NOTE : Les espaces blancs laissées dans cette critique sont volontaires. Il s'agit de spoilers. Si vous voulez les lire, veuillez passer votre souris dessus.
Critiquer une série en cours de diffusion est un exercice périlleux. Le rédacteur, manquant de recul, livrera ses impressions à chaud et omettra forcément ce qui fait l’intégrité de l’œuvre. Car seule une vue d’ensemble laisserait entrevoir les dessous de l’affaire. Nous saurons alors si tout se tient ou si les scénaristes ont mené en barque leur public. Jusque-là, Fargo était bien partie pour marquer l’année. C’est pourquoi je plaçais de grosses espérances en cette série. Cependant, ce sixième épisode me laisse un goût amer. Décryptage…
Je n'aimerais pas jouer le rabat-joie. Cependant, j'ai l'impression d'être la seule personne ici à trouver cet épisode faiblard. Il est rare que l’opinion d’un rédacteur s’oppose à celui des lecteurs. Conscient de cela, je m’efforcerais au mieux de justifier mon point de vue et de le nuancer. Dire « C’est bien ! » ou « C’est pas bien ! » ne servirait à rien. À moi revient donc la lourde tâche de pondre un avis constructif.
Mes attentes :
Je rappelle que jusqu’ici votre cher serviteur a savouré chaque heure passée dans le monde désespéré et glacial de Fargo. En effet, le précédent épisode (le 5), « The Six Ungraspables », m’a fait bon effet : le rythme, la tension qui s'installe petit à petit et la détermination de son personnage féminin. Seulement, précisons que je ne suis pas un très grand admirateur de Lorne Malvo et de l'intrigue secondaire concernant Stavros Milos, cet homme d'affaires en plein doute religieux. Mon incompréhension des intentions de Lorne (mis à part son amour du bazar) est un frein à ma dévotion au personnage. Celui-ci était censé au départ arrêter le chantage et ne parlons pas de sa capacité à prendre au premier degré la parole des autres. Même remarque pour les références cryptiques (à mes yeux) de l’hurluberlu. Certains argueront que c’est ce qui fait le charme du personnage. Quoi qu’il en soit, je ne blâme pas l’acteur ; Billy Bob Thornton nous offre une interprétation survoltée où chaque mot prononcé, chaque geste passent pour un tir en rafale.
Tout cela pour vous expliquer que ce qui m'intéresse dans Fargo (et plus généralement dans n'importe quelle série de télévision), c'est la psychologie des personnages. Le jeu du chat et de la souris résultant de leur dissonance et les différentes stratégies qu'ils mettent en place pour atteindre leur objectif. De même, le côté humain, l'adversité, le conflit, les relations d'autorité et de manipulation. Bref, la dramaturgie. À la limite, je m'endors si les scènes d'action ou de fusillade aussi géniales qu'elles s'avèrent ne sont pas la concrétisation (jouissive) d'une tension attendue et justifiée par des enjeux clairement posés.
Donc, à mes yeux, la dramaturgie est synonyme de jeux d'échecs, un art de la guerre, une polémologie. Qui veut en savoir plus à ma vision de la télévision peut lire ce dossier rédigé par mes soins. Cela explique sans doute ma patience légendaire. J’exagère ! Néanmoins, sachez que la lenteur d’une série ne me dérange pas foncièrement du moment que la chose a du sens. L'étirement du temps est utile lorsqu’il s’agit de travailler l’ambiance et approfondir les protagonistes. Mais, raconter doucement les choses ne doit pas rimer avec monotonie. Ainsi, les scénaristes devraient pimenter de temps en temps leur récit par la mise en valeur de pics de tension et en magnifiant le bouquet final à la manière des westerns (Sergio Leone...).
La réalité : douche de poissons gelés
Revenons à cet épisode. En le finissant, ma première impression était que Noah Hawley a brûlé les étapes. En voulant nous surprendre coûte que coûte, aussi visuellement (les poissons, mon Dieu) et narrativement (tout le monde se rencontre et se tire dessus), le créateur en fait trop, beaucoup trop qu’il en rate sa cible. Toute la construction ou la structure de l'épisode est à revoir. Je suis désolé, mais s'il désirait retranscrire toute la folie ou le côté imprévisible de la vie que nous pouvons voir dans le film éponyme des Cohen (non, je n’en suis pas le plus grand fanatique), il aurait pu au moins travailler sur la relation cause-conséquence. Le film original avait de génial que tous les éléments étaient liés. Le rapt imaginé par Jerry Lundegaard avait tout pour réussir ; pourtant, les choses ne cessent d’empirer d’autant plus que certaines réactions de personnages glacent le sang notamment celle de la brute interprétée par Peter Stormare. Le sordide et l’absurde de la situation sont poussés à leur paroxysme dans une affaire mêlant kidnapping, extorsion, meurtre et autres accidents imprévus et ingérables que la poisse nous réserve toujours comme pour rajouter une cerise sur le gâteau. Cet effet boule de neige donne d’ailleurs toute sa saveur à l’œuvre première et nous réservent des scènes croustillantes notamment à la fin du film (ce gros pétage de câble suivi d’un bordel monstrueux !). Les connaisseurs reconnaîtront la scène du broyeur ; que les autres ne s’inquiètent point, le parallèle s’arrête là.
Si vous voulez obtenir un épisode d'une intensité égale à « Ozymandias » (Breaking Bad) ou « Stasis » (Boss), vous ne pouvez vous contenter du hasard pour justifier les situations visibles à l'écran. Quelques exemples : comment les deux tueurs à gages ont-ils pu localiser Malvo qui conduisait une nouvelle voiture après le véhicule de Lester et celui des Phoenix Farms ? Sans oublier que le duo au volant de voitures différentes pouvait difficilement se coordonner, l'un étant sourd-muet. Je n'entrerais pas dans les détails. Vous pouvez facilement débusquer d'autres incohérences. Une dernière pour le fun : comment peut-on laisser seul un patient à l'hôpital et le récupérer des heures plus tard sans vérifier son passage à la radiographie ? Et, Lester qui vole une voiture, pénètre à l'aide de sa clé magique dans la maison de son frère et revient au moment opportun. Un grand serrurier !
Ma suspension consentie de l'incrédulité a été donc mise à rude épreuve d'autant plus que les précédents épisodes m'avaient habitué à une plus grande rigueur de la part des auteurs (enfin, de l'auteur, Noah Hawley, qui s'occupe seul de tous les scripts). Je sens que je suis beaucoup trop rude, mais les erreurs sont grossières. Les Cohen au moins tenaient une intrigue très bien ficelée malgré l’humour noir et l’excentricité des protagonistes style Twin Peaks. Tout paraissait tenir la route à la fin du visionnage. Il suffit de lire le résumé pour s’en rendre compte ou de voir et de revoir cette scène afin d’admirer la justesse de ton des deux frères qui ne sacrifiaient jamais la tragédie, le drame, le suspense au bénéfice du second degré.
En effet, dans ce genre de séries (dramatiques), lorsque l'histoire perd en « organique », c'est-à-dire lorsqu'elle écarte l'évolution des personnages dans son équation, plus rien ne fonctionne (Breaking Bad en a fait les frais une unique fois à la fin de la saison 2 : l'explosion de l'avion). Lorsque Lorne prépare son plan pour tuer le coach bronzé, on sent que la situation est là juste pour les impératifs de l'intrigue (nous en mettre plein la vue) et non pas parce qu'elle s'impose au personnage. Après tout, il aurait pu l'exécuter plus discrètement. Je n'ai pas de recul, donc je ne peux pas savoir si ce plan a une finalité bien précise dans la suite des événements. Sinon, c'est bien aussi de tirer à l'aveugle (je m'adresse autant au policier qu'aux tueurs professionnels !) ou de rencontrer par hasard dans la route son fils tué (la prophétie mystique a-t-elle été réalisée ?).
Propositions d'amélioration :
Il manque cette « inévitabilité », mot que chérit Vince Gilligan, le papa de Walter White, pour accéder au niveau supérieur et nous mettre LA claque. Les actions et l'évolution des personnages construisent, dictent l'action et non l'inverse. Jusque-là, seuls Lester et les policiers respectaient ce schéma de réaction-action. Je suis conscient que la série ne se prend pas toujours au sérieux, malgré son contenu parfois très sombre. En revanche, il manque ce grain de folie pour transcender l’ensemble : tous les personnages sont stratégiques, c’est-à-dire qu'ils ont des plans en tête, se soumettent à une autorité (le syndicat du crime), et réagissent de manière linéaire ou du moins rationnelle (évidente). Malvo doit se débarrasser d’un témoin potentiel, il s'en débarrasse sans problème. Il faut assassiner Lorne Malvo, alors on va essayer de le tuer (même si le bougre a la chance du diable). J’aurais été aux anges, s’ils répondaient plus à leur instinct. Encore une fois, ceux qui ont regardé le film des Cohen comprendront à quoi je fais référence : Gaear, par exemple, colosse taciturne, insondable et dénué de toute morale, a le QI d’une huître. Nonobstant, l'aura diabolique qu'il dégage et contraste avec ses occupations pour le moins banales : manger, fumer et regarder des programmes télévisés abrutissants. Cette impression est renforcée par son imposante stature et son permanent mutisme. Aussi son intelligence, à l’inverse de sa dangerosité, semble limitée. Cette figure de la mort incarnée n’en demeure pas moins imprévisible : la banalité du mal en action. En comparaison, le petit Malvo ne manque de rien : la ruse, l’invincibilité, l’audace, l’éloquence, la maîtrise des armes à feu. Un MacGyver !
Je m'attendais ainsi qu'à l'image d'un Breaking Bad (j'exagère) ou d'une tragédie shakespearienne, les protagonistes nous soient présentés dans des situations de blocage, de doubles contraintes ; qu'ils soient mis en mouvement sous la pression d'autres personnages qui s'apprêtent à les « manger ». Cette problématique du manger/être mangé était présentes dès les tout premiers épisodes de Breaking Bad : par exemple, lorsque Walter acculé, étrangle Crazy 8 parce qu'il a découvert que celui-ci avait l'intention de le tuer. Je voyais plus un combat des esprits : particulièrement entre Lester et Molly, parallèlement entre Gus et Malvo. C’est du moins ce que laissait sous-entendre l’épisode précédent avec une Molly rageuse de l'injustice et en quête de vengeance.
Pour finir, j'aimerais aussi ajouter que la réalisation et l'habillage sonore n'aident pas beaucoup. Le choix de la musique du générique de fin me laisse perplexe, tout comme la bande-son globale. Son utilisation est trop classique, prévisible et mal équilibrée pour nous donner des frissons. Par exemple, je m’attendais à un résultat plus pêchu concernant la transformation du personnage de Lester : une musique bien choisie aurait donné plus d'ampleur à sa trahison envers sa propre famille. Ne citons même pas ce morceau jazzy durant la fusillade. De plus, le chant religieux me semble trop académique ; je ne cache pas, par contre, que j’ai eu pitié du bronzé. En outre, la retouche du brouillard et la pluie de poissons en post-traitement ne méritent pas de commentaire. Ah ! Et rien que l'idée que Molly soit morte me fait peur, l'actrice est pour moi une révélation, cela serait une facilité de ne pas la laisser s'affronter à Lester. Mais, je prédis sa survie.
Bilan : Malgré mes reproches, « Buridan's Ass » reste donc un épisode intéressant. D’abord, il laisse envisager pour la série plein de perspectives et un nouveau départ, car il dynamite les différents arcs narratifs. De même, il nous offre des séquences assez incroyables et surprenantes (la course dans la tempête). Je dois au moins lui reconnaître la réussite au moins pour les deux raisons ci-dessus, mais cet épisode peut rebuter avec les facilités scénaristiques relevées. Cependant, je suis sûr que certains spectateurs ont mieux digéré l’expérience que moi et je suis conscient de faire partie d’une minorité. Mais, je vous rassure, moi aussi j’ai globalement passé un bon moment. Peut-être qu'au fond, mes attentes étaient-elles trop disproportionnées ?
J'ai aimé :
- Un véritable effort pour plaire.
- Le second degré toujours présent.
- L’ambiance apocalyptique et nihiliste à souhait.
- Prêt pour la dernière ligne droite ?
Je n'ai pas aimé :
- Les incohérences scénaristiques et autres grosses ficelles.
- De bonnes idées, mais qui ne sont pas renforcées par la réalisation (Lester qui trahit son frère).
- Mon manque de réceptivité.
Ma note : 11/20.