La semaine dernière j’avais écrit que j’étais saturé de la mise en exergue de la relation des personnages. Cette semaine, c’est justement cet aspect spécifique de l’épisode qui m’a le plus captivé. Alors pourquoi ? J’y ai réfléchi juste après, et je n’ai pas trouvé de réponses (il faut dire qu’il était 4h du matin et que j’étais dans un état second). Le lendemain, ce fut l’illumination : l’épisode était tout simplement beaucoup mieux écrit.
Les parties génitales du taureau
J’ai été touché, je me suis senti impliqué. Quelque chose a fait que j’ai pu me mettre à la place des personnages et comprendre ce qu’ils ressentaient, ce qui ne m’était pas arrivé dans Doctor Who depuis… pfiou… Longtemps. Assez longtemps en tout cas pour que j’oublie tout le potentiel dramatique que recelait la série. A mon plus grand plaisir, Toby Whitehouse est parvenu à me faire une petite piqûre de rappel. La solution était pourtant simple : il suffisait d’arrêter de tourner autour du pot, de cesser de montrer sans montrer.
Je ne m’en rends compte que maintenant : cette saison a été celle des non-dits, et pas des non-dits fins et subtils, non, celles des non-dits lourds et redondants. Ceux qui font se demander sans cesse au spectateur « Mais quand est-ce que ça va enfin éclater ? ». Le docteur sombre dans la noirceur, Amy est la fille qui attend, Rory le personnage lucide, voilà à peu près dix épisodes qu’on nous assène ces vérités à coup d’expressions faciales, de petites répliques discrètes, sans jamais prendre les couilles du taureau à deux mains.
Alors quand un auteur se pointe, avec ses mains expertes et qu’il se met à les empoigner fermement, à en faire hurler toutes les vaches de la région, autant vous dire que ça fait du bien. Enfin quelqu’un qui ose dire les choses telles qu’elles sont, sans détour, sans l’aide extérieure d’un personnage objectif (River par exemple), avec simplement de bons dialogues, des personnages très bien écrits et un excellent scénario prétexte. Enfin quelqu’un qui fait se dire les choses aux protagonistes directement, tel qu’ils le ressentent sur le moment, qui les fait agir de manière cohérente et instinctive comme de vraies personnes. Finie la mystification du Docteur, d’Amy et de Rory, place aux vraies personnes qui se cachent en eux. Alleluia.
Le Docteur et cie
Et oui. Parce que mine de rien, cela fait 6 saisons qu’on nous présente le Docteur comme étant une figure quasi-divine dont le jugement serait incontestable. Excepté à la fin de l’ère de David Tennant, on ne nous avait jamais montré le Docteur avec autant de failles et de faiblesses. Quand je disais plus haut que le scénario prétexte était excellent, c’est en partie pour sa capacité à dévoiler cet aspect-là du personnage. Le fait qu’il se trompe dans son diagnostic face à une menace inconnue et devant des gens qui semblent lui porter une confiance aveugle le rend pour une fois faillible.
Le Docteur n’est qu’un extraterrestre, un être vivant comme les autres, qui souffre de sa solitude. Fondamentalement, il n’a rien d’extraordinaire, et sa lassitude ne s’est jamais fait sentir de façon aussi forte. En ce sens le parallèle avec le monstre est très bien vu, étant donné qu’il va emmener le Docteur à se rendre compte qu’il est lui-même condamné à mourir, et ce de sa propre bouche. C’est retors, mais totalement délicieux à regarder, et ça prouve une fois de plus que Toby Whitehouse sait manier les personnages avec talent.
Et pas uniquement les personnages principaux : Toto montre qu’il est possible de se concentrer sur le trio tout en ne négligeant aucun des personnages secondaires. Ils sont trois à venir se joindre à la fête, et, surprise, aucun d’entre eux :
- N’a aucun background
- N’est mal écrit
- Ne sert à mettre le Docteur en valeur
- N’a de conclusion bâclée et/ou incohérente.
Ça se fête ! De voir le Docteur interagir avec Rita comme si c’était son égal, et non pas son sauveur, et non pas un être mystérieux qu’elle ne peut comprendre, voilà quelque chose qui fait bien plaisir à voir. De voir le méchant sournois arriver à survivre jusqu’à la fin, là aussi, c’est quelque chose de plutôt surprenant et de très cohérent avec l’ensemble du déroulement, surtout que le Docteur en profite pour se défouler sur lui et pour mettre de côté son discours de tolérance quelques instants. Du geek au petit homme lâche, les stéréotypes sont bien là mais ils n'empêchent en rien les personnages d'avoir de la consistance.
Shining Who
Si je parle autant des personnages et de leur écriture, c’est que l’épisode se base en grande majorité là-dessus, le scénario se servant de leurs peurs et croyances pour faire monter la tension. Et ça marche. A fond. Aidé, encore une fois, par une réalisation de haute volée, on est captivé de bout en bout, par une histoire qui ne paye pourtant pas de mine sur le papier. L’ambiance est excellente, dans ce vieil hôtel abandonné, isolé dans l’espace, tel un immense clin d'oeil à Shining.
Je me plaignais la semaine dernière que Doctor Who devienne étouffante, et c’est pourtant là l’une des qualités premières de l’épisode. Toby Whitehouse arrive en effet à jouer là-dessus avec talent, sans sombrer dans la lourdeur. Du côté stand alone l’épisode est donc parfaitement géré et délivre une histoire étonnamment captivante, alors qu’elle n’aurait pu être qu’un prétexte pour amener la fin.
Et quelle fin ! Je ne pensais pas que la scission se ferait si tôt et avec tant de douceur. Pas d’explosion, de grande colère, comme on aurait pu le penser un épisode plus tôt, avec un Rory qui clamait en larme « Si vous voyagez comme ça, alors je ne veux plus voyager avec vous ». C’est le Docteur qui prend l’initiative et qui choisit de détruire toute la foi que lui portait Amy, dans une scène d’une grande tendresse.
Ce qui s’ensuit est, je crois, l’un des passages le plus justes de cette saison, voire de l’ère Moffat. L’arrivée sur Terre, les adieux discrets d’Amy et du Doctor, tout en finesse, sans effusions de larmes ni grandes musiques dramatiques montrent qu’il est possible d’être subtil tout en faisant avancer les choses. S'en dégage une sorte de nostalgie, où les personnages semblent heureux de leur sort tout en le déplorant. J'applaudis encore une fois Matt Smith et son jeu formidable, qui arrive parfaitement à jouer sur cette ambiguité. Karren Gillan et Arthur Darvill sont loin d'être en reste. L'alchimie est palpable, le déchirement interprété brillamment. Bravo.
C’est apparemment la fin du voyage pour Amy Pond et Rory Williams, et je ne suis personnellement aucunement déçu de leur conclusion, loin de celle des autres compagnons. Cela parait comme tomber sous le sens quand on voit tout le chemin qu’ils ont parcouru.
What happens next ?
Un excellent épisode donc, qui joue la carte des sentiments sans pour autant négliger le scénario ou le background comme ça a pu être le cas auparavant.
On peut s’interroger sur la suite, qui me paraît désormais bien floue. Le Docteur va-t-il se mettre à voyager seul un moment ? A en croire le trailer du prochain épisode, ce serait le cas… Etant donné les liens qui unissent Amy et Rory à River, vont-ils se mettre à apparaître en tant que guests, selon les nécessités du scénario ?
Qu’on ne dise pas que Doctor Who est prévisible, car je n’ai absolument plus aucune idée de ce vers quoi on se dirige. Il reste encore la question des Silences à régler, la question de la mort du Docteur, la question de River, la question de la grande question (ça va, vous suivez ?), la question de ce qu’a vu le Docteur dans sa chambre d’hôtel… Tellement de pistes sont lancées que je doute que tout se règle dans le dernier épisode. M’est avis que toutes ces intrigues se poursuivront sur la saison 7, et peut être même après avec River. Tout ce que je demande c’est qu’on ne néglige plus le potentiel que recèlent les personnages, et que les scénaristes se mettent à bosser cet aspect-là, comme dans cet épisode.
J'ai aimé :
- L'évolution des personnages
- Le scénario
- L'ambiance
- La réalisation
- Les personnages secondaires
Je n'ai pas aimé :
- Qu'il me faille attendre cet épisode pour me rendre compte de certains défauts de la saison
15/20