L'histoire
Switched at Birth, pour résumer grossièrement, c'est l'histoire de deux familles qui apprennent que leur filles respectives ont été échangées par mégarde dans la maternité à leur naissance. Elles ont donc chacun élevé la fille de l'autre famille, qui ont toutes les deux environ 15 ans maintenant (jouées par des actrices de 19 et 25 ans évidemment).
Le petit bonus de la série, c'est que l'une des deux filles est sourde (mais pas muette). Le thème de la surdité est donc au centre de la série. Voilà pour résumer. C'est un synopsis pas trop mal, non ? En tout cas moi il m'a intéressé.
Une série imprégnée ABC Family
ABC Family, cela va sans dire, est une chaîne qui vise les familles. La bonne petite famille américaine de banlieue pourrait-on préciser. Connue pour avoir diffusé Greek, Kyle XY ou The Secret Life of an American Teenager, elle a un style à elle facilement identifiable.
Tous les acteurs sont des poupées gonflables, chaque épisode contient une trentaine de morceaux de musique espacés de quelques secondes, les notes de piano ressortent à chaque scène un peu triste, les transitions avec fondu au noir sont autorisées et sont même légion, il n'y a pas une ligne de dialogue de plus que nécessaire : les mots sont comptés. Une sorte d’hystérie ressort toujours de leurs séries, les scènes s'enchaînant avec une vitesse folle pour ne capter que des scènes clichés au possible, mais ne jamais ennuyer le téléspectateur. Evidemment, Switched at Birth ne déroge pas à la règle, mais ça je m'en doutais déjà.
Non vraiment, le problème est ailleurs.
Le rêve américain
Au bout de trois minutes, le synopsis était déjà réglé. L'une des deux filles s'aperçoit à son cours de science qu'elle est de type AB et ses parents lui assurent que ce n'est pas possible. Deux scènes et quelques secondes plus tard, les deux familles se retrouvaient à l'hôpital pour se confronter et éventuellement se rencontrer. Les deux filles sont un peu perdues, d'autant plus que les familles ne se ressemblent pas vraiment.
D'un côté, il y a la petite famille riche de banlieue qui possède une gigantesque maison - si gigantesque qu'ils ne peuvent pas remplir toutes les pièces nous précise-t-on - avec un immense jardin, un terrain de basket, des parents à cheval sur l'éducation, blancs, américains. Ils ont mis leur fille dans une école hors de prix. Appelons cette famille "les connards" si vous me le permettez.
C'est eux les connards.
De l'autre, il y a une mère seule qui vit avec sa maman de 60 ans dans une banlieue cette fois pourrie, dans une petite maison en papier maché. Elle est portoricaine, et pauvre, ce qui ne l'empêche pas de se foutre un pot de maquillage sur la gueule en continu. Merde je crois que c'est en contradiction avec mon premier paragraphe sur les règles d'ABC Family, au temps pour moi, je continue.
Elle se fait casser les vitres de sa voiture car le quartier craint vraiment. On nous précise bien qu'elle est pauvre car elle se fait voler 2 dollars (vraiment) et un chargeur de téléphone et s'exclame "Tu sais ce que ça va me coûter pour un chargeur de portable et 2$ de monnaie ?". Je précise qu'elle ne le dit pas ironiquement. Elle était alcoolique, s'est faite attraper deux fois pour conduite en état d'ivresse mais elle assure être sobre depuis 11 ans. Appelons cette famille "les sales pauvres".
C'est elle la pauvre.
La surdité
Mais jusque là, je digérais. C'est pas la première fois et certainement pas la dernière qu'on nous peint des décors aussi caricaturaux que ceux-là. C'est là qu'intervient le thème de la surdité.
La fille sourde a été élevée chez les sales pauvres. Très vite lors de leur première rencontre chez les connards, elle va se prendre d'affection pour le frère et ils vont aller faire une petite partie de basket. Elle met évidemment une branlée au frère qui ne voit pas la balle, car étant sourde, il faut qu'elle se rattrape ailleurs et ait un don. Les parents connard vont alors regarder par la fenêtre à ce moment et apercevoir cette magnifique union par les liens du basket entre leur fils et leur nouvelle fille. Ils sourient béatement.
Très vite également, leur fille adoptive va être jalouse et faire sa crise d'ado. Elle va donc faire un piercing sans en informer ses parents. Les deux mondes ne cessent de se confronter désormais et les connards veulent absolument aider les sales pauvres à réparer la fille sourde. Extrait :
[...]
- Je sais que l'opération est très chère. Peut-être que ce n'était pas quelque chose que vous pouviez offrir à Daphne ce que je comprend parfaitement...
- Si je l'avais voulu, j'aurais trouvé un moyen de la faire.
- Pourquoi ne le voudriez-vous pas ?
- Vous pensez qu'elle doit être réparée, non ? Daphne est bien en étant sourde. Elle aime ça.
- Allez. Personne n'aime être sourd.
- Le cochléaire permet au cerveau d'entendre électroniquement. Ce n'est pas un remède.
[...]
- J'ai regardé Daphne lutter. Je l'ai regardé lutter pour suivre une conversation. Et je sais que si elle subit cette procédure, elle n'aura plus à lire sur les lèvres ou à se reposer sur vous ou moi ou qui que ce soit d'autre pour lui traduire.
- C'est tout ?
- La garder sourde la maintient dépendante de vous ?
[...]
Outre le fait que le père incarne le plus profond abruti en essayant de réparer ce qu'il considère comme un handicap avec son argent, cela ne m'aurait pas dérangé si il y avait eu une contre-partie dans les dialogues. Mais la mère ne s'indigne pas et elle commence même à trouver des excuses en disant "ce n'est pas un remède". Supposant que s'il y en avait un, elle serait d'accord.
Non tout cela est débité avec un sérieux incroyable, et l'accent est pratiquement mis du côté du père si l'on se fie aux musiques et plans pendant le dialogue. Dialogue se terminant par un "c'est aussi ma fille..." du père d'ailleurs.
D'autres débilités viennent accentuer ce spectacle désolant. Ainsi chez les sales pauvres, tout le monde parle le langage des signes évidemment. Par contre pour ne pas délaisser ces pauvres téléspectateurs qui devraient lire des sous-titres pendant deux minutes, ils ne parlent jamais le langage des signes entre eux.
Lors d'un dialogue entre le papa connard et la fille sourde, on le voit s'exclamer "ah, merde, désolé je parle trop vite, tu n'as pas réussi à lire sur mes lèvres". Au lieu de répéter la phrase plus lentement, il en fait un résumé destiné à un gosse de 3 ans. Sourire, hugs et bisoux s'enchaînent. Evidemment qu'on aime être pris pour un con étant sourd.
Vers la fin du premier épisode, après que les connards décident d'emmener la sourde dans la même école de riche que leur fille parce qu'ils lui veulent "la meilleure éducation possible", les deux filles se retrouvent pour en parler. Finalement après s'être fait un faux piercing et avoir écouter du Papa Roach à fond dans sa chambre, la fille riche "accepte" que la sourde rejoigne son école. Sourire, hugs et bisoux s'enchaînent. Oui, parce qu'on aime aussi être pris pour une merde quand on est sourd.
Bien sûr l'épisode se finit avec les sales pauvres qui emménagent dans la partie non habitée de la maison des riches. Aaaah heureusement qu'ils étaient là.
Au final on nous a livré une morale américaine un peu gerbante, mais toujours habilement sous-entendue.
Moi je me demande une seule chose, les scénaristes, producteurs et autres personnes responsables de ce désastre ont-il croisé un sourd une fois dans leur vie ? Parce que les handicapés, c'est plutôt eux.