« Vous savez, les fantômes sont gentils » explique le bienveillant prêtre au milieu du second épisode. Le ton est donné, la série ne jouera pas la carte des portes qui grincent, des revenants qui surgissent de l'ombre et terrorisent les vivants. Non, la nouvelle création de Canal+ évite les clichés horrifiques et le spectaculaire à deux sous. Y compris dans son pitch de base : un jour, sans explication, dans un petit village de montagne dominé par un immense barrage, les morts reviennent à la vie. Ils ne savent pas qu'ils sont morts, ni que les années ont passé.
A contre-courant
Loin des clichés véhiculés par la pléthore de film ou séries de zombies à la mode, loin des théories conspirationnistes maladroitement développées dans The 4400, les Revenants tracent une route nouvelle, rarement explorée (sauf par le mort-né Babylon Field produit par CBS) : celle de la cohabitation pacifique entre morts et vivants. Le pilot suit la résurrection de Camille, qui a péri dans un accident d'autobus. Cinq ans plus tard, elle réapparaît en contrebas de la route où le chauffeur de bus a perdu le contrôle. « Je suis rentrée, Maman. Excuse-moi du retard », annonce-t-elle à sa mère, totalement pétrifiée, lorsqu'elle franchit le seuil de sa maison. D'emblée, on est fixé sur ce que sera le show : une approche réaliste de l'impossible.
Du pur effroi à l'acceptation progressive, en passant par la folie, les différentes réactions des personnages sont crédibles et on se dit - sans mal - qu'on pourrait avoir les mêmes. Il faut dire que le casting aide beaucoup à cette empathie. C'est suffisamment rare pour le signaler, mais aucun acteur ne sonne faux. Frédéric Perrier, par exemple, est poignant dans son rôle de père perdu, tout comme les deux enfants revenants, très justes et convaincants dans le mutisme ou la peur. Cette attention portée au casting confirme l'ambition de la série.
L'écriture psychologique des personnages est très travaillée et assez fouillée. Et beaucoup de non-dits sont parfaitement compréhensibles. A ce titre, la scène du second épisode où Adèle s'adresse à un Simon mutique dans la bibliothèque est une grande réussite. Cette scène souligne d'ailleurs le jeu des scénaristes avec le spectateur. Bon nombre de séquence des Revenants détournent, en effet, les classiques de l'horreur. Du film de zombies à celui du fantôme venant hanter ses victimes, tout y passe, pour notre plus grand bonheur. Les codes sont habilement intégrés dans la narration et viennent - encore une fois - rendre crédible un projet ambitieux. Si la suite de série tient la route, on se trouve peut-être devant un vrai renouveau pour la télévision française.
A contre-temps
Il est de coutume dans notre pays de parler de la « crise de la fiction française ». Par manque de moyens et manque d'idées, la série française a peu à peu perdu les jeunes spectateurs qui ont couru vers le streaming et le téléchargement des séries américaines qui ne demandaient que cela. Tout le monde est conscient du problème et pourtant depuis dix ans, presque rien n'a changé. Dans ce sens, on ne peut que saluer les heureuses initiatives de Canal + (Pigalle la nuit), d'Arte (Ainsi soient-ils) et de France Télévision (Plus Belle la vie) d'ouvrir de nouveaux horizons pour la fiction française. On peut, dès lors et sans crainte, affirmer que les Revenants se situent dans cette veine et tire la fiction française vers le haut.
Le principal piège aurait été d'américaniser la série. Combien de scénaristes se sont-ils vantés de faire « un The Wire à la française »? Présenté comme le sacro-saint graal de la télévision US, le show de David Simon a largement brouillé les esprits des pools scénaristiques en France. Si « The Wire » est possible aux Etats-Unis, c'est pour une simple et unique raison : le poste de showrunner. En France, ce métier n'existe pas. Comment alors donner une identité visuelle et narrative unique dans une série lorsqu'un scénariste différent intervient à chaque épisode ?
Comme Pigalle la Nuit à l’époque, Les Revenants possède un showrunner et cela change tout. Même si Fabrice Gobert (réalisateur du très bon Simon Werner a disparu) est crédité dans le générique comme créateur et scénariste de la série, c’est bien du poste de showrunner qu'il s’agit. Déléguant son travail de réalisateur à partir de l’épisode trois, Gobert a supervisé l’ensemble de la mise en image de la série. De ce travail fastidieux résulte une véritable plus-value pour le show : une vraie identité visuelle. Situer l’action dans une ville perdue au milieu des montagnes donne d’emblée au show une palette graphique où dominent les gris du granite et du béton, une palette reconnaissable entre mille et qui sert à merveille le propos. Dans ce lieu à l'horizon barré de hautes montagnes, isolé physiquement, surplombé par un immense barrage, dans cette ville où règne l'ennui, tout est finalement possible.
Porté par un travail sur la lumière proprement sidérant et une bande son envoûtante, la série donne à voir ce qui ce fait de mieux en terme de production française à l’heure actuelle et s’impose comme la meilleure nouveauté de cette terne rentrée 2012-2013.
J’ai aimé :
- Un sens du cliffhanger malin
- Un détournement intelligent des codes de l’horreur
- Une interprétation bluffante
Je n’ai pas aimé :
- Quelques raccourcis liés à des facilités scénaristiques évitables
Ma note :
- Episode 1 : 16/20
- Episode 2 : 14/20