Broadchurch s'est fait une spécialité de démontrer que l'environnement qui nous entoure est fait de faux-semblants. Cet épisode ne déroge pas à la règle et nous invite aujourd'hui à remettre en question tout ce qui nous semblait assuré à la fin de la première saison.
Des rapports de force
Au début du show, Alec Hardy était décrit comme un détective certes solide mais antipathique venu de l'extérieur et donc forcément incapable de comprendre ce qui était en jeu dans une ville comme Broadchurch, un schéma classique. Mais le personnage a été peu à peu déconstruit et c'est un personnage faible, émotionnellement attaqué que nous avions quitté. Ce ne sont pas les détails qui manquent pour montrer qu'Hardy a perdu de sa superbe. Outre la scène symbolique du cours à l'école de police qui le montre enfermé dans une situation qui ne lui sied guère, son incapacité à se déplacer sans Miller renvoie une image forte.
Globalement, Hardy ne peut plus se passer d'elle, elle est devenue un pilier nécessaire. L'attitude d'Alec a beaucoup évolué. S'il est toujours aussi aimable, il délègue beaucoup plus de tâches à son associée. La caméra nous indique également cette faiblesse : non seulement celle de Hardy, mais aussi celle du camp qu'il est censé défendre. En effet, cet épisode met en exergue les rapports de force de ce qu'on peut grossièrement schématiser en deux camps opposés. Alors que les plans qui représentent les mouvements des défenseurs de Joe font preuve d'une stabilité impressionnante, les autres sont hésitants, tremblotants. À l'image du personnage de Charlotte Ripling qui se laisser bercer par les vagues (au passage l'un des plus beaux plans que nous ait offert la série depuis ses débuts), les personnages ne peuvent que se laisser porter par les événements, ils ne contrôlent plus rien.
En revanche, le camp opposé a toutes les cartes en main. Un des tournants qui montre l'inversion de ces rapports de force est l'évocation de la place des médias. Si l'arrestation de Joe avait permis aux spectateurs de se convaincre, pensaient-ils alors, qu'Hardy était un bon flic et les médias le pire ennemi du bien, des questions se posent à nouveau. L'ancien inspecteur accumule les erreurs. Organiser une rencontre entre son principal suspect et son principal témoin dans une maison non sécurisée, qui plus est la maison d'un meurtrier présumé ? Sérieusement ?
Peu importe que la ville entière semble liguée contre Joe et ses défenseurs, ces derniers restent solides et particulièrement efficaces lors du procès. En dehors de l'évolution des rapports de force, cet épisode pointe aussi l'hypocrisie de certains personnages. Sont-ils rangés du côté des Latimer par conviction ou pour se protéger ? Il semble que chacun ait encore des secrets. Et Beth de dire que plus personne n'a rien à cacher... Chibnall maîtrise parfaitement les double-sens et c'est une force pour la série.
Une question de parallélisme
Une autre force de la série qui était déjà présente lors de la première saison est le parallélisme qui existe entre plusieurs histoires ou groupes de personnages. Notre esprit est habitué à classer les gens entre les bonnes et les mauvaises personnes. Même si l'on essaie de limiter ce processus au maximum, il est inévitable que les gens nous apparaissent sympathiques ou abjects, ce qui est une des bases du classement précédent. Chibnall joue énormément sur ce procédé pour nous montrer qu'il ne faut pas s'arrêter à un jugement de valeur avant d'avoir suffisamment d'éléments, pour autant que cela ne soit jamais possible.
L'histoire de la mère de Nigel dans la première saison est en cela édifiante. Il est a posteriori très dérangeant d'entendre Miller accuser cette femme de ne pas avoir vu ce qui pouvait se passer dans sa propre maison quand quelques heures plus tard, on apprend l'identité du meurtrier. La plus puissante scène de cet épisode fonctionne sur le même principe. Alors que l'on retrouve enfin la jovialité de Miller pour un instant lors d'une discussion avec Claire, elle lui demande si elle croyait capable son mari de commettre un tel geste. J'irai même plus loin (oui, je suis un mec comme ça, j'ose) : quand elle lui fait remarquer qu'elle est forte de ne pas devenir folle enfermée dans un cottage, elle met en abîme son propre exil dans la campagne qui lui rend la vie si insoutenable. Quand on sait que Claire a voulu de prime protéger son mari, on ne peut que se demander si Beth n'a pas raison d'accuser Miller !
La joie des parallélismes... Une fois que l'on a commencé à en voir un dans cette série, on ne peut s'empêcher de les voir partout. Mark, qui par le plaidoyer de Sharon redevient suspect, se construit une histoire parallèle à Joe. Le temps passé avec Tom fait planer de grands doutes sur l'honnêteté, ou la folie du personnage. Et bien sûr, le parallélisme qui paraît aujourd'hui le plus important est celui qui existe entre Ashworth et Miller. Si l'hypothèse qu'Hardy ait pu se tromper une fois sur l'affaire de Sandbrook est à retenir, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives sur l'affaire Broadchurch ! Voilà peut-être le premier lien entre ces deux intrigues différentes.
C'est bien là le principal reproche que l'on peut faire à cet épisode. Ces deux intrigues saturent pratiquement l'espace. La tension est tellement élevée que Chibnall devrait prêter attention à ne pas étouffer ses spectateurs. Si pour l'instant, ces deux intrigues ne sont pas explicitement reliées, il vaudrait mieux pour le rythme de la série que cela ne tarde pas trop. Le rythme a toujours été une des grandes réussites de la série. Sûr que ces mystérieuses jacinthes ont un rôle à jouer autre que nous présenter des plans magnifiques, quasi-oniriques !
Un univers féminin
Je ne me souviens pas suffisamment, cela remonte maintenant à loin, presque dix ans pour les premiers, si dans les épisodes qu'a écrits Chibnall pour Doctor Who et Torchwood les personnages féminins avaient une place aussi importante. Et cela m'offre, vous en conviendrez, une excellente transition grâce à Eva Myles qui est impressionnante dans cet épisode. Elle offre un parfait point de balance à Olivia Coleman. Elle est insondable. Il faut reconnaître que les personnages d'Ellie et Claire sont des personnages forts. J'admire beaucoup l'écriture de ces deux personnages, Chibnall fait un travail vraiment convaincant.
Je ne me souviens pas avoir vu de série où l'univers du tribunal, classiquement peuplé d'hommes à Hollywood, est autant marqué pas les femmes. C'est tout à l'honneur de la série puisque c'est fait avec beaucoup de subtilité. Depuis le début de la série, les personnages féminins sont peu stéréotypés et jouent des rôles intéressants et profonds, mais ce n'est que très récemment que la place proéminente que leur accorde Chibnall m'est apparue, ce qui pour moi témoigne d'une certaine finesse. Dans ce tribunal, les seuls hommes qui interviennent sont les fauteurs : Joe l'accusé, Mark le père indigne et Hardy le pire flic du pays.
Le duel des avocats est en ce point révélateur. À aucun moment n'est évoqué le fait qu'elles soient des femmes. Leur rôle aurait très bien pu être attribué à des hommes. C'est d'autant plus efficace. On ressent peut-être ici l'influence de Davies sur Chibnall, ce dernier a toujours su écrire des personnages féminins de qualité (ceci n'est pas une pique à Moffat). Je n'ai pas entièrement été convaincu par les scènes du procès. Ces dernières étaient très bien filmées, ne manquaient pas d'enjeu dramatique, mais plus d'originalité ne serait pas de trop.
On arrive enfin au dernier point de l'épisode, la fuite d'Ashworth. Partout, on peut lire qu'Ashworth a enlevé Claire, mais je ne pense que cela soit si évident. Il est impossible de savoir ce qui se passe dans la tête du personnage de Claire. Mais nous savons d'ores et déjà qu'elle a déjà tenté de protéger son mari et prendre la fuite aussi rapidement et subtilement avec quelqu'un de réticent n'est pas chose aisée. Le personnage de Claire nous a été présenté que très récemment, nous ne savons que trop peu de choses sur elle : nuls doutes que les prochains épisodes sauront nous éclaircir. Peut-être son mari a-t-il saisi l'occasion pour lui montrer une preuve irréfutable de son innocence. C'est une hypothèse que j'aimerais voir porter à l'écran puisque cela entérinerait la déchéance du personnage d'Hardy. Mais je suis convaincu que le Chibnall réussira encore une fois agréablement à me surprendre.
La saison 2 est bel et bien lancée. Huit épisodes, c'est court. Très court. Chibnall doit traiter avec beaucoup d'intrigues. Contrairement à la saison 1, le rythme semble s'accélérer très rapidement. D'un autre côté, l'enjeu s'y prête particulièrement. Tous les rapports de force que nous pensions acquis sont en train de s'inverser, nous faisant perdre nos repères dans la petite ville de Broadchurch. Les événements qui vont suivre risquent d'être déchirants, Hardy reste malgré tout un personnage attachant.
J’ai aimé :
- Eve Myles qui joue un personnage très convaincant.
- L'évolution des rapports de force dans la ville.
- La recherche dans la composition des plans.
- Les dents du bonheur de Myles.
- Je vous ai déjà parlé d'Eve Myles ?
Je n’ai pas aimé :
- Le rythme a quelque chose de dérangeant.
- Le manque d'originalité de la partie procès.
Note : 15/20