Pour ceux qui ne le connaissent pas, Ricky est un anglais venu du stand up, acteur, producteur, scénariste et réalisateur. Et un génie comique à mes yeux.
Ses faits d’armes sont les séries The Office, Extras (les deux ont été écrites avec Stephen Merchant qui créera ensuite Hello Ladies), Life's Too Short et Derek (que je n’ai pas vue, ma conscience professionnelle fait que je n’en parlerai donc pas). Là où Ricky excelle – sa patte à lui – c’est le rire gênant, l’humour qui met mal à l’aise, le comique basé sur l’humiliation. Pour donner une idée représentative, voici une vidéo d’un épisode de Louie, où il apparaît en guest-star et fait ce qu’il fait le mieux : être méga lourd (et méga drôle).
Cette faculté à toujours aller trop loin dans l’humour inapproprié et à sortir les pires horreurs du monde, David Brent de The Office l’avait, Warwick "Willow" Davis dans Life's Too Short aussi, et Andy Millman d'Extras, dans un degré moindre, pareil. Personnellement, c’est une forme d’humour que j’affectionne, qui m’éclate bien. Mais le souci est que, sur la durée, ce style grinçant a souvent du mal à tenir debout, à se renouveler. Et à chaque fois, les séries écrites par Gervais se sont progressivement effondrées sur elles-mêmes.
Quoi, ma gueule? Qu’est ce qu’elle a ma gueule ?
Pour essayer de comprendre où est le problème, comparons les deux versions de The Office.
À l’origine créée par la team Gervais & Merchant, avec Gervais dans le rôle principal, la série a été adaptée aux USA (et produite par Gervais) et Steve Carell reprend le rôle du chef lourd qui enchaîne les inepties honteuses et dépite ses employés par son humour déplacé. La version UK n’a duré que deux saisons (+ un épisode de Noël) tandis que sa petite sœur a tenu neuf saisons (avec peut-être une ou deux de trop). Pourquoi ? Parce qu’en plus d’être entouré de personnages secondaires plus développés, Michael Scott, tout lourd qu’il est, reste humain et possède une forme de sensibilité, des moments de faiblesse derrière ses comportements plus que limite. On finit par ressentir de la sympathie pour lui.
Alors que David Brent a un caractère plus aigri, plus noir et devient de plus en plus méchant et méprisant. Le personnage, à force d’égoïsme et de comportement infantile, finit par devenir imbuvable, notamment sur la saison 2, où sa jalousie envers son nouveau boss beau gosse, plombe la série. Cette trajectoire descendante arrivera aux autres séries que sont Extras et Life’s Too Short. Après s’être bien marré au début, puis de moins en moins, on est chaque fois un peu soulagé de voir la fin des shows arriver.
Gervais a donc des tics d’écriture qui posent problème sur la durée. On peut aussi ajouter que ses personnages féminins sont assez mal écrits, souvent limités à l’écervelée de service, et on ne le sent pas du tout à l’aise avec l’homosexualité. Mais entendons-nous bien, j’adore vraiment l’humour mordant de Gervais (je suis toutes ses productions) et il est vraiment capable de fulgurance, d’écrire des scènes hilarantes. Mais il est comme un marionnettiste qui, après s’être amusé avec ses personnages, s’en lasse et commence à les traîner plus bas que terre, en les rendant de plus en plus pitoyables et pathétiques. Son côté sadique. Et si on suppose que les personnages qu’il écrit sont des extrapolations de lui-même, des versions exagérées, qu’il enfonce et ridiculise de manière parfois violente, si je voulais faire mon Freud low cost, je dirais que sous son côté auto-suffisant se cache peut-être un manque d’appréciation de lui-même, de self-estime. Et c’est peut-être pour cela que cet homme m’intrigue, car je sens chez lui le même besoin qu’ont ses personnages : celui d’être aimé, admiré. Et c’est aussi pour cela qu’il leurs offre quasi systématiquement des happy ends peu inespérées.
Toute la musique que j’aime
Le saviez-vous ? Ricky Gervais, avant sa carrière de comique, avait été chanteur. Cela explique peut-être la genèse de David Brent : Life on the Road, le film qui ressuscite le personnage de The Office, près de quinze après l’arrêt de la série.
Donc, David Brent est de retour et il n’a pas changé. Il est toujours lourd, pas drôle, raciste, sexiste et persuadé d’être génial. Il travaille désormais dans un autre bureau, où tous ses collègues le détestent. Seul Nigel l’apprécie, un collègue aussi "drôle" que lui car tout autant rejeté, et les deux forment un duo redoutable qui consterne le service.
Et malgré les années passées, David est resté le même. Le monde qui l’entoure a, par contre, un peu changé. Désormais, ses collègues n’hésitent pas à l’insulter au confessionnal (car le film reprend le format mockumentary ou faux documentaire, où une équipe de tournage suit les personnages et les interviewent) et on le reprend sur l’absence de politiquement correct de ses propos (ce qui n’était jamais trop le cas dans la série mère).
Et revoir le personnage, ses mimiques, son autosatisfaction, sa tête de cul clown et sa façon de vivre dans l’illusion m’a fait bien plaisir et j’ai ri devant ses blagues qui pèsent des tonnes, ses remarques déplacées.
Puis, on apprend que David est le chanteur d’un groupe de rock et qu’il rêve de percer dans le milieu. Il prend donc quinze jours de congés sans solde pour une tournée avec son groupe, la tournée qui fera de lui une star mondiale. Pour ce projet, il n’hésite pas à dépenser un tas d’argent et emmène avec lui son band (qui le déteste), son ingénieur-son (qui le hait) et Dom Johnson, un MC, son homies et accessoirement le traditionnel personnage bonne pâte souffre-douleur. Après un quart d’heure, le film suit donc cette tournée qui évidement tournera au fiasco, dans un format qui n’est pas sans rappeler This is Spinal Tap, le film de Rob Reiner de 1984.
Mais, une fois la tournée lancée et les concerts enchaînés, la mécanique du film se grippe et les défauts de Gervais refont surface. Même si certaines séquences sont drôles (la chanson sur les handicapés) et que certaines répliques touchent leur but et provoquent le rire, David Brent finit par redevenir l’être fatigant qu’on avait quitté à la fin du Christmas Special de 2003, et les ficelles ultra-connues reviennent. À chaque prise de parole, on sait que cela va dégénérer, que les regards consternés ou gênés vers la caméra seront de retour. On sait que lorsque des producteurs vont venir assister à un concert, il va se couvrir de honte. On n’est pas étonné par sa jalousie envers le succès naissant de Dom, son rappeur. Et sans surprise, Gervais orchestre la descente en enfer de son personnage, l’enfonçant dans le pathétisme (David en arrive à payer les membres de son groupe vingt-cinq livres l’heure pour que ceux-ci acceptent de prendre une bière avec lui) et à mesure que le film progresse, l’humour s’amenuise.
Rien n’a changé
[Spoilers concernant le film]
Et encore une fois, après avoir ridiculisé son personnage, Ricky Gervais lui offre une happy end très surprenante. Soudain, malgré toutes ses affres, les gens ressentent inexplicablement de la sympathie envers lui : Dan l’ingénieur son (un de ceux qui le supportait le moins) lui offre un cadeau onéreux, la fille de l’accueil le défend devant les autres collègues, et le film se termine sur un possible rapprochement entre David et la comptable. Donc tout finit bien, comme par magie. C’est un final assez déconcertant (et décevant) que cette sortie salvatrice, totalement tombée du ciel, d’autant plus dommage qu’il y a une vraie matière à aller jusqu’au bout du concept. Car Gervais pourrait rendre au final touchant cet homme terriblement seul, socialement inadapté (cf. ses techniques de drague), se créant un monde factice pour éviter la dépression qui le guette. Mais non, David Brent n’a pas évolué du tout durant l’aventure et ne se sera pas remis en question. Il est l’exacte même personne qu’au début.
À se poser la question de l’intérêt du film.
Gervais confirme malheureusement son incapacité à renouveler son humour et sa difficulté à faire tenir un projet sur la durée. Et le pire est que je me doutais totalement de l’échec de ce film avant même la première seconde, je savais que cela allait être moyen et mou. Pourtant, je suis venu tout de même. Et, à coup sûr, je regarderai la prochaine création de Ricky Gervais. Parce que malgré tous ses défauts, je ne peux m’empêcher de l’apprécier. Finalement, c‘est qui le masochiste ?
J’ai aimé :
- Revoir David Brent pendant vingt minutes.
- Les paroles sont exprès nulles, mais force est de constater que Ricky Gervais se défend assez bien au chant.
Je n’ai pas aimé :
- L’humour qui disparaît au fur et à mesure.
- La dernière demi-heure se traîne.
- La happy end totalement incongrue.
- Et aussi, pas de retour à Wernham-Hogg, ni de Martin Freeman ou Stephen Merchant. Même pas en caméo. Déception.
Ma note : 10/20.
Vidéos des chansons des titres des paragraphes :
Et pour les vrais masochistes, la bande originale reprenant toutes les chansons existe.