Dans sa construction de la première saison, House of the Dragon nous offre ici presque un season-finale, puisque cet épisode vient clôturer l’acte “préquel” de la série, où nos personnages évoluent dans la période où Viserys est encore à peu près en état d’être roi et où Alicent et Rhaenyra sont des adolescentes.
Le but de l’épisode est de rendre crédible une situation qui amènera à un état de pseudo-paix pendant près de 10 ans, puisqu’une ellipse de cette durée est à venir juste après… Le tout, sans sacrifier le build-up créé depuis le pilote, et garder une cohérence et un sens à ces cinq premiers chapitres constituant la préface de l'œuvre. Et, globalement, l’épisode passe cette épreuve avec brio, puisqu'il s'agit selon moi du meilleur depuis le début.
Either you prepare Aegon to rule, or you cleave to Rhaenyra and pray for her mercy.
Pour la première fois, aucune ellipse majeure n’est à relever depuis l’épisode précédent, signe qu’on est sur le point d’assister au dénouement des intrigues.
Le ton dramatique est presque immédiat. Le rythme s’intensifie, certains diraient qu’il est même trop rapide : la première apparition de la femme de Daemon, Rhea Royce, est aussi… la dernière. En vérité, ce personnage n’est juste pas important dans le grand tableau de l’histoire de la danse des dragons, et je pense qu’avec le temps tout le monde aura oublié son existence. Mais, inévitablement, cela reste déconcertant de voir à quelle vitesse la série avance, l’univers de Westeros nous ayant habitué à un développement approfondi de personnages et une incertitude constante sur leur sort.
Viserys est de plus en plus mal en point. Son traitement à base de sangsues, bénéfique selon ses soigneurs, n’a probablement fait que retarder l’inévitable, à l’image des vautours qui l’entourent petit à petit et le tuent à petit feu. L’un de ces vautours est sans aucun doute Otto Hightower. Otto et Alicent ont une scène d’adieu très dramatique également au début de l’épisode, ce qui renforce ce ton assez macabre qui flotte dans l’air. D’ailleurs, le fait qu’Otto soit évincé du rôle de Main du Roi est typiquement un joli move de la part de la construction de la saison pour assurer un état du jeu plus sain et conclure la partie préface de la série. On comprend en effet difficilement comment un statu quo aurait pu être maintenu pendant 9 ans avec un homme si intéressé en position de deuxième tête du royaume.
Viserys est toujours l’un des personnages les plus intéressants à mes yeux. Il se questionne ici sur son héritage :
What will they say of me when the histories are written? I have neither fought nor conquered, nor suffered any great defeat. Some might call that good fortune. It hardly makes a good song, does it?
Au-delà de la dimension méta de cette question (on regarde la série en effet principalement pour voir la vérité derrière les grands noms de l’histoire Targaryen), Viserys pose un enjeu intéressant. Un roi qui n’a vécu qu’en temps de paix, a-t-il eu de la chance ? A-t-il été compétent ? Quelles seront les suites ?
Presque à deux doigts de regretter d’avoir vécu en temps de paix, Viserys craint de n’être retenu pour rien, juste un simple roi de passage. Sauf que si un roi a vécu en temps de paix, et que la période d’après est une vraie guerre de succession, il y a des chances que ce roi de la paix ait pris des mauvaises décisions qui ont entraîné le chaos qui suivra. Et il a raison, car c’est tout à fait ce qu’il se passe…
Un autre pion qui prend de l’importance est Larys Strong, qui se met à murmurer à Alicent à propos des forces qui peuvent jouer pour ou contre elle. Il a ce côté similaire à Varys dans la série Game of Thrones (à une lettre près, son nom est identique), en ce sens qu’il manie l’art des paroles et qu’il est vu par les autres comme un homme en incapacité de se battre avec son handicap.
Viserys tente quand même d’instaurer une paix durable en suivant le plan de Rhaneyra de l’épisode précédent. En route vers Lamarck, il négocie avec sa cousine Rhaenys et Corlys Velaryon sur le mariage arrangé entre Rhaenyra et Laenor Velaryon, et arguent sur l’utilisation des noms de famille, preuve que toute cette histoire d’héritière peut rendre la situation épineuse… Le mariage forcé est un thème courant de l’univers, tout comme l’homosexualité tabou mais admise dans le cercle familial du fils Velaryon. On retrouve des sous-textes déjà présents dans Game of Thrones, avec une approche plus directe.
RHAENYS: You know his true nature.
CORLYS: He's still young. He will outgrow it.
J’aime beaucoup Rhaenys Targaryen, la Reine qui ne fut jamais. Elle semble toujours plus sage que son mari et l’actrice Eve Best est à l’image de son nom : super. Ici, Rhaenys craint que le mariage princier dont il est question ne mette en péril son fils et l’expose aux yeux du monde, ce qui est compréhensible. Son mari tient plus à regagner le trône qu’elle, et semble ne pas respecter ni comprendre le deuil de sa femme sur le pouvoir. Ses motivations sont également compréhensibles, mais la maturité de Rhaenys et sa méfiance envers le pouvoir, en ayant pourtant une compréhension fine des enjeux politiques, attire forcément toute ma sympathie.
The Iron Throne looms larger than me, larger than anyone in my family.
L’ultime pièce du puzzle pour conclure ce premier acte est Criston Cole. L’amant de Rhaenyra, qui regrette d’avoir brisé ses vœux, la confronte une dernière fois et lui propose la liberté en s’enfuyant à Essos. Dans une confrontation assez triste, Rhaenyra semble être heureuse par cette annonce alléchante qui pourrait leur permettre de vivre pleinement leur amour… avant de se rappeler de ses engagements auprès de son père et de sa lignée pour, selon la prophétie, sauver le monde.
I am the crown, Ser Criston. Or I will be.
Evidemment, tout cela paraît beaucoup trop abstrait et distant pour Cole qui ne se retrouve qu’avec son honneur bafoué en guise de lot consolation et qui se refuse d’être une prostituée. L’histoire fait écho à la brève relation entre Daemon et Mysaria, dans une situation similaire. Celle-ci n’était pas heureuse du tout, ce que Rhaenyra ne sait sans doute pas.
La rupture entre Cole et Rhaenyra est donc cet ultime clou dans le cercueil du destin de la Danse des Dragons, qui va entraîner le premier domino et la succession d’événements qui suivront. Dans un quiproquo assez frustrant, Cole balance toute la vérité à Alicent et transforme à jamais la relation entre les deux amies d’enfance.
D’ordinaire, je ne suis pas fan de ce procédé en fiction (un quiproquo qui aurait pu être évité si un des deux personnages se contentait de correctement nommer les choses). Mais ici, ça passe car on est dans un contexte où on ne dit jamais les choses directement : Alicent est une “lady” typique qui est le miroir de son père, ce dernier usant de périphrases infinies pour ne jamais être clair dans ses intentions (cf. l’épisode précédent où Viserys a dû lui tirer les vers du nez pour comprendre de quoi il accusait Rhaenyra). Cole, quant à lui, est rongé par la culpabilité, n’a plus d’honneur et vient d’être rejeté par Rhaenyra pour un devoir politique : il ne faut en fait pas longtemps pour qu’il craque et balance tout. La scène ultime de l’épisode où Alicent semble littéralement lui sauver la vie en lui promettant (j’imagine) une protection en échange de secrets gardés, aura sans doute de lourdes conséquences par la suite.
The Green Wedding
L’épisode se conclut dans son dernier gros tiers par un mariage, et on sait ce que les mariages donnent dans l’univers de Westeros… La série joue bien sûr sur cette attente avec le spectateur, et George R. R. Martin lui-même y attache une importance toute particulière.
Cette scène est une pure merveille et élève l’épisode selon moi. Tout est millimétré à la lettre : les timings, les plans, les jeux de regard qui en disent long, les arrivées de chaque intervenant. Celle des Velaryon est grandiloquente, à l’image de leur partenariat récent qu’ils veulent marketer. Celle de Daemon est silencieuse et assez sournoise, puisque Viserys a rejeté personnellement son frère mais, publiquement, ne peut rien dire sans compromettre Rhaenyra et donner trop de crédit à son frère.
Daemon règle ses comptes avec le Val, il a juste trois répliques bad-ass mais c’est suffisant pour le rendre toujours assez sympathique dans son rôle de petit con qui comprend très bien le terrain politique dans lequel il joue. Sa provocation contre un Arryn reste tout de même une autre friction entre deux grandes familles du royaume, au grand désespoir de Viserys qui lui lance d’ailleurs un regard accusateur…
Parmi les autres regards essentiels de la scène, il y a ce passage où Laena Velaryon, la sœur de Laenys Velaryon et donc fille de Corlys et Rhaenys, semble essayer de séduire Daemon. Je me demande si cela reviendra par la suite. Pour le moment, Daemon semble toujours jeter son dévolu sur sa nièce qu’il confronte, celle-ci le battant à son propre jeu puisqu’elle a suivi ses conseils en effectuant un mariage forcé factice. Il est bon de voir que malgré l’affection et l’admiration que Rhaenyra porte à son oncle, elle n’est pas dupe sur ses intentions.
Et évidemment, il y a LA scène de l’épisode : l’entrée, voire même l’interruption de Lady Alicent, sur une musique solennelle, venant couper la parole au roi. Si cela passe par quelques dialogues d’exposition par des figurants peu subtils, on nous apprend que le vert qu’elle porte symbolise une déclaration de guerre.
Cette dynamique risque d’être irréversible et de causer la rupture finale entre Alicent et Rhaenyra/Viserys. Par extension, Otto a réussi son coup de retourner les deux amies l’une contre l’autre… mais a-t-il vraiment tort ? Rhaenyra ne serait-elle pas prête à diminuer l’influence d’Aegon si les choses tournaient mal ? Cette scène est très forte et pourtant purement symbolique, ce qui est malin car on comprend que ce n'est pas assez "concret" et grave pour faire exploser la situation immédiatement. A nouveau, l'épisode réussit son pari de poser un climax satisfaisant tout en préparant un statu quo pour l'ellipse à venir.
Et alors qu’on avait la certitude qu’un événement choc allait survenir tôt ou tard dans le mariage (le montage et la musique graduellement plus solennelle laissaient peu de doute), on pouvait se dire que cela allait venir de Rhaenyra, ou Daemon, ou Alicent…
Ser Laenor is quite dear to me. As I know... the Princess is to you.
Bien sûr, tout n’est pas aussi grandiloquent que le Red Wedding ou que le banquet de Joffrey. Les enjeux ne peuvent pas être aussi grands : on est, après tout, toujours dans un immense prologue… mais cela reste le climax de celui-ci. Il se termine dans une mare de sang, dans un excès de rage de Criston qui a été méticuleusement entraîné par toutes les décisions des personnages depuis la mort d’Aemma : la succession de Rhaenyra, le placement stratégie d’Alicent par Otto en reine, les héritiers challengeant son autorité, la fuite de Rhaenyra vers Daemon qui était renié, sa relation avec Cole et son mariage avec Laenor Velaryon pour satisfaire la Reine qui ne fut jamais à travers son mari...
Toutes les interconnexions explosent ici, dans une scène qui a plus de force émotionnelle dans son impact sur les autres personnages que dans sa victime elle-même, qu’on connaissait à peine. Viserys notamment, reste ainsi assis, impuissant, à sa table en train de manger. C’est tout le symbole d’un roi qui profite des joies de ses ancêtres et des festivités et qui ne réalise que trop tard qu’un événement tragique a lieu. Il voit se dérouler ainsi les problèmes qui germent, mais ne fait rien parce qu’il doit conserver les apparences et qu’il n’est pas en mesure d’arrêter la force des choses. Comme un lien de cause à effet direct, il se met à saigner du nez quand l’émeute éclate, avant de s’évanouir.
La scène est coupée sur le mariage religieux de Rhaenyra et Laenor, une cérémonie qui devait être encore plus grandiloquente et qui devait prendre place après sept jours de tournois et de festivités… mais qui a finalement lieu juste après afin de sceller au plus vite l’alliance. Le tout dans un bain de sang.
C’est le pire mariage possible. Rhaenyra n’en a aucune véritable envie et le fait juste par devoir et obligation. L’homme qu’elle aimait bien et dont elle est proche vient de faire quelque chose d’impardonnable, son ancienne meilleure amie vient de déclarer la guerre à sa famille et va probablement réussir à exploiter cette nouvelle colère en Criston Cole. Laenor a perdu l’amour de sa vie, Alicent est plus amère que jamais : rien ne va plus, et pourtant la situation peut peut-être enfin se stabiliser, dans un entre-deux de malaise.
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Ceci conclut la préface de House of the Dragon. Après un pilote qui avait terminé par l’accession de Rhaenyra à la succession du trône, cet épisode se termine par un mariage qui va sans doute stabiliser le royaume à court terme en ce sens… mais à quel prix ? Tout n’est fait que de compromis, personne n’est heureux. Le roi s’effondre à la fin, et un rat vient lécher le sang à peine séché du meurtre du mariage. On apercevait un rat à d’autres moments clés de la série (lorsqu’Alicent réalise sa condition de prisonnière, lorsque Rhaenyra s’échappe la nuit, etc.). Le message est clair : la maison Targaryen est pourrie de l’intérieur et vient de s’auto-préparer à entraîner sa propre chute…
J’ai aimé :
- Une accélération du rythme pour mener vers un climax final stabilisateur
- L’entremêlement des intrigues et des personnages qui porte ici ses fruits
- L’approfondissement de l’univers avec la montée de certains personnages secondaires (Larys Strong, Laena et Laenor Velaryon…)
- La boucle est bouclée avec le premier épisode sur cette grande introduction
- La réalisation aux petits oignons
- Tout l’acte du mariage mené d’une main de maître
- Les personnages toujours très intéressants de Viserys, Alicent, Rhaenyra, Cole…
Je n’ai pas aimé :
- Tout va assez vite, même si cela contribue à une ambiance si particulière de ces cinq premiers épisodes, ambiance sur laquelle je reviendrai avec un regard nostalgique par la suite, j’imagine
- Ne plus jamais revoir les jeunes interprètes d’Alicent Hightower et surtout de Rhaenyra Targaryen
Ma note : 17/20
Vous l'aurez peut-être compris si vous suivez ces critiques au moment où la série est diffusée : mon emploi du temps m'empêche de tenir le rythme hebdomadaire de ces critiques, l'espacement entre celles-ci ne faisant que grandir... A l'heure actuelle la saison est finie, et j'ai pris la décision de ne pas couvrir la deuxième moitié de saison. C'est malheureux car j'avais plein de choses à dire à chaud. Mais, pour relativiser, je pense que laisser les critiques sur les cinq premiers épisodes est plutôt pertinent vu qu'ils forment un tout bien à part des cinq suivants.
D'ici 2024 et la saison 2, j'aurai le temps de revisiter la série. J'aurai notamment l'occasion de revenir, comme tout le monde je pense, avec une certaine nostalgie sur ces cinq premiers épisodes, dans leur petit cocon un peu à part où les personnages étaient encore jeunes et où la paix régnait plus ou moins. Mais surtout, j'aurai le temps d'aborder également les cinq prochains épisodes sous forme de critiques, avec l'attention qu'ils méritent et que j'ai essayé de mettre sur ces cinq premiers articles.
Je préfère cette méthode, plutôt que de bâcler cinq articles juste histoire de finir la saison, même si cela implique d'attendre. Après tout, si les personnages ont survécu à une première saison aux muiltiples ellipses sur des décennies, on peut bien attendre un an ou deux ! D'ici là, remettez-vous bien de cette fin de saison... et rendez-vous quelques semaines avant la saison 2 !