Les plaisirs de la revanche
Le pape Borgia célèbre sa victoire en pliant le collège des cardinaux à ses désirs, poursuivant ses ennemis comme le Cardinal Della Rovere avec acharnement. A Naples, le roi se remet lentement du choc de la découverte du cadeau laissé par le prince héritier, découvrant une ville empestée jonchée de cadavres. Pendant ce temps, Giulia Farnese se pose des questions concernant la fidélité du pape Alexandre VI, tandis que celui-ci retrouve un palais romain antique entièrement dédié à Apis et aux plaisirs de la chair.
Résumé de la critique
Un épisode convenable que l'on peut détailler ainsi :
- un pape triomphant qui veut asseoir sa popularité
- une famille difficile à contrôler
- un séjour à Naples entre maladie et bestialité
- une reprise plaisante
Le pape qui voulait être roi
Après une saison de mise en place où Alexandre VI a du se battre pour affirmer son pouvoir contre un collège de cardinaux réticents, le pape peut enfin goûter à sa victoire sur les intrigants qui ont voulu sa perte. L'occasion de faire taire les critiques et d'asseoir sa popularité au sein de la population romaine, tout en laissant Cesare le soin de rappeler à ses ennemis qu'ils ne seront jamais en sécurité. De ce point de vue, la première scène est une vraie réussite, avec un Colm Feore toujours excellent dans le rôle d'un Cardinal Della Rovere, montrant son refus de continuer une bataille qu'il sait perdue d'avance.
Le démarrage de cet épisode, écrit et réalisé par Neil Jordan, est très réussi, avec un pape qui s'autorise la luxure la plus évidente, ne craignant que la jalousie de Giulia Farnese. A la fois infidèle et insolent, il continue à pratiquer le mélange des genres, surtout dans la séquence formidable où il reçoit le messager français tout en berçant l'enfant nouveau né de Lucrèce. Célébrant avec plaisir sa victoire, ce pape s'amuse à fausser la perception par les autres de lui-même, se donnant l'apparence d'un homme affable et naïf là où son vrai visage révèle un être avide de puissance, sombre et manipulateur.
C'est cette capacité à mentir et à fausser la perception qui fait la force de ce personnage, parvenant à faire croire à ces ennemis qu'il est cet être naïf en apparence, cachant derrière un politicien hors pair cruel et manipulateur. Le bal des masques qui clôt l'épisode est intéressant de ce point de vue, abordant l'histoire des Borgia comme une dramaturgie classique, même si cela se fait au détriment d'une baisse de rythme conséquente lors du dernier acte.
Une famille que tout divise
Pendant que le pape Alexandre VI impose son pouvoir sur le concile des cardinaux, sa famille perd lentement son unité, n'ayant plus de cause commune à laquelle se rallier. Les vieilles rancunes ressortent peu à peu, en particulier entre les deux fils qui utilisent chaque occasion pour se lancer des défis. Duel à l'épée, course de chevaux, Juan tente par tous les moyens de prouver sa supériorité sur son frère, chassant ainsi de la mémoire collective le souvenir de sa violente débâcle contre l'armée française, son insolente vanité masquant un traumatisme profond.
De son côté, Lucrèce s'occupe de son enfant encore en bas âge, profitant du repos que lui offre le pape Borgia pour marquer une pause dans son existence tourmentée. Vivant dans les murs au sein du Vatican, elle ne se fait que peu d'illusion concernant son avenir, consciente que sa position en tant que fille du pape la condamne à être pour son père un moyen de tisser des alliances avec les grandes familles italiennes. L'occasion de profiter de la clémence d'une existence loin des drames des conflits à venir et de la violence des hommes, alors que son père prépare les célébrations du taureau Apis.
Un instant de paix qui permet de remettre en place la situation de chaque personnage clé, même si le scénario connait un léger trou d'air dans son dernier tiers. En particulier, l'affrontement entre les deux frères, intéressant dans un premier temps grâce aux performances de François Arnaud et David Oakes, devient un peu répétitif en fin d'épisode. Une confrontation intéressante malgré tout qui oppose la stratégie de Cesare à la rage de Juan, l'art de la politique et celui de la guerre, avec l'avantage en ces temps de paix à l'esprit badin du cadet Borgia.
La capacité d'adaptation remarquable de l'être humain
Pendant que les uns célèbrent leur victoire à Rome, le roi de France découvre le triste spectacle de la peste à Naples, du moins l'illusion de celle-ci crée les multiples cadavres laissés par un prince héritier cruel et plutôt malin. Le spectacle de mort et la pestilence qui l'accompagne va jeter le roi de France dans le trouble, Alexandre VI misant sur la barbarie des seigneurs napolitains pour le dissuader de s'y installer et le renvoyer chez lui. Lorsque l'information de la maladie du roi commence à circuler, chacun se félicite en sous-estimant une nouvelle fois un personnage qui va prouver la force de sa capacité d'adaptation.
Les auteurs ne nous épargnent évidemment rien d'une époque où la barbarie n'était pas un vain mot, montrant comment l'être humain sait s'adapter tandis que le souverain développe une fascination pour ce raffinement dans la cruauté. S'estimant trahi, il prépare lentement sa vengeance, découvrant dans son coeur un goût pour la perversion du spectacle d'une cène constituée de cadavres. Plutôt bon, Michel Muller montre le passage d'un homme du dégoût à une certaine fascination pour la violence, surtout lors de la scène de torture finale où il se félicite que le son des instruments de musique s'accorde si bien avec les hurlements du supplicié.
Pour comprendre l'ère des Borgia, il est indispensable d'appuyer cette idée que l'esprit humain est capable de s'adapter à la pire des monstruosités et de justifier la pire des cruautés par la nécessité. En brûlant le dieu Apis, le pape Borgia tente de lier le passé de Rome et son présent, inconscient du monstre cruel qui est en train de naître à Naples, pendant que le peuple de Rome crie sa joie, sentiment volatile et éphémère.
Un épisode qui s'efforce de faire le bilan des forces en présence
Si l'épisode n'a rien perdu de ses qualités esthétiques, comme la superbe photographie de Paul Sarossy et la musique de Trevor Morris, l'épisode manque un peu de rythme, servant avant tout à remettre en place les différents personnages. La posture de vainqueur du pape Borgia le rend d'autant plus détestable, pendant que ses ennemis retournent dans l'ombre, attendant leur heure avec patience. L'intrigue autour de la jeune artiste hermaphrodite est assez prévisible et moyennement intéressante, donnant un dernier acte qui manque cruellement d'enjeux dramatiques.
En conclusion, une reprise plaisante qui permet de replacer les différents personnages, avec des comédiens toujours aussi convaincants et une scène d'ouverture avec Colm Feore très bien pensée. Jouant toujours avec la vérité historique, la série de Neil Jordan connaît une baisse de régime dans le dernier tiers, hésitant à lancer une saison où la finesse stratégique du politicien s'apprête à affronter la violence brute du barbare. Avec au milieu un pape qui essaie d'asseoir sa popularité et de garder sa famille unie, profitant de ces quelques instants de paix alors qu'à Naples, un roi prépare sa revanche.
J'aime :
- la séquence d'ouverture avec Della Rovere
- le thème de la politique contre la barbarie
- la photographie de Paul Sarossy
Je n'aime pas :
- un léger trou d'air dans le dernier tiers
- les allusions à la mythologie grecque pas assez pertinentes
Note : 13 / 20
Une bonne reprise pour les Borgia de Neil Jordan, profitant de cet épisode pour reposer les différents personnages et dresser un récapitulatif des différents rapports de force. Si le show possède toujours un casting solide et une esthétique remarquable, le dernier acte manque un peu d'énergie, la storyline de Giulia Farnese peinant à se mettre en place.