à la fois ! Ce sont des "Mad Men", des gamins qui jouent avec l'inconscient collectif, des monstres qui font le lien entre les Trente glorieuses et notre époque actuelle.
Pour moi on passe le plus clair de notre temps à suivre des gens qui ont matériellement tout pour être heureux et qui se rendent compte de façon toujours plus brutale de la dimension de mascarade de l'ensemble. Tu parles de la dimension de paraître (pare-être) de Don dans ton développement et c'est vrai qu'il y a parfois des moments très intéressants à ce sujet dans Mad Men, mais au final à part répéter encore et encore que cela ne marche pas, qu'il y a un truc qui cloche, le thème n'est jamais réellement traité. A tel point que j'en viens à me demander ce qui pourrait différencier Don Draper et le Gatsby de Fitzgerald (le culte des apparences, un passé qui interroge, une fêlure immense) alors qu'ils opèrent dans des coordonnées sensiblement différentes. Après tout, compte tenu de ce qu'on nous raconte, Don serait autant dans la merde s'il était charcutier à Villetaneuse.
Au niveau du contexte historique, il serait malhonnête de cacher que Mad Men a ce souci de bien situer son récit dans une époque, que ce soit au niveau visuel (décors, costumes, description du mode de vie, etc…) ou au niveau narratif (images télé, journaux, discussions…). D'ailleurs ton éclairage sur les élections Nixon/J.F.K. est pertinent (je ne connaissais pas les racines Quakers du premier). Cela nous permet de voir une mutation de la société américaine/occidentale. C'est très bien mais cela soulève quelques questions : Sont-ce ces libertés (raciale, féminine, sexuelle) en marche qui entraînent un nouveau rapport à la consommation ? Est-ce le contraire ? Est-ce que les deux s'influencent réciproquement ? Or, il me semble qu'à aucun moment une tentative de réponse n'est donnée, ni suggérée. Alors on peut me rétorquer que cela reste à la libre interprétation du téléspectateur. Moi, je pense que c'est limiter son propos. Et c'est dommage. Autant faire un documentaire sinon.
Mais prenons Twin Peaks que tu connais bien. Ose me dire que si la série donnait toutes les clés, tu la trouverais aussi intéressante. Mad Men est forte car elle contient un mystère, elle incarne un fantasme, et nous parle de la pub sous forme explicite par moment (les exemples judicieux que tu as donnés) mais essentiellement implicite (le jour où Draper ne pourra plus séduire de femme, sa carrière sera finie). La publicité est plus que du simple merchandising (même si je regrette aussi que ce point ne soit pas plus développé, là tu as raison) elle est surtout dans le comportement et dans l'identité de chacun des membres de Sterling Cooper.
Round 4 : Un succès mérité ?
Je me souviens de l'époque des Sopranos où la domination du show sur les autres était incontestable (tout comme celui de la HBO). Les critiques américaines aiment les soap drama plus que tout et méprisent l'imaginaire comme BSG entre autre, c'est une certitude. Mais je ne suis pas sûr que tant de critiques que cela encensent Mad Men (j'ai déjà vu quatre articles qui accusent la série d'être ennuyeuse. Bon, c'est dans 20 ans, mais c'est déjà ça !). Je pense que la subtilité et l'intelligence du show lui ont valu ce qu'il méritait, c'est à dire l'estime des "critiques spécialisés", mais il ne peut pas en espérer plus.
Car Mad Men est une série un rien poseuse, un peu prétentieuse, peut-être... mais elle a la prétention qu'elle mérite. Soap de qualité, possédant une classe hors norme, elle sélectionne son public... Peut-être est-cela qui vous énerve dans le succès de Mad Men, qu'il y ait quelque chose qui vous échappe ? (Dis donc je suis arrogant aujourd'hui.) Peut-être est-ce cette arrogance qui vous énerve ?
Tu dis également que la série "sélectionne" son public, et que ce sont que les critiques "spécialisés" qui l'admirent et pas le grand public (qui n'a "jamais vraiment suivi la série"). Mais vu que AMC avait fait ses meilleures audiences avec Mad Men, je dirais que non, la série n'est pas regardée que par des gens "spécialistes" (3 millions de téléspectateurs pour la saison 3 tout de même).
En fait ce que je reproche et ce que tu démontres également sous le coup de l'humour certes (mais c'est révélateur, donc merci de l'avoir fait), c'est que les critiques essaient de mettre cette série sur un piédestal sous prétexte qu'elle traite de sujets assez bobos. "Nous tu comprends on parle de la publicité, comment on a appris à manipuler la populace, et si tu trouves pas cette série aussi exceptionnelle que nous, c'est parce que t'as vraiment rien compris..." (à prononcer avec une voix hautaine). Non moi je n'aime pas cette série, non pas parce que je ne la comprends pas, mais parce qu'elle est superficielle et qu'elle reste en surface, ce dont tu sembles compenser avec ton imagination pour les personnages (que je trouve plus intéressants que ceux de la série d'ailleurs).
On a cette désagréable impression que tout le monde aime Mad Men parce que c'est justement toutes les personnes qui travaillent dans des magazines, dans des journaux, en gros tous ceux qui ont un rapport avec les médias et la publicité qui vont trouver in de se reconnaître dans la série. Franchement à part trois exceptions, tu vas trouver 98% des magazines et critiques qui idolâtrent la série au final.
Et à vrai dire je trouve ça plutôt marrant de les voir tomber dans le même schéma que celui que tente d'expliquer la série. Dans la série c'est les gens qui achètent les produits pour ne pas être des losers. Dans la vie c'est les critiques qui admirent la série parce que leurs copains le font, et qu'il ne faudrait surtout pas qu'on croit qu'ils n'ont pas compris la série, alors qu'ils se ressemblent tellement Sterling Cooper et eux, autour de leur table dans leur costard en train de boire du whisky.
Pour conclure plus poétiquement mon avis là-dessus, les critiques et Mad Men, c'est quand même de la grosse branlette.
Si l'on prend l'exemple du Golden globe de la meilleure série, il est effectivement surprenant de voir que Mad Men est la seule à obtenir trois fois cette récompense. Le fait que le patron d'AMC, nouvelle chaîne avec une nouvelle ambition, ait une certaine influence est indiscutable. Mais on remarque vite une chose en regardant la liste des primés.
Les prix ne vont qu'à celles qui savent faire la différence, que ce soit par l'image, le ton ou une certaine idée de la narration. Quelle série peut se dire semblable à Mad Men ? (au niveau forme, ambiance...) Pas grand monde. Assez atypique, elle séduit une catégorie de la population (jeune cadre 30 ans à 50 ans) habituellement peu intéressée par les séries TV. Pour un fan de Bergman comme moi, Mad Men est une série qui raconte beaucoup par des détails discrets, par un style de narration que j'adore, une lenteur que je ne trouve que dans cette série. Seule la géniale Rubicon (je ne me remettrai jamais de son annulation) possède cette forme plutôt lente et planante, donnant à l'intrigue le rythme qui me convient le mieux.
Alors certains se lèveront en criant prétentieux, frimeur, bobo, ou pour citer un type sur un forum d'un autre site ("t'es 1 con qui crois qui sé, mè qui sé rien, parce qu'il é trop con"). Je préfère citer dans le texte une telle poésie. Ceux qui pensent que les fans de Mad Men sont des bobos prétentieux n'ont rien compris, j'espère que mes participations précédentes l'ont bien mis en valeur. Les fans de Mad Men savent juste que dans un monde où le taux 18-25 est roi, il est agréable de voir des créations marginales récompensées.
Finalement, nous sommes tous quasiment d'accord pour dire que Mad Men ne méritait par forcément toutes les récompenses qu'elle a obtenues, mais le système de récompense est vraiment trop subjectif pour être jugé finalement. Est-ce que ce sont les séries (ou films) grand public ou à succès qui gagnent ? Je le pensais à une époque (aux Etats-Unis, bien sûr pas en France) mais cette époque est, je le crois, révolue. Les récompenses vont beaucoup plus aux reconstitutions historiques plus ou moins réussies (y'a qu'à voir le nombre de films historiques récompensés aux Oscars). A chaque époque sa mode, cette mode passera, on regrettera juste que certaines séries n'aient que des miettes et pas forcément tout le mérite auxquelles elles auraient droit.
C'est fini ! Alors maintenant Mad Men, Don Draper ou Don ton cul, à vous de voir. (Et oui heureusement que OSS était présent dans ce débat pour choisir une belle phrase de conclusion).