Huit ans, c’est long. Compagnons de route au long terme, les séries dépassent parfois le simple cadre du petit écran. Game of Thrones est désormais partout : elle est devenue le quotidien. Les personnages sont devenus ces lointains cousins qu’on voit aux fêtes de famille une fois par an et dont on prend régulièrement des nouvelles. Nous les avons vus grandir, changer, mûrir et être rattrapés par le poids de la vie quotidienne et des responsabilités, ce que l’ellipse de deux ans que nous avons subie souligne également.
Game of Past
Et ça, David Benioff et D. B. Weiss, les deux showrunners de la série (aussi appelés Chapi et Chapô dans cette même page), l’ont bien compris. Le passage du temps transparaît de la première à la dernière image. Comme dans le pilote, un enfant court et traverse une foule compacte pour voir une troupe royale arriver à Winterfell. Hier, Arya regardait avec envie son père accueillir Robert Baratheon, Joffrey, Cersei et Jaime Lannister. Aujourd’hui, l’enfant passe devant Arya qui voit son frère et Daenerys apporter leur soutien pour la bataille finale. Les enfants d’hier sont devenus les adultes d’aujourd’hui, et nous avec.
Alors oui bien sûr, faire une décalque de la construction du pilote est chose aisée. Mais cela fonctionne, car la série a un énorme passé que nous avons vécu et partagé ensemble. Voir Jon retrouver Arya, Sam qui sert Jon dans ses bras, Tyrion se rappeler aux bons souvenirs de Sansa, Arya clasher The Hound, et Jaime croiser le regard de Bran (en rappel exact à la fin du premier épisode où il le poussait dans le vide), ça fonctionne. La série capitalise sur huit ans d’intrigues entremêlées, de trahisons et d’amitiés réciproques.
Il n’y a, en fait, rien de plus Game of Thrones que cet épisode, sorte de condensé best-of de ce que la série a su offrir de meilleur ou de pire. Elle est progressivement sortie de son carcan littéraire qui l’engonçait sans doute un peu trop, pour devenir un show pop-corn, plein d’action, de blagues de bites (c’est littéralement le premier dialogue de l’épisode), de dialogues mal écrits et de raccourcis scénaristiques. Sur ce dernier point, l’épisode fait encore très fort, avec notamment Theon Greyjoy qui parvient à venir sauver sa sœur au milieu d’une armada complète de bateaux en plein milieu de King’s Landing. Sa fuite lors du dernier épisode de la saison précédente n’avait donc été qu’un pis-aller, un cliffhanger totalement fortuit, destiné à émoustiller les foules et qui est immédiatement effacé ici. D’un coup de bateau magique. Il faudra également faire abstraction lors des épisodes à venir de la manière dont Yara Greyjoy a rejoint à une vitesse supersonique les Îles de Fer, alors que c’est à l’autre bout de la carte (et que les personnages mettaient une saison et demi pour faire ce trajet au début du show).
Au fil des saisons, Game of Thrones s’est affranchie des cartes. Les distances sont devenues des ellipses d’un épisode et les chevauchés fastidieuses des premières saisons, des secondes. Le générique lui-même s’est renfermé, pour la première fois, sur les salles, trônes et alcôves, lieux politiques qui n’ont que faire du temps perdu. L’heure est au rassemblement et bon gré ou mal gré, tout le monde se retrouve dans la cour de Winterfell ou au détour d’un couloir.
Seule au monde
Enfin, presque tout le monde. Loin au sud, Cersei, son conseiller creepy, son monstre de Frankenstein et son amant de pirate qui surjoue, continuent leur petit bonhomme de chemin. Difficile de savoir où tout ce petit monde va. « Tu as clairement choisi le mauvais camp », explique Yara à son oncle, et elle a probablement raison. Monstre politique, la reine Lannister a probablement un plan secret en tête, comme en atteste les sous-entendus peu subtiles de son conseiller. En attendant, elle amorce une manœuvre bizarre qui n’a pas grand sens. Bronn, que je ne pensais pas revoir dans la série, est tiré de son lupanar pour qu’il aille assassiner Tyrion et/ou Jaime. Ce qui n’a absolument aucune logique.
Rastignac de la série, Bronn a construit son ascension sociale par et pour l’or. Il n’a aucune morale et aucun amour… Sauf pour les deux frères Lannister. Cersei le sait. L’embaucher pour ce job n’a donc aucun sens (c’est pas comme si il n’y avait pas d’autres assassins à King’s Landing). À moins que cela cache un super plan alpha tellement alambiqué que personne ne l’a vu venir (et on a vu ce que ça donnait avec Littlefinger la saison passée). En attendant, difficile d’en savoir plus sur cette intrigue, tellement détachée du reste qu’il est assez difficile de s’y attacher. Se faisant, Cersei prend en quelque sorte la place de Daenerys dans le pilote de la série. La boucle est bouclée.
Au fil des années et malgré les creux, Game of Thrones a su trouver son propre style, toujours sur la fine frontière entre divertissement soapesque hasardeux et un sens de l'épique sans cesse renouvelé. Nul doute qu'à l'aube de la plus grande bataille de la série, la série saura pencher du second côté. Ils ne leur restent, de toute façon, plus que cela à faire.
J’ai aimé :
- La scène du vol. Le budget est là et ça se voit. C'était merveilleux.
- Toutes les retrouvailles de cet épisode. Mention spéciale à Jon-Arya. Toujours pas de retrouvailles avec les loups en revanche.
- La révélation de Sam à Jon sur ses parents, lui dire la vérité. Difficile challenge pour les scénaristes de donner de l'ampleur à une révélation que tout le monde connaît (sauf Jon) depuis deux ans. En faisant le choix d'une semi-vengeance de Sam, ils ont trouvé un angle intéressant.
- Bran Stark. Peu de dialogues, mais un sacré sens de la punchline.
- Tormund et Edd qui se croisent de manière aléatoire au détour d'un couloir certes, mais qui donnent quand même de l'espoir pour la bataille à venir. Une telle alliance aurait été impossible lors des précédentes saisons.
Je n’ai pas aimé :
- Que la personne responsable des dialogues de Varys sorte du rang !
- Omble, ce jeune seigneur qui est en début d'épisode à Winterfell et en fin d'épisode dans un château abandonné, devenu zombie. Ce qui n'a aucun sens.
- Cersei, seule, qui boit du vin et qui commence à faire n'importe quoi.
- Les Greyjoy, les plus grands laissés pour compte de la série, malmenés saison après saison. Il est bien loin le temps de la magnifique scène du dieu noyé.
Décompte des morts de l'épisode :
- 6 gardes Greyjoy
- Le jeune Omble zombifié.
Ma note : 15/20
Le Coin du Fan :
- Un même acteur joue le même rôle de soldat depuis plusieurs saisons dans la série :
- Le symbole enflammé à la fin de l'épisode représente l'arbre où les enfants de la forêt ont créé les marcheurs de nuit. Celui-là :
- Bran passe son temps dans la cour sur son fauteuil. En réalité, on peut supposer qu'il a ses yeux et oreilles partout. Comme ici :
- Nul doute que les prostituées mentionnent le personnage d'Ed Sheeran dans la scène au lupanare avec Bronn :
Bonus :
Après tant d'années à commenter et (sur)intépréter la série, c'est ma dernière critique de Game of Thrones sur le site. Je laisse la place les cinq semaines à venir à de talentueuses rédactrices et de talentueux rédacteurs. On se retrouve pour le bilan de cette dernière saison et de la série dans son ensemble. Portez-vous bien.
Merci à Manew et Marie-Louise pour la relecture.