Il existe une réalité parallèle où la série Sherlock s’est achevée le 15 janvier 2012 avec The Reichenbach Fall. J’envie parfois cette réalité lorsque je constate que depuis cinq ans (et cinq épisodes), Sherlock ne semble toujours pas s’être remis de sa chute, végétant dans une pâle copie de ses premiers exploits, à la frontière entre la parodie et la fanfiction. Véritable phénomène de société, la série est devenue une méta-série, plus occupée à faire des pitreries pour se jouer de son public qu’à raconter une véritable histoire. Cependant, la saison 4 semble enfin siffler la fin de la récréation pour Sherlock et sa petite troupe. "It’s not a game anymore", nous annonçaient les différentes promos de l’épisode. L’heure du retour aux affaires pour le détective de Baker Street ?
Game over.
« Your plan is just to sit there solving crimes like you always do ? »
Sherlock est de retour, innocenté du meurtre qu’il a commis grâce à un petit coup de pouce du gouvernement (et un habile montage vidéo). Sa mission consiste désormais à comprendre comment Moriarty a pu revenir d’entre les morts, et quelles sombres machinations se cachent derrière cette surprenante résurrection. Un postulat de départ alléchant et prometteur censé mettre un terme à presque trois ans d’attente et de théories farfelues. Pourtant, la saison ne semble pas décidée à prendre des chemins de traverse. Car pour contrer Moriarty, Sherlock va décider… d’attendre. Et nous avec. Encore une fois.
L’introduction de l’épisode fait peur, puisqu’elle synthétise tous les défauts qu’incarnait la saison 3 : un Sherlock à l’image du showrunning de la série, arrogant et trop sûr de lui, se riant des conséquences ou des attentes de son public. Mais cette mise en bouche n’est en réalité qu’un écran de fumée pour mieux tromper le spectateur. Sherlock s’est enfermé dans un jeu où se mêlent ses fantasmes et la réalité. La saison 3 poussait à l’extrême cette logique : revenu d’entre les morts, Sherlock ne craignait plus rien et dictait les règles de la série. La comédie prenait le pas sur le drame, à tel point qu'une bombe sous Londres devenait l'occasion de faire une bonne blague à Watson et qu'un meurtre était aussitôt désamorcé par le retour abracadabrant d’un vieil ennemi.
Attention, l'un de ces personnages est un plot device, saurez-vous le retrouver ?
Mais désormais, la série nous le promet : Sherlock a rendez-vous à Samarra, et il ne pourra pas échapper aux conséquences de ses actes. Pourtant, en dépit de cette fable intrigante, l’épisode semble emprunter la voie de la saison 3. La comédie est mise à l’honneur, les personnages semblant baigner dans une légère insouciance au sein d’un script qui peine à décoller, comme souvent lorsque Mark Gatiss est aux commandes. On apprécie toujours les clins d’œil au canon holmésien, en particulier lorsque l’affaire qui obsède Sherlock fait écho à une nouvelle de Conan Doyle impliquant Moriarty ("Les Six Napoléons"). On se délecte d’avance à l’idée que quelque chose d’énorme se prépare. Et pourtant, une fois de plus, la série se joue de ses spectateurs. Pour le meilleur, et surtout pour le pire.
Un goût de surgelé
Faire l’impasse sur le mystère de Moriarty dans le premier épisode de la saison est tout à fait compréhensible. Mais cela ne peut être fait qu’au profit de quelque chose de plus surprenant, d’imprévisible, d’inattendu. Or, à partir du moment où le twist de l’épisode est révélé, un affreux sentiment de déjà-vu commence à habiter le spectateur. N’a-t-on pas déjà vu une intrigue autour du passé de super espionne de Mary Morstan-Watson ? N’était-ce pas il y a seulement deux épisodes, lors du final de la saison 3 ? N’était-ce pas déjà une révélation peu convaincante à l’époque ? Et surtout, au vu du monologue de Sherlock Holmes en début d’épisode, la conclusion de toute cette histoire ne semble-t-elle pas un peu trop prévisible ?
Mary Morstan à la recherche de Mark Gatiss.
Plus l’épisode avance, plus on en vient à craindre ce qui semble se dessiner. Mais rien n’y fait, Mary a bien rendez-vous à Samarra. Pour une série qui aime se jouer des codes et des clichés, cette résolution est une énorme déception. Sur le plan scénaristique, toute l’intrigue menant au meurtre de Mary est faible. Très faible. L’épisode ne parvient pas à exister au-delà des clichés.
Que ce soit dans l’escapade de Mary à travers le monde (pauvre Amanda Abbington, peu gâtée par cet épisode entre l’effroyable scène de l’avion et le jeu de perruques qui s’ensuit), les flashbacks sans saveurs en Géorgie ou bien même dans la construction du "mystère" (si un tel terme peut être employé) qui manque d’ampleur, d’enjeux et de protagonistes (la scène d’introduction camouflant aussi très mal ses intentions) ou bien la confrontation finale qui voit Mary et Sherlock totalement désemparés face à une vieille secrétaire énervée alors qu’ils parvenaient à lutter contre un agent surentraîné quelques scènes auparavant. Même la mort de Mary est gâchée par le ridicule de son exécution, entre ralentis nanardesques et derniers mots de la mourante dans les bras de son amant…
Pas mal la nouvelle saison d'Arabesque.
À dix minutes de la fin, tout semble à présent clair : la série ne s’est jamais intéressée à Mary, et l’échec quasi-total de cet épisode le prouve. Elle n'est qu'une énième femme dans le frigo, condamnée au profit du duo central de la série. Son personnage n’a jamais vraiment existé. La saison 3 se construisait autour de son secret qui n’était qu’un moyen de tester l’affection que Sherlock portait à John, ainsi que les limites qu’il était prêt à franchir pour le protéger. Mary était donc un outil scénaristique. Mary meurt pour créer des enjeux entre Sherlock et Watson. Pour que le duo phare de la série perdure, Mary doit donc disparaître. Car personne ne doit exister entre Sherlock et Watson. Comme l'explique Steven Moffat dans une interview à Entertainment Weekly :
The reality of this, of course, is that Sherlock Holmes is about Sherlock and Dr. Watson and it's always going to come back to that - always always always. They had fun making it a trio but it doesn't work long term. Mary was always going to go and we were always going to get back to the two blokes. That's the format.
Tuer Mary est une décision qui agace, car elle représente une promesse qui a été brisée. Celle faite lors du maladroit Christmas Special de l’an dernier, qui tentait de justifier l’écriture et le traitement des personnages féminins qui lui était souvent reproché, tout en répétant les mêmes erreurs en substituant Moriarty à la mariée lors du climax de l’épisode. Tandis que la série semblait avoir intégré la leçon, prête à apporter plus de reliefs à ses personnages féminins, The Six Thatchers enfonce une nouvelle fois le clou. Nul doute que Molly fera une très bonne baby-sitter pour la petite Rosamund lors des deux prochains épisodes...
Un dernier jeu de piste ?
Que reste-t-il alors de cet épisode, une fois le cas de Mary traité ? Une sensation amère que Sherlock a définitivement perdu quelque chose en route. Les trouvailles visuelles des premières saisons sont désormais devenues des tics agaçants qui virent à la surenchère et flirtent même avec le mauvais goût. Certes, on trouve toujours quelques beaux plans, notamment ceux de Sherlock dans l'aquarium, et la réalisation reste très propre. Mais que ce soit dans son esthétique ou dans son écriture, la série semble succomber trop facilement à la surenchère.
Ça c'est bô.
Entre le mystérieux plan de Moriarty, l'apparition d'un nouvel ennemi la semaine prochaine, l'existence d'un troisième frère Holmes, ou bien encore la scène post-générique qui laisse supposer que Mary pourrait encore avoir quelques secrets à révéler à Sherlock, difficile de se faire une idée claire de la direction que va prendre cette saison et de ce que souhaitent nous raconter Steven Moffat et Mark Gatiss. Prenons un exemple très simple : l'infidélité de Watson. Véritable coup de massue nous faisant découvrir une nouvelle facette d'un personnage incarnant jusqu'alors le compas moral de la série, cette révélation n'est pourtant pas parvenue à avoir l'effet escompté lors de mon premier visionnage.
En effet, que souhaite nous dire la série avec cette séquence ? Que Watson n'a pas pardonné sa trahison à Mary lors du final de la saison 3 ? Qu'il se sent délaissé par sa femme et son meilleur ami ? Ou bien sommes-nous face à un autre artifice scénaristique pour nous prouver que nous ne connaissons pas vraiment les personnages que nous suivons depuis trois saisons ? Ou est-ce pour rendre la mort de Mary encore plus douloureuse pour John, puisqu'il ne pourra jamais obtenir le pardon de sa femme pour ce qu'il a fait ? Ou bien la maîtresse de John est-elle une pièce dans le plan diabolique orchestré par Moriarty pour atteindre Sherlock ? Ou bien est-elle en lien avec le personnage interprété par Toby Jones, némésis de l'épisode 2 qui apparaît sur l'arrêt de bus aux côtés de la mystérieuse E. ?
E., oiseau de nuit ou vampire ?
Tant de questions qui rendent l'investissement du spectateur compliqué, allant jusqu'à briser le rapport de confiance que nous avions développé avec Watson jusqu'alors. Nul doute que tous ces éléments trouveront leurs réponses, satisfaisantes ou non, d'ici la fin de la saison. Mais avec seulement deux épisodes restant, la série n'aurait-elle pas les yeux plus gros que le ventre ? Tandis que l'avenir de la série semble de plus en plus compromis, on en vient à espérer que Sherlock puisse s'achever sur une note positive, un dernier coup d'archet retentissant.
Adieu Mary, tu étais trop bien pour cette série !
Un retour très décevant pour le détective de Baker Street qui ne semble plus vraiment à la hauteur de sa réputation depuis quelques temps. Sherlock nous livre ici sans doute son pire épisode. Une enquête sans grand intérêt, une pincée de déjà-vu, une bonne dose de clichés et l'impression que la série est incapable d'apprendre de ses erreurs aboutit à un épisode très pauvre, pourtant pensé comme un pivot dans la construction de la série. Espérons que Toby Jones apportera plus de surprises et d'intérêt dans le prochain épisode...
J’ai aimé :
- La fable du rendez-vous à Samarra
- Voir Sherlock désemparé face à un véritable drame
- Les comédiens donnent le meilleur d'eux-mêmes, notamment sur les dernières scènes
- Le jeu des références au canon holmésien est toujours plaisant
Je n’ai pas aimé :
- L'écriture sans finesse de l'épisode
- L'impression désagréable que nous ne connaîtrons jamais vraiment le personnage de Mary Morstan au-delà de l'outil scénaristique qu'elle incarnait
- Voir la série répéter les mêmes erreurs
- L'impression que la saison a trop d'ambitions pour ce qu'elle nous propose
Ma note : 10/20. (You had one job, Gatiss !!)
Le Coin du Fan :
- Les références à l'œuvre de Sir Arthur Conan Doyle sont toujours aussi nombreuses, à tel point qu'il est difficile de toutes les référencer ici. Mes préférées : la tirade de Sherlock à Rosamund sur son incapacité à observer provient d'Un scandale en bohème. L'acronyme A.G.R.A. désignant le groupe de mercenaires auquel appartient Mary est une référence au Signe des Quatre. Holmes demandant à Madame Hudson de prononcer le mot "Norbury" s'il devient trop arrogant fait écho à La Figure jaune, mais c'est à Watson qu'il fait cette requête et Norbury désigne la ville dans laquelle se déroule l'enquête. Enfin, les enquêtes résolues par Sherlock lors du montage dans la première moitié de l'épisode sont des références au canon holmésien, et notamment au Pouce de l'ingénieur ("It's the wrong thumb !"), La Crinière du lion (une méduse meurtrière) ou bien à La ligue des rouquins ("I thought you had done something clever").
- Dans la version réécrite par Sherlock du "Rendez-vous de Samarra", le marchand se rend finalement à Sumatra et échappe à la mort. Dans la nouvelle Le Vampire du Sussex, Sherlock parle à Watson de "l'affaire du rat géant de Sumatra, une affaire pour laquelle le monde n'est pas prêt". Cette affaire jamais écrite par Conan Doyle est devenue un véritable objet de culte au sein du canon holmésien, souvent reprise et parodiée dans des œuvres inspirées du célèbre détective et dans la pop culture en général. Mark Gatiss avait déjà donné ce nom de code au politicien ayant placé la bombe dans les souterrains de Londres (The Empty Hearse), le Docteur de la série classique affrontait un rat géant dans les égouts de Londres dans un épisode rendant explicitement hommage à Sherlock Holmes (The Talons of Weng-Chiang), le capitaine Haddock compare Milou au rat géant de Sumatra dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, film dont le premier script avait été rédigé par... Steven Moffat. Rien ne se perd !
- Dans la version du "rendez-vous à Samarra" de Sherlock, le marchand finit par devenir pirate. il s'agit justement du métier que voulait exercer Sherlock dans sa jeunesse, selon son frère.
- Sherlock nommant Lestrade "Gil" au lieu de "Greg" est une référence subtile au fait que le prénom du personnage ne soit jamais donné dans les nouvelles de Sir Arthur Conan Doyle. Seule son initiale ("G.") est donnée.
- Toby est un chien apparu dans Le Signe des Quatre, deuxième aventure de Sherlock Holmes, écrite par Arthur Conan Doyle en 1889. Mais beaucoup le connaissent aussi sous les traits d'un charmant toutou accompagnant Basil, la souris détective vivant dans l'appartement de Sherlock Holmes, dans le film des studios Disney Basil détective privé, sorti en 1886.
- Le troisième frère, Sherrinford Holmes, n'a pas été inventé par Arthur Conan Doyle, mais par William Stuart Baring-Gould, auteur d'une biographie fictive de Sherlock Holmes publiée en 1962 (Sherlock Holmes of Baker Street). Sherrinford était en réalité le premier nom donné au célèbre détective de Baker Street, avant que Conan Doyle n'opte finalement pour Sherlock. Depuis, le troisième frère Holmes est devenu un personnage récurrent dans les réécritures du célèbre détective.
- Que signifie le "13th" sur le frigo de Mycroft ? Un effet d'annonce pour le treizième épisode de la série (The Final Problem, dernier épisode de la saison et – potentiellement – de la série) dans lequel apparaîtra enfin le troisième frère ?
- Le coin gossip bitchy pour conclure : quelques jours avant la diffusion de l'épisode, Martin Freeman (John Watson) et Amanda Abbington (Mary Morstan), parents de deux enfants, ont annoncé leur séparation. Comme si notre petit cœur n'avait pas assez souffert...