Les chiffres
Avant de commencer notre analyse, il convient de nous pencher sur les chiffres. Parmi les 5 séries les plus populaires de la saison 2009/2010, les 4 premières appartiennent au genre policier. Voici l'ordre exact avec les audiences correspondantes toutes tranches d'age confondues :
1.NCIS (18,7 millions )
2.Mentalist (16,8 millions)
3.Les Experts (15,8 millions)
4.NCIS : Los Angeles (15,7 millions)
5.Mon oncle Charlie (14,6 millions)
Première remarque, ces 5 séries sont produites et diffusées par la chaine CBS, mais cela ne nous avance pas beaucoup
sur les raisons de leurs succès du point de vue technique et structurel. Par contre, on peut saluer le sens des affaires de cette chaine qui sait parfaitement bien exploiter ses champs de blé. Deux occurrences de NCIS dans le top 5 et trois des experts si on étends le classement aux 15 premiers. La chaine a parfaitement compris que ce sont les vieilles recettes qui fonctionnent le mieux. La première de ces recettes veut que l'on ne change pas une équipe qui gagne et cette maxime s'applique on ne peut mieux à l'univers de la série TV caractérisée par les gimmicks et les répétitions. En ne renouvelant rien d'autre que le lieu ou se déroule l'intrigue, le casting et les histoires personnelles des personnages, les scénaristes n'ont plus à se soucier de l'identification du téléspectateur. Nous allons revenir là-dessus dans le courant de ce dossier, mais je vous propose avant d'approfondir de « commencer par le commencement » en analysant la structure du genre.
Le policier :
Le genre policier fonctionne à toutes les sauces : Littérature, bande dessinée, Cinéma, Série télévisée et jeu de société. C'est un fait inéluctable qui s'explique avant tout par une structure parfaitement rodée et déclinable à volonté. On peut le décomposer en six éléments principaux qui définiront ensuite la trame narrative suivant l'importance accordée à l'un de ces éléments :
- Un crime : celui-ci est souvent représenté par un meurtre mais peut également se décliner sous d'autres formes, comme le viol, la vol d'élément important comme une information, une arme ou un prototype.
- Une enquête : l'action des protagonistes chargés d'élucider le crime et qui mettra l'accent au choix sur les techniques utilisés (les experts), le charisme et l'intelligence du ou des enquêteur(s) (The Mentalist, Colombo) ou encore les méthodes utilisés (24).
- Une victime : Cet élément est souvent un détail mais suppose également de l'implication de l'enquête lorsque la victime est proche de ceux qui doivent résoudre l'affaire. La victime concerne la plupart du temps l'affect.
- Un coupable : Il peut être aussi important que l'enquête elle même ou servir simplement à mettre en valeur par ses qualités et capacités les facultés de l'enquêteur. Il sert souvent la dualité et peut même jouer sur plusieurs niveaux comme dans le cas de Dexter qui commet les crimes et tente de les élucider tout en brouillant les pistes.
- Un Mobile : La raison pour laquelle le coupable s'en est pris à la victime. Le mobile joue également énormément sur l'affect du publique et sert souvent à humaniser le criminel jusqu'à parfois permettre au spectateur de s'identifier à lui plutôt qu'aux enquêteurs.
- Un mode opératoire : Le gimmick du coupable. Parfois, le mode opératoire à autant d'importance dans la trame que les autres éléments cités ci-dessus comme dans le cas de Dexter. Il peut également être mis en valeur pour élucider le crime et concerne en ce cas la méthode et les gimmicks des enquêteurs.
Une fois ces six éléments définis, il ne reste plus qu'a les mettre en relief et a leurs donner plus ou moins d'importance dans le récit. Si nous prenons le cas des Experts par exemple on peut remarquer que l'élément prédominant concerne l'enquête et son propre mode opératoire. L'accent est mis sur la réalisation et permet via les effets spéciaux d'impliquer le téléspectateur dans la résolution de l'enquête en lui montrant le coté technique du mode opératoire. Pour NCIS, l'accent est mis d'avantage sur les enquêteurs eux-même que sur leurs mode opératoire et cela se retrouve également dans le cas des coupables alors que dans Esprits criminels, c'est le mode opératoire des deux parties qui est mis en exergue.
Ainsi, le genre policier dans la série télévisée séduit le public car sa structure est parfaitement adaptée à ce format. Le plus important pour capter l'attention du publique et la garder, c'est de lui permettre de se retrouver rapidement en terrain connu. La série télévisée dépend entièrement de son support, à savoir la télévision dont l'utilisation est avant tout motivée par la recherche de distraction et la détente. Permettre au public de se retrouver en terrain connu tout en lui apportant du dépaysement de manière homéopathique pour ne jamais le bouleverser dans ses habitudes, c'est ce que le directeur de programmation de TF1 décrivait lorsqu'il comparait la programmation de la chaine le soir à une « bulle » protectrice et réconfortante. Par conséquent, le genre policier s'adapte parfaitement aux attentes du publique puisqu'il permet par sa structure de donner des repères tout en laissant libre cours à l'imagination des créateurs pour inventer en restant dans le cadre confortable du genre.
Cela se vérifie systématiquement dans le cas de quatre séries policières citées plus haut et réunissant tout de même 67 millions de téléspectateurs en moyenne chaque semaine. Si vous avez déjà vu au moins un épisode de l'un de ces programmes, vous avez surement put constater que la structure du récit est systématiquement la même bien qu'elle paraisse différentes dans le fond. Cette différence provient seulement des leviers qui sont actionné dans le cadre des six éléments inaliénables au genre.

Laurent Storch, directeur de programmation de TF1
L'identification, le jeu et le contre-jeu :
Tout ce que nous venons de dire n'a d'autre but que de servir l'identification du téléspectateur. Ici aussi, les scénaristes peuvent jouer sur plusieurs cordes tout en donnant l'impression de renouveler le genre. Mais avant de pousser plus avant la réflexion sur l'identification elle-même, attardons nous sur le fond de l'intrigue, à savoir la prédominance du jeu ou du contre-jeu.
Le jeu représente l'action des personnages. Je ne vous apprendrais rien en disant qu'une intrigue, policière ou non, doit amener un personnage d'une situation A à un but B en passant par d'innombrables problèmes sans lesquels le récit n'aurait aucun intérêt. Le jeu donc, est présent lorsque le ou les personnages principaux imposent leur volonté au milieu dans lequel ils évoluent . Par exemple, lorsque Dexter maitrise son univers et ne subit aucune menace, l'intrigue se situe dans le cadre du jeu. A l'inverse, le contre-jeu intervient lorsque ces même protagonistes subissent leur environnement. Pour revenir sur Dexter, lorsque celui-ci perd la maitrise des évènements, il ne peut plus imposer son jeu, et subit le contre jeu des criminels, de la police ou de sa famille.
On peut ainsi classer les séries policières en trois grandes catégories.
- Celle ou le jeu l'emporte presque systématiquement comme dans les Experts ou NCIS. Dans ces cas, le(s) héros font partie du camp des-gentils-qui-gagnent et l'identification va systématiquement dans leur sens. Le contre-jeu n'est là que pour les mettre en valeur et le héros de la série représente le repère du téléspectateur.
- La seconde catégorie appartient aux séries ou l'alternance entre jeu et contre-jeu fait partie intégrante de l'intérêt de la série. Cette alternance offre souvent un changement de paradigme pour le héros et remet en question tout ce en quoi il croyait. L'identification envers le héros est encore plus forte et cela s'illustre parfaitement dans le cas de Dexter, car les remises en question concentre intégralement la réflexion du spectateur sur le héros. Pour ne pas trop brouiller les pistes et permettre au spectateur de garder ses repères, les séries policières qui alternent le jeu et le contre jeu sont souvent concentré sur un seul personnage comme pour 24.
- Enfin, la troisième catégorie concerne les séries ou le contre-jeu impose sa loi. The shield ou The Wire en sont le parfait exemple. Les héros subissent leur environnement et se fraie un chemin à travers celui-ci pour atteindre leur but. L'identification est alors libre et le héros est en quelque sorte le véhicule qui guide le spectateur dans son univers. Ce dernier pourra s'attacher à plusieurs protagonistes, même si ces derniers ne sont présent que pour un épisode en se servant du héros comme repère ou point d'ancrage.
Comme vous pouvez le constater, le genre policier, en partant des six éléments donc nous avons parlé plus haut, peut jouer sur l'identification qui appartient au genre plus large de la série télévisée dans son ensemble en offrant au spectateur un large éventail de possibilités permettant un renouvellement quasiment intarissable. En parlant de renouvellement...

Dexter représente parfaitement l'alternance entre prédominance du jeu et du contre-jeu
Un genre qui se renouvelle.
Si l'on reprend la liste des 5 programmes les plus regardés de la saison 2009/2010 et qu'on y ajoute un critère, à savoir les séries les plus regardées seulement par les 18-49 ans, le résultat n'est plus du tout le même :
1.The Big Bang Theory
2. Grey’s Anatomy
3. Lost
4. Dr House
5. Desperate Housewives
Vous constaterez qu'a première vue, il n'y a plus aucune série policière dans ce classement, et pourtant ce n'est pas le cas. Certains d'entre vous le savent surement, mais Dr House appartient bien plus au genre policier qu'au genre médical. Ce personnage est d'ailleurs fortement inspiré du personnage de Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle.
En y réfléchissant, on s'aperçoit que cette série reprend tous les éléments de la série policière. Un crime/une maladie, une enquête/un diagnostique, une victime/un patient, un coupable/environnement-bactérie-virus, un mobile/les antécédents du patient, un mode opératoire/ le personnage de House dans son ensemble.

Nous pourrions en ce cas dire que toutes les séries suivent plus ou moins un schéma policier, mais c'est un autre débat. Ce qui est important ici c'est que dans le cas de Dr House, la maladie est vraiment prise pour un coupable qu'un enquêteur excentrique et mono-maniaque tente à tous prix de confondre quel que soit le moyen utilisé.
L'évolution du classement illustre tout à fait ce que nous disions plus haut. Le téléspectateur lambda qui ne regarde la série que pour se divertir cherchera avant tout un programme qui le détende et ou les codes sont clairement visible à l'écran. En revanche, la nouvelle génération voit dans la série ce que ses aïeuls voyaient dans le cinéma : un art populaire. De ce fait, le genre policier n'en est pas pour autant désuet, mais il devra chercher à se renouveler pour briser les codes en douceur et apporter quelque chose de nouveau au genre.
Malgré tout, ce genre tel que nous le connaissons à encore de beaux jours devant lui si on considère les audiences qu'il réalise.
