Master of None est une série écrite par Alan Yang (scénariste de Parks and Recreation) et Aziz Ansari (qui interprète Tom dans la même série), avec Aziz himself dans le rôle principal. On y suit les péripéties de Dev, jeune indo-américain et comédien en galère de contrats, ses discussions futiles sur le sens de la vie (ou les tacos), ainsi que ses aventures amoureuses.
Cette série, pour laquelle j’avais beaucoup de réserve, se révèle, épisode après épisode, attachante, drôle, profonde, osée, touchante et au final est devenu mon énorme coup de cœur ! En voici les raisons.
The Show about Nothing
En fait, il est impossible de parler de Master of None, sans évoquer la série culte des années 90 : Seinfeld, dont elle en est le démarquage moderne.
Jerry Seinfeld est un auteur de stand-up à l’humour acerbe et surréaliste, qui avait inventé le concept du "show about nothing". Pour la faire courte, la série, très méta, voyait Seinfeld interprétant son propre rôle et à qui on proposait d’écrire une série sur lui-même, soit une belle mise en abyme. Seinfeld invente alors un concept révolutionnaire : le show about nothing, ou la "série basée sur rien". Pas d’histoires rocambolesques, pas de retournements de situation incroyables, non, juste une série sur des gens qui discutent, tout le temps, sans arrêt, de tout et surtout de rien (les baskets, les corn flakes, Superman...), des personnes qui font la queue à un restaurant ou qui vont chez le dentiste. Bref, des scènes ordinaires de la vie de tous les jours qui dégénèrent souvent et qui épuisent nos zygomatiques.
Seinfeld
Car, je voudrais insister, Seinfeld, si la forme a bien vieilli, reste une des séries les plus drôles du monde.
(Pour ceux qui n’ont pas compris l’idée, cet extrait explique le concept sus-évoqué.)
Master of None reprend le même schéma et l’on suit Dev et ses potes acheter des tacos, un canapé, ou encore discuter des vertus des sèche-mains dans les toilettes publiques. Et comme Seinfeld, l’air de rien, subtilement, on y aborde des thèmes cruciaux de notre société : le sexisme, la vie de couple et ses difficultés, les quotas raciaux dans les sitcoms, les fossés entre les générations.
À ce titre, le deuxième épisode est vraiment réussi (d’ailleurs c’est à partir de celui-là que la série décolle vraiment). On y présente les pères de Dev et Brian comme des vieux schnocks, râleurs et totalement dépassés par la technologie moderne. Mais au détour d’un flashback, la série nous fait découvrir le passé de ces immigrés et tous les sacrifices qu’ils ont fait pour offrir une vie meilleure à leurs ingrats de fils. C’est bien joué, subtil, et révélateur d’une série qui va aimer à nous tendre de malicieux pièges.
Quel cinéma ! (titre du 4.15 de Seinfeld)
Donc, vous l’avez compris, dans Master of None, ça parle, ça jaspine, ça bavarde, ça converse, ça déblatère, ça jacte, ça palabre, beaucoup, jusqu’à plus soif. Mais brillamment, car le duo de scénaristes sort des dialogues de qualité et des jokes en veux-tu en voilà. Sans être hilarante, Master of None est une comédie très drôle, subtile et bien rythmée.
Elle le doit aussi à la qualité de son casting, avec pour chef de file Aziz Ansari. Il est parfait dans ce rôle très autobiographique, et campe un personnage à l’esprit vif, à l’enthousiasme communicatif et aux mimiques hilarantes. Si Dev est un personnage moins superficiel et égoïste que Seinfeld, il n’est pas parfait et possède aussi des zones d’ombre, souffrant notamment d’immaturité qui le voit faire le clown dès que la discussion prend un tour plus sérieux et grave.
Ami, ami. (titre du 3.15 de Seinfeld)
Une autre force de la série est de camper de vrais personnages secondaires, là où d’autres peinent à exister dans l’ombre du cast principal (The Grinder, The Last Man on Earth). La bande de potes de Dev existe sans avoir besoin d’énormément de temps d’antenne, et apporte de la fraîcheur. Mention spéciale à Eric Wareheim (vu dans Wrong Cops de Quentin Dupieux), excellent dans la peau d’un gros nounours un rien malsain, et légère réserve pour les rôles féminins (entre Denise, lesbienne donc forcément un peu "masculine", ou Rachel dont l’alchimie avec Dev est palpable, mais qui a beaucoup de mal à trouver sa place dans les scènes de groupe) exprimant une nouvelle fois les difficultés qu’ont des scénaristes hommes à écrire des personnages féminins.
Mais cela reste de l’ordre du bémol.
Mariage à l’essai. (titre du 5.17 de Seinfeld)
Rachel.
Évoquée ci-dessus, Rachel est le piment de la série, celle qui va la porter au-delà de nos espérances. Rachel (clin d’œil à Friends ?) forme avec Dev le couple le plus touchant rarement vu sur le petit écran. La complicité entre les deux acteurs transcende littéralement l’écran, et les voir ensemble est un pur bonheur.
Master of None profite du duo pour se jouer des clichés inhérents aux rom-coms traditionnelles et évite les "je t’aime, moi non plus, on se sépare, on se retrouve".
Ainsi, on a le droit à deux épisodes mémorables.
Le premier raconte leur date à Nashville avec une idée toute folle : le rendez-vous qui se passe bien ! Pas de dispute, pas de malentendu pour compromettre la relation, pas de mensonge qui ruine la complicité, pas de rencontre (un ex par exemple) qui fout tout en l’air. Pas non plus de subplot, ni d’intrigue secondaire, pour gagner du temps. Non, Master of None prend le pari d’amuser rien qu’en nous faisant suivre deux personnes en train de tomber amoureuses. Cela marche du tonnerre et une douce chaleur envahit nos estomacs, tandis que le sourire sur nos lèvres ne nous quitte jamais de l’épisode. Couillu et magique.
Le deuxième épisode intégralement centré sur eux est encore plus original : il s’appelle Mornings et l’on suit les matins du nouveau couple, sur une longue durée (une année) et l’effet nocif et usant du quotidien. C’est drôle, profond et inattendu (y compris dans la conclusion).
C’est aussi la force de cette série : sous des allures de drama classique, Aziz et Yang prennent le risque d’expérimenter le format (un show sur des gens qui parlent, des interludes originaux), évitent les clichés (la fin dans l’avion, douce et amer), tout en brossant une brochette de personnages drôles et attachants et en abordant de grandes questions sociétales.
Alors, une série qu’on retrouve à chaque nouvel épisode avec plaisir, avec laquelle on passe un bon moment et qui réchauffe le cœur, qu’on quitte à regret pour y penser le restant de la journée, bref une série qui nous fait redécouvrir l’amour. Merde, qu’est-ce que vous attendez encore pour la regarder ?!
J’ai aimé :
- Ça redonne envie de revoir Seinfeld !
- Le générique, très Woody Allen, avec une nouvelle chanson à chaque fois (Lou Reed, Jacques Dutronc).
- C’est plein de bons sentiments et ça donne le sourire. Rien que pour ça, merci.
Je n’ai pas aimé :
- Le premier épisode plus laborieux.
- Ce n’est pas le truc le plus drôle du monde.
Ma note : 17/20.