Si certains craignaient qu’après la trop timide adaptation américaine, Chris Chibnall ne réussisse pas à gérer la suite de la série, qu’ils se rassurent car la nouvelle saison affiche dès le premier épisode toute son ambition. Qu’il est bon de retrouver la sincérité de jeu de David Tennant et de son accent so scottish.
1. Le retour au calme…
Je vous déconseille vivement de poursuivre la lecture de cet article si vous n’avez pas encore vu l’épisode. Chris Chibnall porte beaucoup d’importance à la surprise et Broadchurch est une des rares séries à savoir se réserver pour le grand soir. Et une surprise, il y en a eu une de taille.
Avant de revenir plus loin sur cette dernière, il faut reconnaître le talent de Chibnall. L’épisode est parfaitement rythmé. Lorsque nous avions quitté cette petite ville, il y a deux ans, la tension n’était pas totalement retombée et cette ambiance calme mais, particulièrement pesante a su être conservée. C’est ainsi qu’on retrouve un Hardy malade et une Miller aux prises avec leurs démons respectifs. Le premier ne peut toujours pas se passer de ses médicaments et la deuxième se retrouve seule dans l’arrière-pays.
Les performances de ces acteurs que l’on prend plaisir à revoir à l’écran m’ont fait réaliser une chose. Un des gros problèmes de Gracepoint, qui s’élève pourtant au-dessus du lot des séries policières mais qui souffre énormément de la comparaison avec Broadchurch, est la sincérité de jeu des acteurs. Il y a dans cet épisode une quantité de scènes gorgées d’émotion qui aurait pu rapidement tourner au ridicule. Mais ici, elles fonctionnent à merveille. James Strong qui retourne derrière la caméra pour cette saison réalise une fois encore un travail de direction impressionnant. L’alchimie entre les acteurs est toujours au rendez-vous. Olivia Coleman craint peut-être d’en énerver certains avec ses pleurs, mais les spectateurs ne peuvent qu’être émus par son personnage dont l’histoire tragique nous touche tous.
2. Le changement de genre
Je parlais tout à l’heure de surprise et s’il paraissait logique que la seconde saison se concentrerait sur retour à la normale à Broadchurch, l’épisode emprunte une autre voie. La présence de Mathew Gravelle (Joe Miller) au casting avait été dissimulée. Je suis peut-être naïf, mais je ne m’attendais vraiment pas à ce que son personnage plaide non-coupable au procès. Les faux-semblants qui fonctionnaient tant pendant la première saison sont toujours de la partie. Il est impossible de savoir si le calme impassible de Joe cache une grande folie ou s’il y a réellement une raison à ce retournement.
On pouvait craindre beaucoup de choses pour cette nouvelle saison, mais transformer cette série policière en série juridique est une idée brillante. Il va falloir beaucoup d’adresse pour gérer cette partie de l’intrigue. Cette saison sera le théâtre de l’affrontement de deux très grands acteurs britanniques : Charlotte Rampling (Jocelyn Knight) et Marianne Jean-Baptiste (Sharon Bishop). Cette partie est clairement la moins convaincante, mais c’est vraiment pour trouver des défauts à cette reprise, de l’épisode. Le risque est de rapidement tomber dans un affrontement cliché entre le maître, détenteur de la sagesse, et l’ancien élève intrépide. Néanmoins, leur duel promet d’être explosif et de déchirer plus encore cette communauté.
Mais cette saison a décidé de ne pas s’arrêter là ! En plus du procès qui s’annonce mouvementé, l’affaire Sandbrook remonte à la surface puisque le présumé meurtrier (présumé est le mot qu’il va falloir le plus employé pendant cette saison) est de retour. Je ne l’ai pas encore évoqué mais c’est bien entendu l’un des points cruciaux de l’épisode. On apprend donc qu’Hardy a pris le poste à Broadchurch pour cacher un témoin de sa précédente affaire, Sandbrook. Et c’est avec un grand plaisir que j’ai accueilli Eve Myles qui connaît particulièrement bien Chris Chibnall (elle était actrice sur Torchwood et il y était scénariste). Et s’il y a une chose que l’on peut dire, c’est qu’elle s’intègre sans problèmes dans le duo Tennant/Coleman. Son personnage détonne des deux autres et apporte cette touche de légèreté nécessaire au show qui, il faut le reconnaître, s’assombrit de plus en plus.
3. Attention à la multiplication des intrigues
Il y a énormément de choses à dire sur cet épisode et cela illustre parfaitement le danger qui guette la série. Je n’ai pas non plus évoqué les disparitions de Mark qui part retrouver Tom, le fils Miller, cette partie reste pour le moment mystérieuse. Broadchurch est caractérisée par un rythme lent, sans pour autant priver le spectateur d’une tension latente. La multiplication des intrigues traitées risque d’occulter ces moments de calme apparents. Ce rythme si particulier permet d’inscrire l’histoire au cœur de la communauté et de s’attarder sur celle-ci.
Broadchurch est bien plus qu’une série policière. Et parce qu’elle a toujours su suggérer plutôt que dire, elle est particulièrement efficace. Il était évident que les choses n’étaient pas ce qu’elles semblaient être, que les habitants de la ville avaient de lourds secrets. Joe Miller tend à enfoncer des portes ouvertes en formalisant ces sous-entendus.
Aujourd’hui, bien malin qui est capable de dire ce que Chibnall a prévu pour la suite, même les acteurs ne le savent pas. Et c’est bien un des tours de force du showrunner : la série est écrite de telle façon que nous en savons aussi peu qu’un habitant lambda de la ville, nous montrant par là-même qu’il est facile de suspecter quelqu’un sur de simples rumeurs. Avec le procès en cours et le retour du principal accusé de l’affaire Sandbrook, les auteurs vont pouvoir creuser à nouveau cette question.
Chibnall a toutes les cartes en main pour nous offrir une saison du feu de Dieu. Le premier épisode nous montre l’étendue de ses ambitions. Là où la première saison se concentrait sur une intrigue extrêmement simple, la seconde les multiplie, du moins en apparence pour le moment. Je suis impatient de découvrir ce que nous réserve pour la suite la série, mais je suis persuadé qu’elle saura encore me surprendre.
J’ai aimé :
- Les acteurs toujours aussi bons.
- Certains plans magnifiques et dans une tonalité de couleur différente de la première saison.
- La gestion de l’émotion.
- La tension dramatique.
Je n’ai pas aimé :
- L’affrontement un peu cliché entre les deux avocats, mais c’est vraiment pour pinailler.
Note : 17/20