Starz est une chaîne à péage qui débute dans la diffusion de séries originales. C'est en 2009 qu'elle a sérieusement commencé à se lancer dans cette voie et c'est un an plus tard avec Spartacus: Blood and Sand qu'elle s'est faite connaître (en bien ou en mal selon chacun) .
Si la chaîne marchait dans les traces de Showtime avec des dramas à tendance "historiques" portés sur le cul plutôt qu'autre chose (Camelot - Spartacus) , elle semble avoir changé son fusil d'épaule en commandant Boss. Non pas que cette série n'ait pas sa dose de fesses et de nichons, mais il apparaît au terme de cette première saison que Boss vise tout de même largement au dessus de ses prédécesseurs. Et l'on comprend mieux pourquoi les dirigeants de Starz l'avaient renouvelée pour une seconde saison de 10 épisodes avant même que son pilot ne soit diffusé.
La première chose qui vient à l'esprit quand on a vu ce premier chapitre c'est The Wire. Les points communs entre ses deux séries sont nombreux et ce n'est pas étonnant. Chris Albrecht était l'un des gros bonnets de HBO quand celle-ci a commandé The Wire, il est maintenant à la tête de Starz. On peut raisonnablement se dire qu'il n'est pas innocent dans les similitudes entre les deux shows.
Pour autant Boss ne se passe pas à Baltimore mais à Chicago, ville renommée pour ses magouilles passées et certainement toujours présentes. Tom Kane est le personnage central, il est le maire de la ville et apprend qu'il est atteint de la démence à corps de Lewy, un savoureux mélange entre Parkinson et Alzheimer. Ce point de départ a beau être on ne peut plus personnel la série ne reviendra que rarement dessus et de moins en moins à mesure que la saison avance. Tout simplement parce que les scénaristes savent qu'ils ont le temps de raconter autre chose que la déchéance d'un homme dans son intimité, et surtout parce qu'il y a plus d'intérêt à le voir chuter de sa fonction quand celle-ci est si haute.
"Changez moi la tapisserie ! Mettez celle avec Babar dessus ."
Dans ce type d'univers tout est question de hiérarchie. Tom Kane est au sommet de la pyramide et a le droit de vie ou de mort sur n'importe quel individu en dessous de lui. Après l'annonce de sa maladie, il entame des manoeuvres de renouveau dans son entourage et décide de parrainer Ben Zajac, un jeune loup qui souhaite gravir les échelons dans la course pour le poste de gouverneur de l'Illinois. Pour cela Tom Kane fait d'un allié de longue date, Cullen McCall, un nouveau nom dans sa longue liste d'ennemis. Dans le but de faire gagner les primaires à son poulain, Kane fait pression sur différents conseillers municipaux, ceux acquis à sa "cause".
Il est donc question de relations et d'influence. Et si Boss se concentre sur les têtes d'affiche, elle n'en oublie pas pour autant le bas de l'échelon. Ainsi l'on voit les petites entreprises qui font tout pour satisfaire les élus et décrocher des contrats juteux, des élus qui obtiennent de ses entreprises des votes pour leurs élections en échange d'enveloppes budgétaires bien garnies, Le maire qui donne des passes droit en échange de votes favorables lors de séances municipales un peu houleuses... Et au dessus encore mais un peu à part se trouvent les véritables puissants, les aristocrates du monde des affaires publiques ou privées (peu importe), ceux que l'on n'entend nulle part mais dont les choix influeront sur tout le paysage. Et moins le paysage change, plus ils en tirent bénéfice. Les petits arrangements entre amis sont légion et nourrissent un univers qui prospère en vase clos.
La politique et ses jeux de pouvoirs sont au centre de la série. Tom Kane gère son territoire d'une main de fer et son soutien est indispensable pour celui qui veut décrocher le poste de gourverneur de l'Illinois. Seulement tout cela n'existerait pas sans la contribution des médias (papiers, télévisuels, radiophoniques). Et le conseiller en chef de Kane, Ezra Stone, le rappelle plusieurs fois, "Il faut survivre un jour, puis le suivant, encore un autre et on survit la semaine. Le public oublie tout avec le temps."
L'important n'est donc pas de faire face aux scandales, aux trahisons ou aux chantages, c'est une condition sine qua non. Ce qu'il est primordial de faire c'est de répondre vite et fort, d'avoir suffisammment de cartes dans sa manche pour retourner la situation. Au cours de ces huit épisodes, Tom Kane et son équipe subissent plusieurs de ces assauts, ils voient un de leurs projets menacé et essuient les plâtres du passé dans une sombre histoire d'enfouissement de déchets toxiques. À chaque fois, il est important d'étouffer l'affaire rapidement (par la menace ou l'arrangement) et offrir son pardon pour que tout s'arrête le plus vite possible.
Et les médias jouent parfaitement le jeu. Boss expose la connivence entre ces deux mondes via le personnage de Sam Miller. Il ne voit pas le journalisme comme un tube à travers lequel circulent les communiqués de presse des différents partis. Il se bat pour rester intègre mais son indépendance lui permet rarement d'aller au bout des choses, du moins jusqu'à publication. Alors quand l'un des hommes de pouvoir lui propose de devenir rédacteur en chef en échange de son silence durant une courte période, il n'y réfléchit pas à deux fois. Il se veut exemplaire mais signe un pacte avec le diable qu'il combat. Il est censé représenter un contre pouvoir mais n'est finalement qu'une pièce de plus dans cet immense jeu d'échec.
"Bien sûr qu'on s'aime toujours. Regarde je la tiens par la main !"
Avec des personnages comme ceux-là, tout se joue dans la nuance et la série baigne dans un pessimisme extrême. Contrairement à The Wire, Boss ne possède aucune figure que l'on pourrait désigner comme convenable, correcte. Emma Kane (la fille du maire) est la seule à pouvoir prétendre à ce statut mais son rôle est trop mineur pour cela (elle est nue dans au moins une scène sur trois) et son histoire ne possède pas assez d'ampleur pour qu'on lui accorde une grande importance. Sam Miller aurait peut être pu décrocher le titre s'il n'avait pas forniqué avec l'ennemi. Pour le reste, tout se joue dans le gris, et de préférence bien teinté de noir.
D'ailleurs la série ne fait pas des femmes des modèles de soutien pour leurs maris. Elles sont toutes aussi avides de pouvoir que leurs compagnons, sinon plus. La femme du maire, Meredith, fait jouer toutes ses relations pour rester en haut de la chaîne alimentaire et va même jusqu'à céder aux avances d'un vieux pervers pour garder ses faveurs. La femme de Zajac sait tout de ses infidélités mais les accepte volontiers et lui rappelle qu'il doit faire attention à ne pas ruiner tous leurs sacrifices pour une pauvre partie de jambes en l'air. Kitty (une femme de l'équipe de Kane) couche avec Zajac autant par attirance sexuelle que pour assurer ses arrières en cas de chute de Tom Kane. La femme d'un des conseillers municipaux tombe aussi dans l'escarcelle de Zajac.
Tous les personnages sont donc obnubilés par le pouvoir, mais il ne fait pas d'eux des personnes heureuses. Une fois le soir venu, quand ils retournent chez eux, ils sont tous aussi seuls les uns que les autres. Que ce soit le maire, le candidat aux primaires ou le conseiller. Pour montrer cela l'image s'accroche aux visages, aux regards, aux hésitations, que ça soit quand le maire apprend sa maladie en cachette, seul face à son médecin, dans un énorme entrepôt, que quand il se déplace en voiture ou quand il est dans son immense bureau. Cette notion de solitude est renforcée par ces quelques plans sur la ville, souvent dans le silence ou la nuit. Des moments étherés où on est face à soi, figé par le calme soudain. En opposition totale à leur rythme de vie infernal.
"C'est moi qui ai le plus grand sourire. Ouais mais moi j'ai plus de cheveux."
De cette réalisation froide il ressort une certaine neutralité, comme si rien ne méritait d'être d'avantage mis en valeur. Evidemment se concentrer sur les expressions ne marche que si les acteurs sont convaincants. Kelsey Grammer (Tom Kane) délivre une performance hallucinante. Il écrase tout le monde par son charisme, son regard glacial, sa mâchoire serrée, sa voix qui porte et tait toute répartie. Pourtant Connie Nielsen lui tient la dragée haute, tantôt délicate, quelquefois soumise, mais toujours prête à rebondir en cas de besoin. Jeff Hephner (Zajac) lui joue bien le premier de la classe, celui qui est à l'aise peu importe la situation et qui ne peut s'empêcher de jouer de sa séduction. Martin Donovan (Ezra Stone) trouve la justesse nécessaire de son rôle, son regard aiguisé traduit un esprit vif et calculateur. De manière générale, l'ensemble du cast fait preuve de solidté et pourra permettre à la série de jongler avec leurs différentes destinés sans devoir en pâtir.
Si au final beaucoup d'ingrédients sont les mêmes de The Wire à Boss, ce sont les recettes qui divergent. Boss n'est pas une fresque sociale décrivant un monde en mal de repères. On aurait pu le croire durant le pilot quand la série introduisait son univers, allant des hautes sphères politiques aux coins de rues des dealers. Finalement elle préfère se focaliser sur les personnes de pouvoir et dessine un tableau déprimant fait de portraits au vitriol. La différence majeure réside surtout dans sa narration. Boss n'hésite pas à secouer ses protagonistes, à accélérer son histoire en y incorporant des rebondissements. Il ne s'agit pas de dresser une vision réalitiste du monde des affaires publiques. Il s'agit avant toute chose de raconter une histoire. Et pour l'instant on peut dire que le pari est tenu.
La seconde saison comptera normalement 10 épisodes. On ne peut véritablement savoir si la série a de grandes perspectives d'avenir. Elle est assurémment de qualité, mais les audiences ont du décevoir pas mal les dirigeants de Starz. La série avait commencé timidement devant 660 000 téléspectateurs et était tombé à 390 000 dès le deuxième épisode. Ils n'étaient plus que 270 000 au troisième. Le silence radio qui s'ensuivit n'augurait de rien de bon, les chaînes étant souvent fières d'afficher les audiences de leurs séries. Heureusement le season final a attiré 510 000 téléspectateurs.
"Je louche, mais on a du mal à le remarquer."
Boss est l'opportunité pour Starz de se faire un nom parmi les chaînes câblées de qualités. Elle peut espérer s'ancrer dans le paysage télévisuel si elle poursuit à ce niveau et si la chaîne n'exige pas d'elle des audiences trop élevées. Pourvu que ça dure.