Une silence, une respiration, comme autant de mensonges
Aisha part pour une convention de vétérinaire pendant deux jours, avant que Hector ne la rejoigne pour son anniversaire de mariage. L'occasion de faire le point sur son existence, sur ses amitiés, ses amours et avant tout sur elle-même, la gifle de Harry ayant éveillé un vieux souvenir qu'elle pensait avoir oublié. C'est alors qu'elle fait la connaissance d'un des conférenciers, le docteur Ramirez, qui va se montrer intéressé par elle.
Résumé de la critique
Un épisode superbe que l'on peut détailler ainsi :
- un épisode composé de silences et de non dits
- le portrait superbe d'une femme en quête d'une vérité
- une musique superbement minimaliste et une actrice inoubliable
- un univers qui parvient encore à conserver un semblant d'équilibre
Parti pris esthétique et utilisation de l'espace-temps
Certes, beaucoup vont me reprocher le style particulier de cette critique, mais j'ai décidé de me placer dans la continuité de cet épisode qui fait le choix d'un style totalement à l'opposé de la mode actuelle. Tout comme son héroïne, cet épisode de The Slap sait manier les silences mieux que les mots, utilise l'espace pour diluer le temps et fait le choix de ne rien expliquer. Au spectateur de se débrouiller avec le personnage complexe de cette femme au premier abord mystérieuse, mais finalement aux motivations bien plus simples qu'il n'y parait.
Personnage singulier et unique, Aisha ne dit pas les choses, confirmant l'orientation de la saison d'un premier épisode bavard à celui-ci où la parole est à chaque fois retenue. Loin de s'imposer, la femme d'Hector possède le talent pour se fondre dans le paysage, suivre le cours des évènements sans les subir, laisser le hasard guider son voyage. Sa rencontre avec le docteur Ramirez va appuyer ce point de son caractère, Aisha ne s'opposant jamais à cette liaison sans pour autant l'encourager, mélange de timidité, mais surtout besoin de ce sentiment d'excitation et de jeunesse .
Le temps dans l'épisode s'étend lentement, se ralentissant pour s'intéresser non pas à la phrase, mais à l'expression du visage qui l'accompagne, aux traits qui se forment et se déforment comme autant de réactions incontrôlables. En effet, si le personnage d'Aisha utilise ses silences pour taire la vérité, son visage est le seul à trahir la complexité de ses sentiments. L'esthétique est donc totalement contemplative, minimaliste, tout comme la musique superbe qui accompagne cette existence plutôt douce où chaque mot ne prend son sens qu'au travers d'une expression du visage.
Pour apprécier cet épisode, il faut s'immerger totalement dedans, sans quoi le jeu des expressions et les variations subtiles vous échapperont, laissant au spectateur cinquante minutes d'épisode opaque, froid et particulièrement lent. Mais une fois à l'intérieur, le rythme trouve sa logique, moment singulier qui rappelle les films de Kieslowski où le flux des images s'harmonise avec la musique et le rythme de l'individu, créant un épisode de pure sensation. Au final, un épisode superbe qui aura permis d'entrer vraiment dans l'intimité d'Aisha, dans son espace-temps unique, seul moyen pour entraîner la série encore un peu plus loin dans l'exigence artistique.
Au milieu du silence, la voix de la vérité
La famille d'Hector étant parti en Grèce, les voix et les conversations autour de la gifle se sont lentement tues, ne laissant que des non-dits et pour Aisha, le sentiment de ne pas avoir fait ce qu'elle aurait dû. Plus qu'une simple claque, c'est son rapport avec les autres qui va se retrouver au centre de l'épisode et sa capacité à évaluer la justesse de son choix. Sa colère contre son mari, ainsi que son mépris et à la peur qu'elle ressent envers Harry, l'obligent à envisager une autre existence, loin de cette famille qu'elle rejette.
Habituée à soigner et à panser les plaies, elle doit se faire violence pour rouvrir celle-ci et empêcher qu'une infection ne s'étende en dessous. Le besoin d'action, cette envie de fuir ou de résister, la tenaille et surtout celui de s'éloigner d'Hector pour mieux retrouver la capacité de juger et de faire le bon choix pour son avenir. Les crises de larmes de son mari le fait paraître faible et pathétique, moment d'une grande hypocrisie où il espère en fait qu'elle lui fasse avouer son infidélité, afin de ne pas porter la culpabilité de leur possible séparation.
Hector apparaît alors comme particulièrement lâche, surtout lorsqu'il utilise ses enfants pour la pousser à voir Harry, montrant un manque de maturité agaçant. Les silences d'Aisha apparaissent comme autant de signes de frustration et de colère devant cet époux lâche qui a choisi sa famille, utilisant les confidences de son épouse contre sa meilleure amie. La parole devient une source de destruction qu'elle craint d'utiliser, là où son époux en abuse avec inconscience, oubliant d'être lui aussi à l'écoute d'une épouse qui se sent trahie.
Le couple ne communique plus du tout et ne se retrouve plus que grâce à l'attachement de celle-ci à sa famille, deux enfants qui lui permettent d'oublier sa colère. Seule avec elle-même, Aisha fait le point et le choix de sa propre famille, malgré les lâchetés et les nombreux défauts d'Hector, pour une vie qui n'est qu'un mensonge de façade, réservant la vérité à un cadre plus intime. Entre la vérité et le mensonge, la série montre que si la parole ne nous apprend rien, les visages et les expressions eux ne peuvent pas mentir.
Une direction artistique irréprochable
Si l'épisode possède des thèmes forts et une grande qualité d'écriture, il peut aussi se targuer de posséder une réalisation impressionnante, avec une photographie vraiment réussie qui met parfaitement en valeur les visages. Les décors sont étonnants, appuyant le côté contemplatif de la mise en scène dont le rythme est maîtrisé, permettant aux comédiens d'exprimer toute la complexité de leur personnage en tirant parti au mieux des silences. La réalisation nous plonge vraiment dans l'esprit d'Aisha, avec des dialogues assez lents pour apporter une vraie force à cet anniversaire.
Superbe, la musique d'Antony Partos est vraiment une réussite, minimaliste et lancinante, évoquant dans une tonalité totalement différente les Metamorphosis de Philip Glass. Avec le piano, il exprime à merveille le rythme et l'état d'esprit d'Aisha, entre nostalgie, regret et une touche d'espoir, celui de pouvoir enfin passer à autre chose. Mais le point le plus impressionnant reste sans conteste la prestation sublime de Sophie Okonedo, maîtrisant à merveille un personnage d'une complexité étonnante.
Eblouissante, l'actrice écrase tous les autres personnages, utilisant à merveille les expressions de son visage qui sont comme autant de pistes pour percer le secret d'Aisha. Difficile de qualifier cette performance tant un tel niveau de jeu est rare, prouvant une nouvelle fois combien The Slap est une série exigeante avec elle-même.
Encore un dernier épisode...
Pour Aisha, l'équilibre de l'existence apparait comme le plus important, reposant avant tout sur ses deux enfants qu'elle place au-dessus de sa propre existence. Affaibli, Hector n'est déjà plus vraiment son époux, sa place dans la famille étant celle du père, mais plus vraiment du mari. Le final va continuer à le mettre à mal, laissant entrevoir un drame terrible qui devrait permettre à Rosie de prendre sa revanche sur cette famille. En un épisode, tous les éléments se sont mis en place pour un final mémorable, un grand jeu de massacre qui ne devrait épargner personne.
En conclusion, un épisode superbe qui prend le parti de dérouter le spectateur avec une forme originale et particulièrement inattendue. The Slap fait le choix du silence et des non-dits pour mieux explorer la lente destruction du couple entre Aisha et Hector, à l'heure où les confessions se succèdent. Les vrais visages derrière les mensonges commencent à poindre, laissant apparaître le portrait d'une famille au bord du chaos, à l'approche d'un final qui devrait se montrer à la hauteur du reste du show.
J'aime :
- Sophie Okonedo remarquable
- la musique minimaliste d'Antony Parkos
- le parti pris esthétique culotté
- des personnages profonds et passionnants
- la gestion du temps admirable
Je n'aime pas :
- rien
Note : 17 / 20
Un épisode superbe, exigeant, faisant le choix du silence pour mieux laisser parler les traits du visage et l'expressivité des comédiens. Incroyable tout le long, Sophie Okonedo compose un personnage d'une grande complexité pour une histoire assez simple, celle d'une femme qui doit faire le choix entre la sincérité et les faux-semblants, la liberté ou la famille.