« Ah ouais mais tu comprends, les trucs Français c’est nul, les trucs Américains c’est cent fois mieux ! »
Qui n’a jamais entendu (voire prononcé !) cette phrase lors de conversations sur les films ou les séries ? Si les contre-exemples sont fréquents dans le cinéma, on est obligé d’admettre qu’en matière de séries, la France a un train de retard sur les USA, et même l’Angleterre. Et la seule Canal+, malgré ses qualités indéniables dans l’exercice (Mafiosa, Engrenages, Les Revenants voire Braquo ou Kaboul Kitchen), n’arrivera pas à le combler.
Et du côté des chaînes gratuites, on a du mal à amorcer le virage : TF1 reste dans sa sacro-sainte trinité « Procedural Américain classique », « Procedural Français classique », « Comédie familiale ». Rien ne se détache des Experts, des RIS, ou de Joséphine Ange Gardien. Côté M6, c’est pire, il n’y a quasiment rien de Français. Et chez France 3, on n’en est pas encore à la HD, alors les séries…
Mais alors, quid de France 2 ? Eh bien figurez-vous que c’est d’elle dont je tenais à vous parler ! Ces dernières semaines, France 2 semble avoir choisi de prendre enfin le pli et s’est lancé dans le grand bain. Au début, c’était via l’étranger, en diffusant l’excellente Broadchurch. Alors certes, ça reste de l’étranger. Mais rien que dans le choix, c’est complètement différent de ses séries policières habituellement diffusées le lundi (Castle, Rizzoli and Isles, The Closer…) et en plus, ça paye : succès d’audience historique.
« Qu’à cela ne tienne, se sont-ils dits, on n’a qu’à tenter le coup en version Française ! » et voilà donc comment depuis trois mois, mes mercredis soirs sont occupés par les séries de France 2. Trois séries très différentes, mais toutes révélatrices d’une volonté claire et établie, celle d’établir la chaîne comme une référence. Trois séries que je vais donc tâcher de vous présenter, sans spoilers.
Chefs : Dallas, cuisine et botanique
Première de cordée, c’est aussi la plus atypique dans son synopsis. Ici point de polar sombre, on va suivre la vie d’un grand restaurant gastronomique et de son équipe, entre luttes internes, crises financières, et connexions familiales.
Portée par un excellent Clovis Cornillac, un très grand mais trop peu présent Robin Renucci, ainsi que des jeunes têtes moins connues (Hugo Becker, Joyce Bibring), on prend beaucoup de plaisir à suivre la série, malgré quelques défauts scénaristiques. On se concentre aussi sur la vie d’une brigade, qui n’a pas un nom militaire pour rien : rigueur, bizutage, violence, misogynie, tout y passe et fait écho à ce que l’on peut lire ou entendre sur ce milieu. Les dialogues et les personnages sont bien écrits, et ça sonne juste, ce que je trouve malheureusement trop rare pour une série Française.
Les créateurs de la série ont cherché à mettre l'accent sur l'esthétique et c'est globalement très réussi : la gastronomie est très présente et mise en valeur de fort belle manière. La réalisation est efficace mais sa tendance à vouloir faire dans le poétique peut faire qu'elle tombe parfois dans le cliché ou le pathos.
Ce n’est pas la série de l’année, mais elle se laisse très agréablement regarder.
Les Témoins : La forme, pas le fond
Beaucoup plus classique, Les Témoins a pris la succession de Chefs. On suit ici un polar assez classique (bien qu’original dans son synopsis, puisqu’on ne traque pas un tueur mais quelqu’un qui déterre des cadavres pour les mettre dans des maisons témoins). Le casting est plutôt bon, avec là aussi une tête d’affiche comme Thierry Lhermitte accompagnée de plusieurs acteurs moins connus mais très convaincants. L’ambiance du nord de la France est très travaillée, assez proche de séries comme The Killing et la réalisation, bien que sobre, est très efficace. Bref, pour les yeux c’est un régal et c’est envoûtant.
Malheureusement, il y a plus de défauts dans l’écriture : la narration se complexifie de manière très superflue et brouillonne, les personnages tournent au cliché (notamment la relation vieux flic / jeune fliquette), et les ficelles sont assez grosses. On s’y plonge mais on s’y perd en même temps, et c’est bien dommage. On espère que la saison 2, d’ores et déjà annoncée, saura conserver ses forces et corriger ses faiblesses.
Disparue : la concrétisation des efforts
Enfin, last but not least, celle qui vient de se terminer, la plus aboutie des trois. Et bizarrement, celle sur laquelle j’avais le plus de doutes au départ. D’abord parce que voir une série sur la disparition d’une ado, c’est du vu et revu, et j’avais peur qu’on tombe dans la facilité et le pathos. Ensuite parce que le casting, plus fourni, sentait le contre-emploi total : Pef l’ancien des Robins des bois, le comique François-Xavier Demaison, et Alix Poisson, qu’on a déjà vue dans des drames (Les Revenants par exemple) mais qui est récemment connue pour son rôle dans la mini-série Parents Mode d’emploi.
Finalement, sur ce sujet, je n’ai absolument rien à dire : les 3 acteurs sont parfaits dans leur rôle. Les personnages qu’ils incarnent sont aussi extrêmement bien écrits, même si le flic joué par Demaison tombe un peu parfois dans le cliché du flic bourru. Mais c’est là la force de Disparue : ça pourrait être cliché, mais ça ne l’est quasiment jamais. Les seconds rôles sont aussi excellents, l’intrigue est vraiment bien menée, avec des indices distillés sans trop de facilité. Tout le monde est part de l’enquête et j’apprécie notamment beaucoup ce qu’ils ont fait faire au père de la gamine disparue qui mène l’enquête dans ce coin. L’enquête, l’impact sur les personnages, la famille et surtout les parents, tout y passe et tout est bon.
Deux bémols néanmoins : le dénouement d’abord, car même si aujourd’hui c’est très compliqué de surprendre dans un polar, j’ai trouvé ça plutôt bâclé et ça m’a laissé sur ma faim ; la réalisation ensuite, que j’ai parfois trouvé un peu lourdingue, avec un certain abus des scènes au ralenti par exemple. Mais c’est peu à côté du bien que je pense de la série.
A la question de savoir si France 2 a réussi son pari, la réponse est oui sur plusieurs plans : le succès critique est au rendez-vous, la preuve encore avec ce dossier. Même si les 3 séries ont leurs qualités et leurs défauts, elles sont de bonne voire très bonne facture et valent globalement le coup d’être regardées. Au niveau des audiences, Chefs a captivé en moyenne 3,9 millions de personnes, Les Témoins en a eu 4,3 millions, et Disparue a tout fracassé, obtenant une moyenne de 5,3 millions, battant les quatre soirs Grey’s Anatomy sur TF1. Elle a même battu tous les records d’audience de la fiction sur France 2, y compris la saison 2 de Broadchurch.
Et l’on ne peut que s’en féliciter, puisque cela voudra certainement dire que France 2 continuera à se développer et à nous proposer des séries encore meilleures. La fiction Française a donc de beaux jours devant elle.