Tandis que la fin de saison approche à grands pas, l'heure est aux réglements de compte pour le Docteur et Clara. Mais puisque rien ne se passe jamais comme prévu dans Dr Who, il faudra aussi compter sur une momie et l'Orient-Express ... Dans l'espace ! Du Doctor Who classique, en définitive. Jamie Mathieson prend les commandes et livre son tout premier script pour la série. Parviendra-t-il à être à la hauteur, avec un titre à la fois aussi ridicule et prometteur ? Dernier appel aux voyageurs, la critique va commencer !
Seigneur du Temps et Reine du Crime
Pour entamer cette critique, il m'est nécessaire de remonter quelques années en arrière, avant même de connaître Doctor Who. A l'époque, j'étais un fan invétéré d'Agatha Christie, je dévorais chacun de ses romans, regardais Hercule Poirot et Miss Marple dès que l'occasion s'y prêtait, et me renseignais sur la moindre actualité en rapport à celle qu'on appelait La Reine du Crime. Toujours à l’affût de nouvelles adaptations autour de son œuvre, j'appris qu'une petite série anglaise, légèrement excentrique, allait lui consacrer un épisode dans sa prochaine saison. Ni une, ni deux, j'entamais mon visionnage de ladite série. Et c'est ainsi que tout a commencé …
Si je regarde Doctor Who, c'est donc en grande partie grâce à The Unicorn and the Wasp, l'épisode parodique de la saison 4 qui mettait en scène le Docteur, Donna Noble et Agathe Christie aux prises avec une abeille tueuse. Quel ne fût pas mon plaisir lorsque j'appris que la saison 8 allait consacrer une fois encore un épisode à une reprise de l’œuvre de la grande dame. Certes, Mummy on the Orient-Express n'est pas aussi référencé que son prédécesseur, mais la rencontre mérite d'être fêtée une fois encore, surtout lorsque le résultat est aussi réjouissant.
Néanmoins, l'épisode prend rapidement ses distance vis-à-vis de l'univers du roman policier, c'est avant tout dans son premier acte qu'il s'amuse à singer la grammaire du genre, sans pour autant s'en moquer. Car oui, malgré son titre éminemment parodique, Mummy on the Orient-Express est un épisode noir, traité avec beaucoup de sérieux. Le Docteur et Hercule Poirot partagent ce flegme, cette distance vis-à-vis des événements, mais le danger est bel et bien présent. Avec cet épisode, Jamie Mathieson offre davantage un pastiche qu'une parodie, contrairement à Gareth Roberts en saison 4.
Il n'est donc pas surprenant de voir au programme une grand-mère tyrannique, un ancien militaire revenu du combat sérieusement traumatisé, une jeune ingénue légèrement perturbée, des scientifiques bien barbus comme il faut, et un compagnon qui pose les bonnes questions au bon moment. Ajoutez à cela une réalisation extrêmement soignée, grâce à Paul Wilmshurt qui confirme avec cet épisode qu'il est une valeur sûre pour la série, un excellent travail sur les décors et les costumes, une bande originale discrète mais efficace, avec notamment une reprise très sympathique de Queen orchestrée par Foxes, et une bonne dose de science-fiction qui vient prendre le relais à mi-chemin de l'intrigue dans la grande tradition du show. Vous obtenez un mélange des genres savoureux, un cocktail délirant et raffiné, en deux mots, so british.
Sous les bandelettes
Cependant, difficile d'aborder cet épisode sans traiter de l'Elephant in the room ou, plus simplement, de la momie dans le train. Car ce qui est génial avec une série comme Doctor Who, c'est qu'il est possible de traiter dans un même épisode de psychologie des personnages, d'un train dans l'espace commandé par un ordinateur fou et de chasse à la momie meurtrière. Peu d'univers peuvent se permettre de tels mélanges sans sombrer dans la gaudriole (l'effet Scooby-Doo, dirons-nous). Jamie Mathieson apporte un soin considérable à son script pour éviter ce genre de facilités. Car, non content de rendre un bel hommage à Agatha Christie dans la première partie de l'épisode, il puise aussi son inspiration dans les fameux films de la Hammer en nous offrant une momie de toute beauté.
Le travail effectué autour de la momie est techniquement impeccable, c'est un monstre extrêmement crédible, que ce soit dans le costume, sa démarche (les pieds qui trainent sur le sol, brrr) ou la mise-en-scène qui lui accorde de beaux moments de frousse. Le compteur en bas de l'écran ne fait que renforcer le sentiment de menace lancinant qui plane sur tous les personnages. Certes, on pourra reprocher un traitement un peu systématique des meurtres, mais en observant la structure du scénario, on remarque que chaque mort est nécessaire à l'avancement de l'intrigue et fait monter la tension au sein de l'équipe. Si un véritable reproche devait être adressé à l'épisode et à son monstre, se serait davantage dans sa résolution, bien trop vite expédiée sans plus d'explications.
Un douloureux sentiment de manque se dégage à la fin du récit. Certes, certaines questions sont volontairement laissées en suspens (l'identité et les motivations de Gus ?), d'autres sont juste trop frustrantes pour être acceptées. Ainsi, voir le Docteur conclure à la simple vision du parchemin qu'il s'agit d'un drapeau, et en déduire que la momie est un soldat me semble quelque peu expéditif, surtout lorsqu'aucun background n'est apporté au monstre. Il est fait mention d'une guerre, de technologie, mais un peu plus de développement aurait vraiment été appréciable, en plus de pouvoir créer une mythologie intéressante autour du monstre.
Cependant, la frustration n'est que passagère, car l'épisode reste, malgré ce petit défaut, de très bonne facture. En effet, il parvient à mêler avec habileté le fond et la forme, permettant de dépasser le statut souvent frustrant de pur « loner ». Il est bien évidemment question de la relation entre Clara et le Docteur (sur laquelle nous reviendrons), mais la grande force de cette saison provient aussi de l'utilisation des monstres et des situations pour offrir un miroir et une véritable évolution au Docteur. La momie, comme le Half-face Man, est un personnage fait de bric et de broc, soldat contre son gré, tellement retouchée au fil du temps qu'elle ne sait même plus qui elle est vraiment et ce vers quoi elle tend, privée de tout libre-arbitre.
Arrivé au huitième épisode de la saison, le Docteur de Capaldi commence à prendre forme, mais il est évident qu'il est toujours en quête de sens sur lui-même, sur ce qu'il reste du Docteur initial après toutes ces aventures. Ce questionnement, déjà posé dans Deep Breath, est discrètement réintroduit cette fois-ci, notamment lors des échanges entre le Docteur et Clara à la fin de l'épisode. Il est celui qui fait les choix impossibles, celui qui va de l'avant, qui tente de résoudre les situations. Par empathie ? Peut-être. C'est tout du moins ce que Clara voudrait croire. Mais c'est davantage un besoin qu'une envie pour le Docteur, devenu dépendant de cette vie d'aventure. Comme il l'avoue à la fin de l'épisode, il ne savait pas en venant à bord de l'Orient-Express si la situation était dangereuse. Mais il l'espérait fortement. Pour la seconde fois cette saison (après Listen), le Docteur laisse entrevoir ce qui l'anime réellement. La peur, et maintenant la dépendance. Le Docteur est devenu addict à son rôle de héros, il est incapable de s'en détacher. L'idée avait déjà été abordée (notamment dans The Snowmen, qui ratait néanmoins un peu le coche sur ce point), mais elle semble aussi beaucoup plus aboutie et éclaire d'un jour nouveau les précédents épisodes.
Don't stop me now
Bien évidemment, impossible de ne pas parler de Clara, pierre angulaire de l'épisode. Le pied de nez adressé à la fin de Kill the Moon dans les premières minutes de l'épisode est surprenant, mais finalement judicieux. Certes, il aurait pu être intéressant de montrer le Docteur et Clara séparés, mais le parti-pris de l'épisode est finalement assez novateur pour la série. J'ai toujours espéré qu'une compagne « quitte » le Docteur de son plein gré, suite à une violente déception. On ne peut pas vraiment dire que ce soit le cas avec Martha, qui est partie parce que sa pote Vicky aimait un gars… Mouais, enfin, vous voyez quoi. On s'en était déjà plus approché avec Amy, lors des excellents The Girl Who Waited et The God Complex, mais le lien avec Eleven était trop fort pour être rompu.
La situation de Clara est unique dans la série, et les premiers échanges de l'épisode posent des questions intéressantes sur sa relation avec le Seigneur du Temps. Est-il possible de développer un lien d'amitié avec lui, en dehors des aventures vécues ensemble ? Reviendra-t-il dans sa vie, une fois leur duo brisé ? Ne cherchera-t-il pas tout de suite à la remplacer, comme le laisse penser sa proposition au personnage de Perkins ? Pour Clara, cette aventure est la dernière, mais n'est clairement pas un adieu. Il semble en être tout autre pour le Docteur, qui n'envisage pas de poursuivre cette relation en dehors du TA RDIS. Une fois encore, le duo est comparé à un couple, que ce soit dans l'emploi de l'expression 'breaking up" par Clara lors de sa conversation avec Danny, ou bien avec Maisie.
Finalement, lorsqu'on observe le parcours du personnage, ce n'est pas tant du Docteur dont il est question, mais plus du mode de vie auquel il l'a habituée. Clara a fait son deuil d'Eleven, et du flirt qu'ils entretenaient. Elle a compris qu'il n'y avait aucune séduction possible entre deux êtres si différents. Comme elle le dit si bien en introduction d'épisode, elle ne ressent plus de haine pour son ami. Mais quelque chose a été brisé. L'institutrice de Coal Hill préfère se voiler la face, voir la meilleure facette du Docteur, refuser d'imaginer qu'il puisse mettre volontairement la vie des gens en péril, afin de continuer à voyager avec lui. C'est l'exotisme, la folie des aventures qu'elle vit en sa compagnie qui la captive, davantage que celui qui les rend possible. Ainsi, bien qu'il la mette une fois encore dans une situation impossible (sacrifier Maisie pour faire avancer l'enquête), Clara s'exécute, et ne s'énerve plus. Elle a compris que ces choix font partie de la vie du Docteur, et qu'elle doit vivre avec si elle veut continuer à profiter des merveilles de l'univers.
Il est donc beaucoup plus douloureux pour le fan d'assister à la réunion du duo en fin d'épisode, puisqu'il est évident qu'ils ne se retrouvent pas pour les bonnes raisons. Le Docteur sait que Clara lui ment, Clara sait qu'elle se ment à elle-même, et à tous ses proches, mais l'aventure continue, car l'envie reste trop forte. Un léger malaise persiste donc à la fin de l'épisode, comme si les sourires affichés par nos deux (anti-)héros n'étaient qu'un leurre, un moyen de s'assurer mutuellement qu'ils font le bon choix, alors qu'il n'en est rien.
Mummy on the Orient-Express est un épisode solide, à mi-chemin entre le roman policier, le conte gothique et la science-fiction. L'ensemble n'est pas exempt de défauts mais tire habilement partie de son sujet pour développer ses personnages et offrir de véritables beaux moments d'aventure et d'émotion. Une entrée en matière de toute beauté pour Jamie Mathieson, qui parvient dès son premier script à s'imposer avec force et élégance dans le Whoniverse.
Le coin du fan :
Jamie Mathieson a bien revu ses classiques, puisque l'épisode dispose de quelques références assez délicieuses.
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Le Docteur cache à présent les fameux Jelly Babies du quatrième Docteur dans un porte-cigarettes. Classe et élégant.
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Immanquable, le « Are you my mummy ? », phrase culte tirée du premier double-épisode de Moffat sous l'ère du neuvième Docteur (reprise entre-temps par Tennant en saison 4) fait ici son grand comeback. Les fans en rêvaient, Capaldi l'a fait.
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Le Docteur révèle à Clara que Gus a déjà tenté à plusieurs reprises de l'attirer à bord de l'Orient-Express. Cela fait bien évidemment référence aux dernières secondes de The Big Bang, lorsqu'Eleven reçoit un appel à bord du TARDIS. Néanmoins, de nombreuses questions demeurent autour de cet ennemi dans l'ombre. Espérons qu'il ne faille pas attendre 3 saisons pour en ré-entendre parler !
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La photo qu'a Clara sur son téléphone pour le profil du Docteur est étrange... Elle ne vous rappelle pas un dialogue dans Listen ?
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Seul dans sa cabine, le Docteur est en grande conversation avec… lui-même ! Mais c'est en empruntant une voix très similaire à celle de Tom Baker, le Quatrième Docteur, qu'il se donne la réplique.
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Lorsque Perkins suppose que voyager à bord du TARDIS "could change a man", le Docteur répond, non sans malice, "Yes, it does, frequently". Twelve semble bien plus propice à faire des blagues sur sa régénération, maintenant qu'il a dépassé les limites imposées par les Time Lords !
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Frank Sinner est un fan total du show qui avait fait une apparence dans The Five(ish) Doctors Reboot et qui espère depuis longtemps avoir un rôle dans un épisode de la série. Sinner a déclaré que devoir jouer Perkins dans cet épisode, quand il refuse la proposition du Docteur à la fin de l'épisode pour devenir son compagnon, lui a crevé le coeur !
J'ai aimé :
- Le cadre et l'ambiance de l'épisode, soutenuss par une réalisation très efficace
- La momie, un ennemi effrayant et au fonctionnement captivant
- La relation Docteur/Clara, inédite dans la série, et très bien écrite
- Des questions laissées sans réponses (en espérant les avoir un jour)
- L'Orient-Express dans l'espace, quand même !
J'ai moins aimé :
- La résolution expéditive de l'intrigue
- Clara reléguée au second plan durant tout le milieu de l'intrigue
- Trop de temps accordé à Perkins au détriment des autres protagonistes, qui méritaient un peu plus
- Des questions laissées sans réponses (si elles ne viennent jamais, c'est nettement moins drôle)
- Un épisode presque trop ambitieux pour le format 50 minutes
Note : 15/20