Conflit hiérarchique
Harvey hérite d'une négociation entre un hôpital et les infirmières qui demandent une revalorisation de leur statut, Jessica cherchant à tenir à l'écart un Daniel Hardman cherchant à se saisir de cette affaire pour marquer son grand retour. L'occasion pour lui et Jessica de remettre à sa place son nouvel employé, quitte à mettre Mike Ross dans une situation délicate, sa vie privée partant lentement en lambeaux. Pendant ce temps, Louis Litt se retrouve sous pression, Harvard envoyant une inspection à Pearson-Hardman pour réévaluer la nature de leur partenariat.
Résumé de la critique
Un épisode réussi que l'on peut détailler ainsi :
- une confrontation directe réussie entre Hardman et Specter
- le combat du bien et du mal pour l'âme de Mike Ross
- un épisode qui lance pour de bon la saison deux
- un démarrage un peu poussif
La guerre des chefs
Si les deux premiers épisodes ont servi d'introduction pour cette seconde saison, ce troisième acte crée la première confrontation directe entre Specter et Hardman autour de la gestion d'une négociation entre un hôpital et ses infirmières. Le combat démarre aussitôt entre le style rude et cynique d'Harvey qui place la victoire avant tout et le souhait de Daniel de trouver l'accord le plus profitable pour les deux partis. Si Gabriel Macht incarne un super-héros, l'ancien associé de Jessica apparaît comme un personnage humain et emphatique, laissant apparaître sa propre fragilité dans ces différents choix.
Une faiblesse que Mike Ross connait bien, peinant à lier vie professionnelle et personnelle, incapable de ne pas prendre fait et cause pour un personnel hospitalier qui se dévoue aux autres et, en particulier, à sa grand-mère. Face à la toujours excellente Margot Martindale, le jeune associé laisse parler sa nature en se rapprochant plutôt du style de Daniel dans sa tentative de trouver une stratégie gagnante qui puisse tous les satisfaire. Une façon élégante d'installer le personnage de David Constabile dans la série, gagnant petit à petit la sympathie du spectateur au détriment d'un Harvey Specter qui apparaît glacial et insensible.
En introduisant Hardman au sein du show, les auteurs nous proposent un personnage qui ressemble plus à un politicien qu'à un juriste, prenant des postures en se transformant en défenseur de certaines valeurs morales. En perdant contre Harvey, Daniel remporte au final une victoire, laissant apparaître aux yeux de tous l'arrogance de Specter tout en se forgeant une image vierge, celle d'un partisan d'une vision idéalisée du métier d'avocat. Au final, la seule chose que Daniel soigne est son image, construisant lentement la chute d'Harvey en utilisant contre lui sa propre force, à savoir son besoin de remporter des victoires pour maintenir sa réputation.
A la différence, Specter propose une approche très directe de cette négociation, s'interdisant toute manipulation pour ne pas perdre de vue les enjeux réels derrière cette histoire. En jouant le duo bon avocat – méchant avocat avec Mike Ross, il obtient de la représentante du syndicat qu'elle baisse sa garde, montrant combien l'empathie peut vite devenir une faiblesse en affaire. Cynique et désabusé, l'univers de Suits apparaît dans toute son ambiguïté, au-delà de l'idée de bien et de mal, sur la ligne grise où se rejoigne matérialisme et idéalisme.
Le choix de la complexité
Un point particulier que j'apprécie vraiment dans Suits concerne la confusion qu'il existe au sein du show entre la notion de bien et de mal, entre le monde réel et les habitants du sommet du gratte-ciel de Pearson - Hardman. Un royaume où vit Harvey Specter, avocat aux dents longues qui s'est fait sa réputation sur sa capacité à toujours gagner, affichant l'insolence de son invincibilité. Seulement, si le soin qu'il apporte à son apparence laisse l'impression d'un homme respectable, la vérité est que le personnage de Gabriel Macht n'est pas le défenseur des faibles et des justes, juste de sa propre réputation.
Ambigus, les héros de Suits le sont, pris entre leur opinion personnelle et leur statut professionnel, le niveau d'exigence de Pearson – Hardman nécessitant de sacrifier la part personnelle de leur existence. En donnant à la vérité une tonalité grisâtre et en délaissant toute idée d'une séparation claire entre le bien et le mal, Aaron Korsh sacrifie le divertissement sur l'autel d'une crédibilité nouvelle, portrait sans concession de ces grandes firmes légales, machine à gagner des procès cruelle et impersonnelle. Au travers de cet épisode, le bien et le mal se trouble, jouant à tenter de gagner l'âme de Mike Ross qui devient un enjeu dans un combat entre Daniel et Harvey.
Cette saison, les auteurs de Suits cherchant clairement à remettre en cause notre relation de sympathie ou de défiance envers certains personnages, choisissant de les faire évoluer dans des directions nouvelles et parfois inattendues. Loin d'être une production USA comme une autre, la création d'Aaron Korsh fait le choix du réalisme, prenant le risque de rendre impopulaire un personnage principal toujours aussi insaisissable, continuant de suivre ses propres règles. Pris dans la spirale des lignes troubles du bien et du mal, Mike Ross perd petit à petit ses repères, découvrant la réalité d'un monde complexe où il ne peut y avoir qu'un seul gagnant, Harvey Specter.
Les scènes avec sa grand-mère sont de ce point de vue très intéressantes, offrant l'occasion de laisser le héros exprimer toute sa fragilité face à l'agressivité extrême de son lieu de travail. Un monde exigeant où la valse des apparences est un art qu'il faut maîtriser, Hardman incarnant la séduction du politicien, cherchant à incarner l'idéal de Mike pour mieux emporter son admiration et son adhésion.
Le corps et l'esprit
Déjà à l'origine du très bon épisode « Play The Man » de l'année dernière, Erica Lopez poursuit son travail sur l'univers des associés, proposant une vision de Pearson – Hardman comme une entité complexe et vivante. Au sommet, le cerveau, composé d'un univers géométrique équilibré et espacé, laisse la liberté à l'égo d'Harvey entre autres de s'étendre et de se renforcer par le biais d'un décor finement choisi pour refléter sa propre réussite. Dans les étages inférieurs, les cellules fournissent l'énergie, gèrent le bon fonctionnement de la machine dans un décor restreint où leur soif d'individualisme est écrasé par le manque d'espace.
Personnage un peu trop méprisé par instant, Louis devient le centre de cet univers et d'une intrigue intéressante portant sur le cabinet et ses liens avec l'école d'Harvard. En effet, la prestigieuse université veut cesser sa relation avec le cabinet, menaçant la réputation avec celui-ci lors d'une inspection menée pour déterminer la nature des conditions de travail des jeunes diplômés. Interprétée par Rachel Harris, cette femme va se révéler une copie conforme de Louis, montrant combien les écoles de droit se soucient bien plus du niveau d'exigence de Pearson-Hardman que du bien-être de leurs anciens élèves.
Le droit apparaît comme un univers agressif, où l'effort et le travail sont les seules valeurs reconnues, le diplôme venant justifier cette capacité à fournir le labeur nécessaire à assurer le fonctionnement de l'agence. Tous savent évidemment que leurs expériences au sein du cabinet leur ouvrira dans le futur les portes vers les étages supérieurs, justifiant le sacrifice d'une vie privée qui ne peut pas exister au vu des tâches demandées. Un univers parfaitement rendu par une scène finale où Louis Litt affirme son autorité par la nécessité pour survivre dans le monde du droit d'en maîtriser toutes les routines de base.
Une progression un peu trop mécanique
Si l'épisode dans son ensemble est particulièrement plaisant et parfois brillant, certains détails gênent dans la mise en place de l'intrigue, la confrontation entre Specter et Hardman peinant à apparaître clairement. Sur ce point, les auteurs tâtonnent encore un peu, le scénario du jour se révélant assez pauvre et sans rebondissements majeurs pour permettre d'installer un réel suspense. Heureusement, la qualité des personnages et des dialogues vient faire la différence, comme l'orientation nouvelle du personnage de Rachel qui apparaît comme une bonne idée, confirmant que pour exister dans le monde du droit, le diplôme reste une absolue nécessité.
En conclusion, un épisode réussi une nouvelle fois, offrant un ballet élégant entre les personnages et quelques scènes marquantes en fin d'épisode où la stratégie de Daniel commence à apparaître. Cherchant à nous contraindre à remettre en cause notre regard sur Harvey, l'ancien associé de Jessica joue avec notre conception du bien et du mal pour mieux mettre en évidence la nature égoïste du héros de Suits. Plus nuancé, plus précis dans sa description de l'univers de Pearson - Hardman, Aaron Korsh délaisse la légèreté et la simplicité du divertissement pour poser des questions intéressantes sur la nouvelle définition du héros dans un univers à ce point concurrentiel.
J'aime :
- la storyline de Louis
- la confrontation entre Hardman et Specter
- la perte de repère de Mike
- des interprètes remarquables
Je n'aime pas :
- le démarrage un peu maladroit
Note : 14/20
En privilégiant l'évolution des personnages à l'intrigue, Suits lance une saison deux qui cherche à jouer sur le trouble de Mike Ross concernant le bien et le mal, Hardman venant remettre en cause sa fidélité envers Specter. Profitant d'un casting impeccable, dont la formidable Margot Martindale, Suits confirme les qualités entrevues précédemment, poursuivant une seconde saison pour l'instant irréprochable.