La nouvelle série, Fargo, est à glacer le sang. Aux plaines enneigées, antre de cerfs (au galop) et du (grand) froid, aux sombres recoins de la pensée humaine, nous convie la chaîne FX.
Le résumé : Un requin pose les pieds à Bemidji, une petite ville du Minnesota en apparence idyllique, mais où se cachent les petits secrets des uns et des autres (syndicat du crime et tutti quanti). Fort loquace, l’hurluberlu ramène sa fraise à la moindre occasion, met de l’huile sur le feu et se délecte du gros merdier. Ainsi, contrairement à un Twin Peaks qui tissait un fort mystère émanant d’une simple curiosité (Qui a tué Laura Palmer ?), le pilot de Fargo recourt au suspense et à une avalanche de réactions émotionnelles. Que donc retenir de ce pilot ?
L'émancipation d'un film :
Il suscitait l’incompréhension chez les admirateurs du film éponyme. Pourtant, le projet télévisuel s’émancipe de son modèle. S’il reste fidèle à l’esprit et à l’humour noir des frères Coen, il se présente sous la forme d’une anthologie façon True Detective avec une intrigue inédite et de nouveaux personnages par saison (de 10 épisodes). Dans ce premier épisode, Noah Hawley, le créateur de la série, décrit les circonstances qui embarquent Lester Nygaard (Martin Freeman, rescapé de Sherlock), minable vendeur d’assurances, dans une sordide histoire de meurtre. Sa rencontre avec Lorne Malvo (Billy Bob Thornton), un tueur à gage, escroc et manipulateur hors pair, est d’ailleurs un moment charnière qui marquera les esprits. Il ne manque en effet pas de second degré, tout en s’inscrivant dans un registre dramatique.
Cette opposition et cette dissonance font l’originalité de l’œuvre au risque peut-être de tomber dans l’excès. L’impression que l’extravagance de Lorne prenne le pas sur la crédibilité du personnage m’a effleuré à quelques reprises. Par exemple, la manière dont il côtoie (à visage découvert) Sam Hess, sa proie, ne me semble pas des plus discrètes pour un porte-flingue. Certes, avoir la classe et avoir toujours le dernier mot sont deux qualités requises pour gagner la sympathie du public (une conception que ne renierait pas le Mike de Breaking Bad). Mais cela doit se faire, sans troquer son humanité. Le détective-acrobate-espion aux services du vilain Gus Fring était papy à ses heures perdues et respectait un certain code de l’honneur. Lorne Malvo, lui, n’a pas le moindre travers, ne rencontre pas la moindre difficulté et n’exprime aucune émotion au cours de son périple. On espère que les auteurs lui donneront plus de nuance, un passé et de sérieuses motivations de quoi contrebalancer son côté " bigger than life ".
Un éloge de l'humour noir :
Revenons-en à l’histoire. De ce point de vue, l’épisode place la barre haut, très haut. Les péripéties s’enchaînent dans le dernier quart d’heure. Tout cela est construit de manière tout à fait logique, si bien que le spectateur ne pourra qu’admirer l’effet boule de neige. Le nombre d’ennuis qui accableront les protagonistes se révèle tous important. Et, c’est dans une tension absolue, dans la certitude intime qu’il n’y a guère d’échappatoire face à si périlleuse situation, que nous retenons notre souffle. Heureusement, les scénaristes ont plus d’un tour dans leur sac et nous offrent une conclusion satisfaisante qui lie toutes les intrigues jusqu’ici esquissées.
Entre les mystérieuses connexions de Lorne Malvo, l’évocation d’un syndicat du crime et les mésaventures de Lester, tous les moyens sont bons pour nous en mettre plein la vue. Le feuilleton se pare aussi de deux grands noms : Martin Freeman qui joue le type perdu, l’éternel looser qui n’attend que la goutte d’eau pour déborder le vase et Billy Bob Thornton imposant sa gueule à l’écran. On retiendra surtout Allison Tolman qui constitue indéniablement la révélation de la série. Sa grâce naturelle et son interprétation très juste n’ont pas à rougir de la comparaison à l’immense Frances McDormand (la Marge Gunderson du film). Je parie même que la ténacité et la détermination de son personnage nous réserveront quelques surprises et lui permettra de montrer l’étendue de son talent. Tenons-nous un Dean Norris au féminin ? Quoi qu’il en soit, n’oublions pas le reste de la distribution qui arrive à donner vie à tous ces gens pas très cultivés, pas très vifs d’esprit, un peu farfelus, passant souvent de la terreur au comique en un clin d’œil.
Sur le plan technique, la réalisation est, à première vue, soignée, mais classique. Elle ne surprend pas et passe inaperçue ce qui n’est pas forcément un défaut. La photographie redresse la barre : elle retransmet avec virtuosité le froid, la blancheur des paysages espacés et enneigés nord-américains ainsi que l’absence de lumière. Seulement, l’habillage sonore déçoit : les musiques insistent beaucoup trop sur l’effet dramatique alors que le minimalisme sonore d’un Dave Porter aurait rendu l’atmosphère plus inquiétante à base de percussions répétées, en sortant, quand il le faut, un crescendo de synthétiseurs plus assourdissants que les turbines d’un 747.
The Crocodile's Dilemma est un épisode très dense ; il retient notre attention dès les premières minutes sans nous relâcher. Son originalité se trouve dans son ton qui mise sur une alternance de moments dramatiques et d’humour (pas noir). Je ne sais pas ce que la série nous donnera pour la suite. Espérons qu’elle ne perde pas de son souffle parce que finalement toute l’intrigue se resserre très rapidement. En tout cas, on ne peut rester de glace quant à ce pilote, car le scénario surprend et tous les acteurs sont dans l’ensemble très justes.
P.S. : J’ai regardé le deuxième épisode. J’ai peut-être juste eu un tout petit peu plus de mal avec la construction du personnage de Billy Bob Thornton. Il est dangereux certes, mais je ne comprends pas son attitude clairement je-m’en-foutiste et peu orthodoxe.
J’ai aimé :
- L’atmosphère glaciale du Minnesota.
- Le scénario maîtrisé avec toutes ses connexions et ces scènes de tension.
- Le suspens hitchcockien.
- La performance des acteurs.
- Allison Tolman, LA révélation de la série, et le retour de Colin Hanks (le petit ami de Dexter) !
Je n’ai pas aimé :
- Bob Odenkirk aurait mérité un rôle moins caricatural.
- Lorne Malvo, classe mais… voilà trop classe.
- L’habillage sonore et la musique sans audace.
Ma note : 15/20. J’ai hésité entre le 14 et le 15, mais c’est l’un des rares bons pilotes de l’année, donc, autant louer l’entreprise.
Hopper
