NB : Gare à toi cher lecteur, ce dossier contient de nombreux spoilers concernant aussi bien la série télévisée que les comics dont elle s’est inspirée.
C’est un fait : depuis quelques années, au cinéma comme à la télévision, la mode est aux remakes et autres formes d’adaptation. Il ne se passe pas un mois sans que l’on apprenne que tel ou tel film sera réadapté, que telle série va renaître de ses cendres ou que tel jeu vidéo va connaître un portage sur grand écran. Dans le monde des séries télévisées, les exemples sont encore plus nombreux qu’ailleurs. Parmi les récentes nouveautés, on peut notamment citer The Leftovers, adaptation d’un roman de Tom Perrotta ou encore Dominion, série qui reprend la trame principale du film Légion (2010). À ces deux exemples s’ajoutent également ceux The Last Ship ou encore de The Strain. Souvent décevante et rarement convaincante, l’adaptation a toujours été un exercice à la fois excitant, emballant et périlleux. Les chaînes et leurs scénaristes doivent parvenir à trouver leur propre identité à partir d’une œuvre déjà existante, tout en évitant de se mettre à dos des fans de plus en plus exigeants et toujours à l’affût de la moindre erreur. Si certains font le choix d’adapter mot pour mot, image par image, plan par plan leur modèle d’origine, d’autres choisissent au contraire de se distinguer complètement de l’original.
Des comics à la série : Des personnages presque semblables…
À SerieAll, on a pu s’empêcher de s’intéresser à ce phénomène en se penchant sur le cas de la très controversée The Walking Dead. Alors que la série diffusée sur la chaîne AMC depuis 2010 connaît un réel succès en réunissant chaque semaine plus de 13 millions de téléspectateurs (ces chiffres concernent la quatrième saison), les comics dont se sont inspirés les scénaristes de la série ne sont pas en reste et continuent de s’arracher comme des petits pains. Gadgets en tout genre, magazine officiel, jeux vidéo, romans, publicités grandeur nature… En quelques années, The Walking Dead est devenu un phénomène qui ne cesse de réunir de plus en plus d’adeptes, s’éloignant toujours plus de ce qu’elle était au départ : une « simple » bande dessinée en noir et blanc créée en 2003 par un dénommé Robert Kirkman. La série The Walking Dead est un exemple intéressant d’adaptation, non seulement parce qu’elle a tendance à diviser les fans de la première heure, mais aussi et surtout parce qu’elle propose une véritable relecture de l’œuvre originale. Qu’on aime ou qu’on déteste, qu’on soit d’accord ou non avec les choix des scénaristes et des showrunners, la série ne laisse pas indifférent et fait réagir. Voilà pourquoi il est pertinent de se pencher un peu dessus.
J’entends déjà les soupirs d’exaspération de ceux qui se disent « En voilà encore un qui veut se la péter en montrant qu’il a lu les comics ». À ceux-là, j’ai envie de leur répondre qu’ils n’ont pas tout à fait tort. Malgré tout, n’allez pas croire pour autant qu’il s’agisse d’un simple dossier comparatif entre les deux œuvres. Plus que de simplement énumérer les différences entre la série et les comics (ce qui serait une tâche plutôt laborieuse, longue et sans véritable intérêt), le but de ce dossier consiste davantage à saisir l’intérêt et les enjeux de ces changements. Par conséquent, nous ne prendrons ici que quelques exemples des variantes, qui sont en réalité très nombreuses. À travers plusieurs axes ou thématiques (personnages, intrigues, décors, costumes...), nous allons essayer de mettre en valeur les réussites et les échecs de cette adaptation et tenter de discerner les raisons qui pourraient expliquer les changements effectués d’un média à l’autre. Dans notre première partie, ce sont donc les personnages qui sont passés au crible et ce à travers quelques exemples significatifs…
Quiconque a déjà lu les comics de Robert Kirkman sait à quel point ces derniers sont au centre de son œuvre. Tourmentés, sombres, violents, souvent complexes et passionnants, ils possèdent une véritable richesse dramatique qui n’a de cesse d’être développée de tome en tome. Si la série accorde, elle aussi, une importance toute particulière à ses protagonistes et à leurs relations, ces derniers se révèlent pour la plupart moins passionnants que les originaux. En plus de prendre certaines libertés dans le traitement qu’ils accordent aux personnages des comics, les scénaristes de la série en font disparaître certains pour en faire apparaître des nouveaux avec plus ou moins de réussites. Pour commencer ce dossier de comparaison entre les comics et la série télévisée, nous allons tenter de décrypter quelques différences et similitudes entre les personnages, tout en essayant d’en cerner les enjeux narratifs et dramatiques.
Les mêmes personnages, mais pas le même destin
Globalement, la série nous donne à voir les mêmes personnages que dans les comics. Dans les deux cas, on retrouve aussi bien Rick, Lori, Carl, Glenn, Carol, sa fille Sophia, Hershel, Maggie, le Gouverneur et j’en passe… S’ils ont le même prénom ou surnom, leur destin et leurs actes sont pour la plupart vraiment différents. Si pour certains personnages, ces changements sont un atout et permettent de mieux les cerner, ce n’est pas le cas pour tous et certains d’entre eux sont nettement moins intéressants.
À titre d’exemple, le personnage de Shane est plus passionnant dans la série que dans les comics. Il faut dire que la version bande-dessinée de l’ami et collègue de Rick connaît un destin assez expéditif, puisqu’il meurt à l’issu du premier tome (6 numéros soit environ 130 pages). Logiquement et si les scénaristes de la série avaient respecté la trame des comics, il aurait dû disparaître à l’issue de la première saison. À la place, ils ont décidé de lui offrir treize épisodes supplémentaires, dans lesquels on assiste plus longuement à sa métamorphose et à son changement de comportement. La série télévisée lui permet d’explorer pleinement sa folie et son côté sombre, puisqu’il n’hésitera pas à tuer plusieurs individus. Alors qu’il était finalement réduit à un rôle plutôt mineur dans les comics, se résumant principalement à une histoire de jalousie, le personnage de la série télévisée est plus nuancé et surtout plus mystérieux et intrigant.
Le Shane de la série TV gagne à être connu par rapport à son homologue version papier
Au contraire, un personnage comme celui de Tyreese est incontestablement plus intéressant dans les comics que dans la série. Alors que le personnage est vraiment passionnant dans la version originale de The Walking Dead, il est presque sans intérêt dans la version télévisée. Non seulement, il arrive beaucoup plus tard, mais son rôle y est beaucoup moins bien défini. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de lire les comics, sachez qu’il apparaît avant l’arrivée de Rick et ses comparses à la ferme d’Hershel, qu’il est accompagné de sa fille et du petit ami de cette dernière. C’est un père très attentionné, mais qui se révèle être aussi un véritable guerrier qui n’a pas peur de se battre. Il s’impose comme un personnage charismatique que Rick aura du mal à maîtriser. Les deux hommes en viendront d’ailleurs aux mains. Dans la série, il apparaît dans la saison 3 et est accompagné de sa sœur Sasha. Contrairement à son homologue et même si la saison 4 aurait parfois tendance à me faire dire le contraire, il n’est pas vraiment violent et semble surtout vouloir fuir le conflit. Là où il allait affronter les hommes du Gouverneur dans les comics, il préfère ici assurer sa survie en passant d’un camp à un autre. Autant dire qu’il s’agit là d’un bien triste changement pour un personnage plutôt passionnant à la base. Petite anecdote : dans les comics, c’est lui qui connaît le funeste destin d’Hershel. Autrement dit, il se fait couper la tête par le Gouverneur à l’aide du katana de Michonne, qui est alors sa petite amie.
Tyreese : un personnage qui a perdu du style
Comme vous pouvez le constater, la liberté prise par les scénaristes de la série vis-à-vis des personnages présents dans les comics est à double tranchant : elle permet à la fois d’approfondir certains personnages qui manquaient cruellement de profondeur, mais en même temps, elle semble aussi porter préjudice à d’autres protagonistes. Le gros défaut de la série, en tout cas dans ses débuts, est d’avoir voulu rendre de nombreux personnages moins complexes et plus vertueux qu’ils ne l’étaient. Forcément, cela a pour conséquence de les rendre moins passionnants et le téléspectateur exigeant a de ce fait beaucoup plus de mal à s’intéresser à leur destinée. Nous reviendrons plus longuement sur ce point dans une prochaine partie.
De nouveaux personnages qui tombent souvent à plat…
Comme pour combler les frustrés, mais surtout pour créer davantage d’interaction, la série fait alors intervenir de nouveaux personnages. Parmi eux, on peut citer les frères Dixon (Daryl et Merle), T Dog ou encore Milton, l’un des nombreux assistants du Gouverneur. Malheureusement, plutôt que de combler un vide, ces derniers connaissent trop souvent un destin expéditif et sont assez mal exploités dans l’ensemble.
Daryl et son frère Merle sont peut-être les seuls nouveaux protagonistes qui parviennent à sortir du lot et à s’imposer véritablement. Il faut dire que l’on retrouve chez eux une certaine complexité et ambivalence qui manque à la plupart des autres personnages. Tout d’abord, ce ne sont pas des « gentils garçons » et encore moins des héros. Ils ne sont pas vertueux et sont habitués à se débrouiller par eux-mêmes. D’une certaine manière, on pourrait presque dire qu’ils ont été taillés pour la survie. Racistes, égoïstes et parfois machistes, ils forment à eux deux un condensé des mauvaises valeurs humaines. Si Merle va très vite disparaître au cours des premiers épisodes pour réapparaître plus tard, son frère Daryl va clairement se faire une place auprès de Rick, mais surtout dans le cœur des téléspectateurs. Au fur et à mesure des épisodes, ce « mauvais garçon » va peu à peu faire tomber son masque et délivrer ses émotions, devenant ainsi la brute au grand cœur. C’est lui notamment qui va aider Carol à retrouver sa fille Sophia… Au cours de la saison 3, il va même jusqu’à s’émanciper de son frère aîné en décidant de ne plus le suivre aveuglément. À dire vrai, Daryl semble être le seul personnage exclusivement créé pour la série qui est parvenu à s’imposer auprès des fans.
Les frères Dixon où la preuve que la série TV est capable, elle aussi, de créer de vrais personnages
Pour les autres, c’est beaucoup plus complexe. La plupart servent surtout de faire-valoir. C’est le cas notamment d’Ed Peletier, le mari de Carol. Absent des comics, il occupe une place importante dans les premiers épisodes de la série. C’est un homme profondément violent et sa femme a peur de lui. Très vite, il se fait mordre par un zombie et on se rend compte qu’il n’était là que pour mettre en lumière la fragilité de Carol, avant que celle-ci n’évolue au cours des saisons pour devenir la femme forte d’aujourd’hui. Autre exemple de faire-valoir : T Dog, qui n’a jamais vraiment eu droit à un développement digne de ce nom. Le personnage manque de charisme et rare sont les personnes à s’intéresser vraiment à lui. Son seul véritable moment de bravoure correspond aussi à sa mort, puisqu’il se sacrifie pour permettre à Carol de rester en vie.
De Gauche à droite : Ed Peletier, T-DOG et Milton, l’équipe de faire-valoir
De la même manière, le personnage de Milton qui aurait pu apporter un vrai plus à la série est vraiment trop mal exploité pour qu’on se souvienne de lui. Ses expérimentations sur les zombies auraient pu amener ou du moins soulever des questions intéressantes, mais ce n’est pas du tout le cas et elles ne servent finalement à rien, tout comme le fait qu’il connaissait le Gouverneur avant l’apparition des zombies. Cette bonne idée aurait pu amener des révélations sur le passé des personnages, mais cette relation reste finalement assez secondaire et artificielle. On se souviendra surtout de lui pour s’être transformé en zombie et avoir mordu Andréa. Dommage !
Une relecture des personnages
La pauvreté de ces nouveaux personnages est encore plus frustrante lorsque l’on sait que leur présence à l’écran a eu pour conséquence d’écarter d’autres protagonistes présents dans les comics, mais absents de la série (du moins au départ). C’est le cas notamment d’Allen, de son épouse Donna et surtout de leurs deux enfants Billy et Ben. Des personnages portant leurs prénoms feront bien leur apparition au cours de la saison 3, mais ils sont vraiment trop éloignés de ceux que l’on connaît dans les comics pour établir un véritable lien entre eux. Non seulement, l’actrice Cherie Dvorak ne ressemble en rien à la Donna version bande-dessinée, mais en plus le couple n’a qu’un seul enfant et ils rejoindront les rangs du Gouverneur. À cette liste des personnages manquants s’ajoutent entre autres les noms de Julie, la fille de Tyreese ou de Chris, son petit ami.
À Gauche : Allen, Donna et leurs deux enfants. À Droite : Chris et Julie en pleine conversation. Des personnages qui auraient mérité une vraie place dans la série…
Si ces personnages n’occupent pas une place primordiale dans les comics, ils ont au moins le mérite d’apporter et de soulever des thématiques qui peuvent s’avérer pertinentes, surtout les jumeaux qui sont en réalité l’équivalent de Lizzie et Mika Samuels dans la série. Dans les deux cas, l’un des deux enfants bascule dans une certaine forme de folie et tue son frère ou sa sœur, ce qui oblige les autres survivants à se poser la question de son devenir au sein du groupe. Par ailleurs, cette intrigue ne connaît pas le même déroulement, ni le même dénouement dans chacune des versions, notamment en ce qui concerne l’identité de la personne qui abat le frère ou la sœur restant(e).
Ces quelques exemples que nous venons de citer permettent de mettre en lumière l’un des aspects de l’adaptation télévisée, qui consiste à faire en sorte de reprendre des éléments des comics sans pour autant qu’ils soient exactement pareils. La série fonctionne presque sous forme de clin d’œil. De nombreux événements sont identiques d’une version à une autre, mais ces événements ne concernent pas les mêmes personnages et surtout ne se situent pas au même endroit dans l’intrigue. Les jumeaux ne sont qu’un exemple de cette forme de réappropriation des comics. Dans le même registre, on peut également citer l’amputation de la jambe d’Hershel qui dans la version originale n’existe pas, puisque c’est Dale qui est victime de cette opération d’urgence.
Dans l’univers de « The Walking Dead », on ne sait même plus où donner de la tête
Si ce détournement de l’œuvre originale peut agacer les plus puristes d’entre nous, elle a au moins l’intérêt de surprendre et de permettre aux lecteurs des comics de redécouvrir les personnages d’une autre manière, en rendant leurs réactions et leurs comportements assez imprévisibles. La mort d’Andréa était par exemple inattendue autant pour les fans de la série n’ayant pas lu les comics que pour ceux qui ont découvert le personnage dans sa version dessinée. S’il est légitime d’être déçu par ce que les scénaristes ont fait du personnage au fil des saisons par rapport à celui des comics, ils ont au moins le mérite de nous étonner et de jouer la carte de l’imprévu.
Cela est plutôt une bonne chose, puisque même le plus fidèle lecteur des comics pourrait ne pas s’attendre à certains événements. Faisant moi-même partie de cette catégorie, je peux affirmer que je me serais vraiment ennuyé si les scénaristes avaient décidé de copier avec exactitude l’œuvre d’origine. Après tout, quel intérêt il y aurait à retracer plan par plan et mot par mot les comics ? Il n’y aurait alors aucune utilité à proposer une adaptation télévisée et les comics se suffiraient à eux-mêmes. Là, même si je peux prévoir ou deviner certains événements, d’autres me surprennent et ce n’est pas plus mal comme ça. L’effet de surprise s’en retrouve d’autant plus renforcé que je ne m’y attends absolument pas. Au final ces choix, même s’ils sont discutables, permettent à la série de devenir une œuvre quasiment indépendante de son modèle et qu’il est possible de découvrir d’un œil neuf ou de redécouvrir. Les libertés prises par les scénaristes lui permettent de trouver sa propre voie, son propre ton et sa propre identité. Si ces choix ne sont pas toujours réussis, force est de constater que les scénaristes avaient tout intérêt à procéder de la sorte. Reste qu’il ne faut pas faire n’importe quoi non plus et qu’il est important d’apporter ces changements de manière intelligente et efficace, ce qui n’est pas toujours le cas de la série (oui la pilule Andréa est toujours aussi difficile à avaler).
Il y a certains changements plus difficiles à accepter que d’autres…
Pour vous faire une idée plus précise, vous n’avez qu’à imaginer un lecteur de Game of Thrones qui découvre la dernière scène de l’épisode 9 de la saison 3. Ce dernier ne la percevra sans doute pas comme quelqu’un qui serait totalement vierge des romans de George R. R. Martin. La série de HBO étant dans l’ensemble assez fidèle aux bouquins, il s’attend à ce qui va arriver et cela a forcément une incidence sur sa manière de recevoir et percevoir cette scène. Dans le cas de The Walking Dead et même si on retrouve certaines scènes identiques d’un média à un autre, la grande force de la série télévisée est d’être parvenue à surprendre… en bien ou en mal d’ailleurs. Finalement, face à certains événements, le lecteur des comics se retrouve tout aussi dépourvu d’informations que le téléspectateur qui ne connaît rien à la bande-dessinée. Cela n’appartient donc qu’aux fans de se lancer ou non dans cette relecture, tout en sachant qu’ils seront forcément déçus par certains choix narratifs.
Rendez-vous dans deux semaines pour découvrir la suite de notre dossier avec au sommaire : La violence dans les comics et la série télévisée.
Un grand merci à Koss pour m’avoir accompagné et aiguillé dans l’écriture de ce dossier.