Historique statistique pratique
J'aurais pu mettre en titre de paragraphe: « rétrospective statistique », mais j'ai préféré miser sur la poésie pour vous, lecteurs poètes écorchés vifs.. (ou alors pour toi si tu es tout seul). Pour ceux qui s'en foutent des chiffres, sachez que cette première partie d'article en est truffé. Si ils vous donnent des boutons ou toute autre réaction allergique, vous êtes invités à vous reporter à la deuxième partie, magnifiquement et subtilement intitulée « caprices catastrophiques ». Bref, commençons :
Mardi 26 octobre 2010: Syfy diffuse le dernier épisode de l'année de son programme Caprica. Ce n'est pas une fin de saison, ni une grève des scénaristes. C'est une catastrophe.
Caprica, à l'origine, devait bénéficier d'une première saison de 17 épisodes qui devait amener - si l'audience suivait - à une seconde saison, comme toute série qui se respecte. Ce mardi 26, l'audience du douzième épisode atteint 840 000 téléspectateurs et deux jours plus tard, la sentence tombe : la fin de saison de Caprica est tout bonnement déprogrammée et repoussée au début de 2011. Caprica n'aura pas de deuxième saison et finira d'agoniser avec les honneurs qu'elle méritait dès son commencement. Pour analyser cet échec commercial prévisible, nous commencerons par revenir sur les chiffres puisqu'il s'agit avant tout du principal problème.
En 2005, le premier épisode de Battlestar Galactica (33), la série dont Caprica est le spin-off, réunissait 3,1 millions de téléspectateurs sur la chaine Syfy aux USA. La série resta pendant toute sa première saison sur un score de plus ou moins 3 millions de téléspectateurs et ce premier épisode représente le deuxième plus gros score d'audience sur le câble sur la tranche horaire 20h-23h. Le renouveau de la série de science-fiction était là, sous la forme d'un remake totalement revisité d'une série qui a l'origine ne payait pas de mine : Galactica.
BSG (Battlestar Galactica) finissait son périple de 4 saisons sur le score, pour son dernier épisode, de 2,4 millions de téléspectateurs et en tout, 2 ALMA Awards, 3 emmy awards, 1 golden reel award, 7 saturn awards et le prestigieux titre de la TCA (Television Critics Association) de programme de l'année 2009.
Tout portait alors à croire que la science-fiction se portait bien et qu'une suite ou un spin-off de BSG, surtout avec l'arrivée de Remi Aubuchon (anciennement sur 24), n'aurait aucun mal à s'imposer. Or Syfy à visiblement laissé le genre qu'elle défend – la SF – se reposer sur ses lauriers jusqu'à ce que coma s'en suive.
Le vendredi 22 janvier 2010, le pilote de la série Caprica est diffusé sur Syfy et réunit 1,6 millions de téléspectateurs soit presque la moitié du score de son ainée. Les analystes ont alors expliqué ce demi-échec par le fait que cet épisode avait auparavant été diffusé sous forme de DVD (et qui dit DVD, dit DivX bien entendu) et donc que la majorité des téléspectateurs potentiel avaient déjà vu l'épisode. Pourtant, la suite du pilote ne fait qu'infirmer ces analyses : 1,41 millions de téléspectateurs ont regardé le deuxième épisode de la série le 29 janvier, soit environ 190 000 téléspectateurs de moins que la pilote. Les scores allaient ensuite dégringoler jusqu'à la fin de la première partie de la saison, le vendredi 26 mars avec un dernier épisode dont le score commençait à vraiment devenir inquiétant : 1,1 millions de téléspectateurs.
La seconde partie de cette première saison allait être diffusé le mardi désormais, choix discutable sur lequel nous reviendrons dans la suite de l'article. Mardi 5 octobre, donc, l'audience de Caprica tombe littéralement comme un couperet : 889 000 téléspectateurs, une catastrophe. Pourtant, l'agonie ne s'arrête pas là : 840 000 fans pour l'épisode suivant, et surtout, 718 000 le mardi 19 octobre. La hausse de l'audience la semaine suivante n'y fera rien : Caprica est condamné.
Nous allons maintenant arrêter de vous donner mal à la tête avec tout ces chiffres et toute cette objectivité froide et cruelle pour nous intéresser aux potentielles raisons de son insuccès auprès du public.
Caprica: trop d'esthétisme et de symbolisme pour une série de SF?
Caprices catastrophiques
Avec une accroche comme celle-ci, j'ai intérêt à me justifier parce que j'entends d'ici les « c'est quoi c't'histoire de caprice » et les « euh j'vois pas le rapport ». Ce a quoi je répondrais que moi je l'aime bien ce jeu de mot d'abord et que si vous me laissiez l'expliquer je suis sur que vous seriez d'accord avec moi.
Le spectateur lambda de science fiction est capricieux. Il aime quand une œuvre du genre, quel que soit son support, le fasse voyager et brise tous les codes de la réalité. Surtout quand il s'attend à un space opéra. Nous appellerons ce spectateur Roger, d'abord parce que Kevin c'était trop facile, et ensuite parce que je ne connais aucun Roger donc j'évite tout problème diplomatique éventuel.
Roger, donc, a vu le final de Battlestar Galactica la larme à l'œil, puis s'est rué sur internet pour en discuter avec d'autres fans sur les différents forums consacrés à la série. Et qu'apprend-il, Roger? Qu'un spin-off est en préparation. "Saperlipopette !" se dit-il, je vais pouvoir m'envoyer une deuxième dose de SF avec des battlestars, des cylons, des starbuck et des lasers partout ! Que nenni lui répond-t-on froidement : Caprica ce sera plus ou moins un Dallas dans l'univers de BSG. Quemment ? Pas de vaisseau spatial ? Pas d'action ? Pas d'amiral charismatique nous faisant vibrer à coup de « so say we all? » ? Oui mais non, Caprica ça va être aussi bien que BSG, mais plus sérieux.
Alors Roger a eu envie de bouder Caprica. Mais bon, il a quand même téléchargé le pilote de la série pour voir si c'était aussi grave que ça en avait l'air, et à la fin de ce dernier il le supprima froidement avant d'aller uriner sur la carcasse d'un Battlestar en s'exclamant : « Caprica, cay pas super ».
Cette vision caricaturale du téléspectateur de Syfy n'est pas si éloignée que ça de la réalité. Caprica, en prenant le partie de s'affirmer dans sa différence avec BSG à courageusement pris un gros risque : celui de perdre le public de la série originale. Cela eut l'effet escompté sans pour autant amener un public différent. On peut dés lors établir une liste de suspects potentiels pour l'échec de la série :
- La chaine Syfy
- Roger et ses copains
- Les créateurs de la série
- Les critiques
Après une courte enquête, nous pouvons d'ores et déjà éliminer les critiques. En effet, sans être dithyrambiques, celle-ci ont largement soutenues la série même si elles laissaient transparaitre une légère attitude dubitative quant à son succès.
Nous ne pouvons pas non plus nous en prendre à ses créateurs. Pour qui a suivi la série depuis le début, celle-ci apporte son lot de cliffs passionnants, de l'audace dans les partis pris, des acteurs attachants et surtout, une histoire passionnante au final soulevant tout autant de questions que son ainée BSG. Même si cette analyse est subjective et n'engage que moi, le travail effectué pour poser les bases de la série, avec un rythme a contre courant total de BSG suffit à justifier mes dires.
Est-ce que Roger est coupable ? Peut-être. Cela dit, ce n'est pas vraiment de sa faute. Roger regarde Syfy parce qu'il veut du Stargate et du Battlestar, autrement dit de la SF qui, à l'instar du Port-Salut, se présente par une étiquette assez claire. Si Roger voulait voir du drame dans un univers plus ou moins cyberpunk, il irait surement sur HBO ou AMC. Donc c'est pas sa faute à Roger...
Il ne reste plus qu'un seul coupable, à savoir Syfy et ses croutes de sang séchés sous les ongles.
D'abord, Syfy n'avait peut être pas les épaules assez larges pour accueillir comme il se doit une série de l'ambition de Caprica. Le public visé allait plutôt faire un tour du coté d'HBO s'il voulait voir du drame et il est difficile pour une petite chaine thématique de pouvoir réunir deux catégories de téléspectateurs. Cela dit, on ne peut raisonnablement pas incriminer Syfy sur ce fait, au contraire, nous ne pouvons que saluer l'effort. Mais alors, pourquoi diffuser la série à 22h? Pourquoi également, alors que les audiences montrent que la série est en perdition, déplacer celle-ci du vendredi soir, veille de weekend au mardi soir, veille de pas weekend ? Surtout avec Stargate Universe en prime time juste avant et pile au moment où FX diffuse son Sons of Anarchy et ses 2,5 millions de téléspectateurs.
Nous pouvons également nous interroger sur le rythme de diffusion de la série que, dans notre plus grande indulgence, nous qualifierons de chaotique. Un pilote diffusé en 2009 en dvd, puis début 2010 sur la chaine, suivi de 8 épisodes diffusés chaque semaine, une interruption, puis 4 nouveaux épisodes diffusés un autre jour de la semaine, une autre interruption et 5 autres épisodes diffusés dans un avenir proche mais onsépakan.
Caprica est devenu un dommage collatéral de l'expansion de la chaine alors qu'il aurait put, avec un autre traitement, devenir son fer de lance. Nous ne pouvons malheureusement plus rien y faire, nous autre fans de BSG qui avons compris l'importance de Caprica pour la licence, et nous consoler avec l'annonce de Blood and Chrome, l'autre spin-off qui fera surement l'objet d'un autre dossier. Le seul espoir pour Caprica serait son rachat par une autre chaine qui croirait encore à son potentiel, mais qui rachèterait une entreprise en dépôt de bilan...?
Donc, pour reprendre une expression célèbre de Desproges, Syfy est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi.
En attendant, je vous invite à rendre hommage à la série en la regardant et en venant nous donner vos impressions. Celle-ci vaut vraiment la peine d'être visionnée, surtout une fois que les bases sont posées. D'autant que l'annonce de sa fin va certainement lui permettre de se conclure comme il se doit au bout d'une saison seulement avant de pouvoir enchainer sur Blood and Chrome.
So say we all !