Pour moi, les meilleurs films de zombie ne sont pas les plus gores et les plus violents, ou ceux joués par des personnages abrutis et caricaturaux. Les bons films de zombies nous révèlent à quel point nous pouvons être déséquilibrés… ainsi que la situation de détresse dans laquelle se trouve notre société aujourd’hui. Bien sûr, ils amènent également leur dose de gore, de violence et de pas mal d’autres choses fun… Mais il y a toujours en arrière-plan cette critique sociale.
Robert Kirkman – Postface du Tome 1 The Walking Dead
Là où la série se distingue vraiment des comics, c’est surtout au niveau de la manière qu’elle a de dépeindre la violence de ce monde apocalyptique. Le degré de brutalité est beaucoup plus important dans la version papier de la série que dans sa version télévisée, du moins lors de ses trois premières saisons. Il faut dire que dans ses comics, Robert Kirkman va très loin dans l’exploration de la violence et n’hésite pas à mettre ses personnages face à des situations extrêmes. N’allez cependant pas croire que l’objectif de l’auteur consiste à proposer de la violence gratuite, bien au contraire. Cette violence fait partie intégrante de l’univers qu’il met en scène et elle permet de confronter chaque protagoniste à sa propre moralité et à sa propre évolution.
En outre, l’exploration de la monstruosité humaine est une thématique passionnante que l’on retrouve dans les deux médias. Néanmoins, celle-ci est plus rapidement perceptible dans les comics que dans la série, qui en voulant approfondir davantage certaines intrigues s’écarte parfois de son propre fil conducteur. S’il semble logique pour les scénaristes d’avoir choisi de développer plus profondément certaines situations ou certains protagonistes, le format télévisé étant plus long, il est plus difficile d’accepter le fait que la série écarte des scènes qui pourtant possédaient une forte intensité dramatique dans les comics. Il n’y a qu’à voir celles du Gouverneur pour s’en convaincre. Elles sont définitivement plus softs et plus édulcorées que dans l’œuvre originale. C’est d’ailleurs avec ce personnage que nous allons amorcer cette partie, étant donné qu’il s’agit de l’exemple le plus frappant pour démontrer le contraste de violence entre les deux versions.
Le Gouverneur : un grand méchant devenu (trop) soft
Tous les fans des comics seront certainement d’accord pour affirmer que le Gouverneur est sans nul doute l’un des personnages les plus intéressants de la bande-dessinée. Loin d’être sympathique, il est immédiatement présenté comme un être malsain dépourvu de bonnes intentions. Quand il rencontre Rick pour la première fois, il ne fait pas dans la dentelle et donne tout de suite le ton en lui coupant la main. Froid et sans pitié, il affirme d’emblée son objectif qui est de se servir du shérif et de sa bande comme d’une distraction, puisqu’il organise des affrontements entre humains et zombis pour amuser sa population. Plus tard, il ira jusqu’à violer et torturer Michonne, alors même qu’il garde Glenn emprisonné. Cette dernière prendra sa revanche dans une scène d’une rare violence. En effet, la jeune femme va lui faire subir une séance de torture atroce au cours de laquelle elle lui arrachera les ongles avec une pince, lui coupera une main, lui retirera un œil avec une petite cuillère et lui sacrifiera son pénis… Ce n’est que quelques exemples des sévices qu’elle lui fera subir et qui témoigne de l’aversion et de la haine profonde que lui inspire ce personnage.
Dans les comics, le Gouverneur est un personnage qui inspire vraiment la haine
Vous l’aurez sans doute compris : on est bien loin de ce que nous propose la série télévisée. Si on retrouve quelques bases du personnage, comme les combats de zombis, on peut dire que dans l’ensemble, celui-ci n’a presque plus rien à voir avec sa version dessinée. Tout y est plus édulcoré et arrive de manière moins brutale : la torture est bien présente avec le personnage de Glenn, mais cela reste moins impressionnant que dans les comics, Maggie est d’une certaine manière victime d’un viol par le Gouverneur, mais il s’agit avant tout d’un viol psychologique. Il n’y a ici aucun rapport sexuel forcé et il préfère torturer psychologiquement sa victime en la forçant à retirer son haut devant lui et en lui faisant croire qu’il pourrait commettre l’irréparable. Le but de sa manœuvre est alors d’imposer son autorité en même temps que de déstabiliser la jeune femme qui se retrouve à cet instant dans une position de soumission et de faiblesse. De la même manière, les arènes sont bien présentes, mais elles ne font qu’apparaître brièvement sans jamais être véritablement exploitées. En outre, Michonne se venge, mais sa revanche est là encore moins violente. Un choix qui s’explique notamment par le fait qu’elle n’a jamais été violée par le Gouverneur et que cette scène serait donc apparue comme beaucoup trop disproportionnée par rapport à la situation qui était la sienne.
Même si ses actes restent répréhensibles, le Gouverneur version série TV paraît plus sage que celui des comics...
Nous avons écrit de nombreux rebondissements et dévié du comic-book, tout en l’utilisant comme source d’inspiration. Nous avons pris la responsabilité de faire une adaptation rigoureuse, tout en conservant l’esprit des livres. Sans faire d’ajouts à certains moments, je ne suis pas certain que le contenu de la BD pourrait fonctionner dans la série télé. Nous devons prendre notre temps et étoffer, donner une certaine profondeur et l’espace que l’histoire mérite.
Glenn Mazzara, N°1 du magazine officiel The Walking Dead
Si on peut comprendre que Glenn Mazzara et son équipe décident de ne pas recopier à la lettre les événements des comics, il est juste regrettable que leurs choix nuisent autant à l’un des personnages les plus importants de la série. Si on peut saluer le fait que les scénaristes fassent le choix d’explorer un peu plus la personnalité du Gouverneur en y apportant quelques nuances, certaines décisions tendent à rendre ce méchant beaucoup trop soft, rendant sa confrontation avec Rick moins spectaculaire et passionnante, mais surtout moins justifiée. Ce n’est pas un hasard si la troisième saison de la série a autant déçu les fans des comics. À trop vouloir s’écarter de l’œuvre originale, les scénaristes ont fini par oublier ce qui faisait le sel de The Walking Dead : son univers. Un univers d’une rare violence, où les humains sont vraiment capables du pire et où tous les coups sont permis. La monstruosité humaine que nous avons déjà évoquée précédemment y est donc beaucoup plus forte et saisissante.
Paradoxalement, le point positif du Gouverneur version série TV, c’est aussi qu’il est plus développé et nuancé que dans les comics… peut-être même un peu trop vu qu’on a souvent l’impression que l’intrigue a été étirée à son maximum. Contrairement à la BD, le format TV permet de poser plus longuement un contexte et d’explorer plus profondément la psychologie des personnages. On ne peut effectivement pas reprocher à la série de vouloir approfondir ce méchant et lui offrir une dimension moins caricaturale. Pour autant, était-il vraiment nécessaire de lui inventer une pseudo histoire d’amour avec Andréa ? Ce choix est juste incompréhensible et décevant. En plus de rendre Andréa totalement infecte aux yeux des téléspectateurs, le problème vient du fait qu’on ne croit pas une seconde à ce coup de cœur qui en plus d’être mal introduit dans le récit, s’avère au final inintéressant. À mon avis, les scénaristes auraient très bien pu se passer de cette romance malvenue.
Notre objectif est de conserver le Gouverneur un bon moment. S’il fait son apparition à l’écran et qu’il est tout aussi mauvais et tyrannique que dans le comic-book, Rick, en comparaison, semblera perdre de sa force, s’il ne parvient pas à l’éliminer très vite de son univers. Nous devons donc prendre garde d’avoir deux personnages aussi consistants, convaincants, et forts l’un que l’autre, afin de se laisser le champ libre pour faire évoluer les choses (…) Il y a donc une véritable histoire à développer sur cette saison [il parle de la saison 3], qui a un impact sur tout l’univers de Walking Dead.
Glenn Mazzara, N°1 du magazine officiel The Walking Dead
Pourquoi chercher à faire de Rick un homme fort alors qu'il ne l'est pas nécessairement dans les comics ? Même s'il occupe une place importante, il est pertinent de rappeler au risque de me répéter une nouvelle fois que la véritable force des comics, ce sont les personnages dans leur intégralité (Cf. Première partie du dossier). Il n'y a pas UN héros, mais DES héros. En décidant de faire le choix de mettre en avant Rick de la sorte lors de cette troisième saison au détriment des autres protagonistes, les scénaristes de la série semblent avoir oublié ce qui faisait tout l'intérêt de l'œuvre originale, autrement dit l’ambiguïté et la complexité de chaque personnage confronté à la cruauté de ce monde hyper violent. Fort heureusement, au fur et à mesure des épisodes, ce dernier est de moins en moins présent et s’éloigne progressivement de cette image héroïque qui semblait lui coller à la peau. Le final de la saison 4 le confronte même à ses propres démons et à sa propre violence. Dès lors, on retrouve quasiment le personnage ambivalent et parfois contradictoire des comics : Rick devient un survivant comme les autres, avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses. Cela permet à d’autres protagonistes comme Carol de prendre du galon et de trouver une vraie place parmi les survivants.
Dans les comics, le Gouverneur ne cherche pas à discuter et passe tout de suite à l'acte
Reste que la citation ci-dessus, signée Glenn Mazzara, showrunner de la série au moment de la troisième saison, permet de mettre en lumière l’un des défauts de cette même saison. À trop vouloir faire dans l’héroïsme un brin pompeux et le bon sentiment, ce dernier semble définitivement s’être trop éloigné de l’œuvre fondatrice. La série met en place un duel de chef qui n’était pas si flagrant dans les comics et qui au final ne se révèle pas forcément pertinent. Depuis, Scott M. Gimple, nouveau showrunner, est parvenu à redonner foi en la série, non seulement en reléguant certains personnages au second plan, mais aussi et surtout en confrontant réellement nos survivants à des questions d’ordre moral, les rendant plus complexes et donc plus passionnants.
Comme vous pouvez le constater, vouloir prendre des libertés est une chose, tout comme le fait de vouloir apporter des nuances, mais vider les protagonistes de presque toute leur substance en est une autre… À force de vouloir nuancer l’ennemi de Rick et le rendre moins brutal, l’enjeu de l’affrontement entre les deux hommes est lui aussi beaucoup moins fort. Les séquelles et les sévices subis par le groupe du shérif sont deux fois plus importants dans l’œuvre originale et permettent de justifier amplement la guerre entre les deux groupes, ce qui n’est pas toujours le cas dans la série télévisée.
Dans les comics comme dans la série, le Gouverneur demeure un personnage dangereux et inquiétant
Néanmoins, rassurez-vous, tout n’est certainement pas à jeter dans le Gouverneur version 2.0. David Morrissey interprète brillamment ce personnage ambivalent, qui devient de plus en plus terrifiant au fil des épisodes. On regrettera seulement que certaines scènes importantes des comics furent laissées de côté au profit de petites histoires anecdotiques. Si le Gouverneur reste un protagoniste intéressant dans les deux médias, il l’est beaucoup plus dans les comics, de par sa froideur et sa monstruosité presque naturelle et qui participe grandement à la mise en place d’un monde violent et sans espoir.
The Walking Dead : une série qui manque de violence ?
Il est important de souligner que malgré le fait que la violence est moins prononcée dans la série que dans les comics, celle-ci n’est pas pour autant dépourvue de brutalité. Au contraire, The Walking Dead reste bel et bien une série violente par nature et encore plus au fil des saisons, les saisons 4 et 5 allant même jusqu’à franchir des limites rarement atteintes. Parmi les scènes les plus violentes de la série, on peut citer celle où Carl tue son oncle Shane fraîchement transformé en Zombie. Un Carl qui lors de la saison 3 abattra sa mère pour lui éviter de devenir un monstre, prenant ainsi le contre-pied des comics où c’était le Gouverneur et ses hommes qui tuaient Lori et son bébé. La série d’AMC est donc loin d’épargner ses téléspectateurs et ses personnages et n’hésite pas à les mettre face à des situations tout aussi impétueuses.
Dans sa version dessinée comme dans sa version télévisée, The Walking Dead dépeint un monde violent et cruel
Par ailleurs, ce qui distingue la série télévisée des comics, c’est qu’elle propose sa propre approche de la violence : avec elle, il s’agit d’une violence souvent sourde et rarement démonstrative. Certes, il y a des têtes coupées, du sang et quelques éviscérations pour assurer le spectacle, mais aussi étrange que cela puisse paraître, il ne s’agit pas des scènes les plus violentes qui soient. Si on reprend la scène de Carl qui tue sa mère, on ne voit jamais l’acte apparaître à l’écran. Ce sera la même chose lorsque Carol tuera la petite Lizzie dans la quatrième saison ou même lorsqu’elle tuera deux de ses comparses pour éviter la propagation d’un virus au sein de la prison. Si la violence pure est donc bel et bien présente par moments, la série télévisée mise également sur la suggestion et l’imaginaire de son spectateur. En lui dissimulant certains actes affreux, elle le laisse lui-même se figurer cette violence, contrairement à la bande-dessinée où presque tout nous est montré avec une brutalité exacerbée.
Dans les deux médias, les enfants deviennent à la fois les bourreaux et les victimes d'un monde hyper violent
Ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’à travers ces deux approches diamétralement opposées se dissimulent deux manières de concevoir et de présenter la violence. Si Robert Kirkman semble avoir fait le choix de proposer un monde brutal et sans pitié dans ses comics, la série quant à elle fait le choix, du moins loirs de ses trois premières saisons, de nous présenter un monde tout aussi brutal, mais où l’espoir est encore permis. En témoigne l’histoire d’amour entre Glenn et Maggie ou celle entre Andréa et le Gouverneur. La survie de la petite Judith dans la saison 4 après l’attaque de la prison va également dans ce sens, tout comme le fait que Lori donne sa vie pour permettre à sa petite de voir le jour. Il y a dans la série télévisée une volonté de renforcer davantage l’humanité de ces personnages et de romancer les situations. Si cette approche aura tendance à déstabiliser les plus puristes d’entre nous, elle a le mérite de ne pas proposer un simple copier-coller de l’œuvre originale et de permettre une nouvelle forme d’immersion dans ce monde apocalyptique. Comme pour les personnages, libre à chacun de faire un effort pour accepter ces variations et s’ouvrir à cette nouvelle approche.
La série télévisée aurait-elle pu être aussi violente que les comics ?
Concernant la violence dans The Walking Dead, la seule véritable question est la suivante : la série télévisée aurait-elle pu être aussi violente que les comics ? Dans une interview accordée à Pierre Langlais pour le site de Télérama, Charlie Adlard semble penser que non. Pour se justifier, le dessinateur des comics évoque justement le viol de Michonne et pour lui « il est certain que la série ne pourra jamais adapter un passage du livre comme celui où Michonne se fait torturer et violer par le Gouverneur ». Cela nous amène naturellement à une autre question : pourquoi était-il impossible d’adapter cette scène dans la série télévisée ? Après tout, ce ne serait certainement pas la première fois que l’on donnerait à voir aux téléspectateurs des séquences de torture ou de viol. Il est maintenant difficile de rester totalement objectif et les arguments qui vont suivre pour expliquer ce décalage de violence d’un média à l’autre sont purement subjectifs et hypothétiques.
La fameuse scène de torture du Gouverneur par Michonne présente dans les comics et absente de la série
Première hypothèse : cela pourrait s’expliquer par des arguments techniques. Dessiner une scène de torture et de viol est toujours plus facile à faire que de la mettre en scène réellement avec de véritables acteurs. Passer à la prise de vue réelle peut s’avérer parfois compliqué et une scène comme celle où Michonne torture le Gouverneur demanderait un travail qui nécessiterait pas mal d’artifices et d’effets visuels. Non seulement, ça représente de l’argent, mais aussi du temps dont les metteurs en scène ne disposent pas forcément lorsqu’il est question d’une série. Aussi, la scène de l’énucléation a bien lieu, mais cette fois, Michonne n’arrache pas l’œil de son ennemi avec une petite cuillère, mais ne fait que le crever avec un morceau de verre. Dans un autre registre, on peut tout aussi bien citer le visage de Tyrion dans Game of Thrones, beaucoup moins abîmé que ce que pouvait nous faire penser le roman. L’argument technique est plausible, mais loin d’être convaincant étant donné qu’un certain nombre de séries se sont déjà permis de montrer ce genre de scènes (là encore, Game of Thrones est une excellente référence) et que la série bénéficie déjà de bons effets visuels.
Deuxième hypothèse : les raisons économiques tout simplement. Même si la chaîne AMC qui diffuse la série aux Etats-Unis profite d’une certaine liberté du fait qu’elle soit câblée, la chaîne prend rarement des risques et il semble que ce soit davantage le cas avec The Walking Dead, une série qui fait beaucoup d’audience et qui cartonne chez les jeunes. En somme, c’est une série qui rapporte énormément d’argent à la chaîne. Montrer des scènes de torture trop choquantes pourrait heurter la sensibilité de plus d’un téléspectateur et entraîner une chute d’audience. D’autant plus que la scène où Michonne torture le Gouverneur avait déjà beaucoup divisé les fans de la bande-dessinée. Curieusement, le numéro dans lequel a eu lieu cette scène représente aussi l’une des meilleures ventes de la série. Comme quoi, l’argument de la perte d’audience ne tient pas la route et cette scène aurait très pu attirer encore plus de téléspectateurs devant leur télévision, ne serait-ce que par curiosité. Là encore, si la raison économique est plausible, elle n’explique pas pourquoi la série se permet parfois quelques excès… Rappelons à ce propos qu’en France, la série en l’état actuel est régulièrement interdire aux moins de 16 ans… Qu’est-ce que cela aurait été si les scénaristes avaient décidé de recopier les comics à la lettre ?
Troisième hypothèse : l’identification aux personnages. The Walking Dead ne serait-elle pas typiquement le genre de série américaine à pratiquer la catharsis ? Les zombis, au même titre que les vampires ou autres créatures surnaturelles, dans la littérature comme au cinéma, ont souvent été considérés comme des exutoires, un moyen pour les lecteurs ou les spectateurs d’évacuer et de soulager leurs pulsions violentes sans se sentir coupable. Le massacre de ces créatures menaçantes ou de ces humains qui ont commis des actes moralement répréhensibles peut alors être perçu quasiment comme un acte héroïque. En nuançant leurs survivants de la sorte et en refusant de les faire totalement basculer dans une violence exacerbée (je parle toujours de l’exemple de Michonne avec le Gouverneur), les scénaristes ne chercheraient-ils pas finalement à rassurer leur public ? Dans la série, Rick et ses compagnons de route font surtout figure de martyrs et chacun de leurs actes violents trouvent généralement une justification, histoire sans doute de ne pas déstabiliser le spectateur qui pourrait s’identifier à eux. Le but de la série, au moins lors de ses trois premières saisons, ne serait-il pas finalement de proposer un divertissement qui soit violent sans pour autant être dans l’excès ? Aller plus loin dans la démonstration de cette violence représenterait peut-être le risque de perdre de nombreux spectateurs qui s’identifient à ces personnages héroïques qui luttent surtout pour sauver leur humanité. C’est peut-être ce qui expliquerait cette violence nuancée que l’on pouvait trouver dans les trois premières saisons.
On aurait très bien pu se contenter d’une telle explication si l’épisode Too Far Gone et A (4x8 et 4x16), ainsi que les premiers épisodes de la cinquième saison ne venaient pas la remettre en question. Le dernier épisode de la quatrième saison au cours duquel Rick massacre un homme à mains nus et lui arrache la gorge avec ses dents a en effet tendance à contredire cette hypothèse autour de la catharsis et de l’identification au héros. Toutefois, elle nous amène à nous poser une autre question : Scott M. Gimple, showrunner depuis la quatrième saison, n’aurait-il pas justement compris ce qui ne fonctionnait pas dans les précédentes saisons ? Comme nous l’écrivions précédemment, c’est bel et bien lors de cette quatrième saison que la série s’est permis de dépasser certaines limites qu’elle semblait s’être fixée jusqu’ici… Le changement de showrunner expliquerait alors le changement de ton et ce dernier semble emprunter une voie qui se révèle de plus en plus proche des comics. Avec lui, même celui qui est censé incarner le héros américain par excellence, devient un monstre capable de cruauté et il faut avouer que c’est beaucoup plus fascinant ainsi.
Quatrième hypothèse : les raisons morales. Comme nous le disions ci-dessus, les scènes de torture et de viol peuvent choquer un certain nombre de téléspectateurs. On rejoint ici l’éternel débat sur les limites de ce qui doit être montré ou pas à la télévision, un média de masse qui plus est. Dans une de ses récentes campagnes, « Amnesty International » en charge de la défense des droits de l’homme a ainsi mis en avant le recours à la torture dans les séries télévisées. Ce sont surtout les séries d’espionnages qui sont montrés du doigt, notamment 24 et Homeland. Le rapport ne remet pas en question le recours à des scènes de torture, mais plutôt l’utilisation parfois racoleuse et trop facile de ces scènes qui ont tendance à glorifier cette pratique. Dans le même registre, il est important de noter que l’épisode Breaker of Chains de la série Game of Thrones, diffusée en avril dernier, a fait grand bruit aussi bien aux États-Unis qu’en France. Un article dédié à cet épisode et publié sur notre site ainsi que les commentaires qui avaient suivi, montre bien à quel point ce sujet reste épineux. Quoi qu’il en soit, cela pourrait expliquer pourquoi la série TV The Walking Dead ne s’est jamais engouffré au-delà de certaines limites.
Cinquième et dernière hypothèse qui pourrait expliquer l’absence de certaines scènes violentes de la série : des raisons scénaristiques tout simplement. Les scénaristes de la série ayant pris énormément de libertés avec les comics, le Gouverneur est nettement différent dans l’une et l’autre des versions. Comme nous l’évoquions précédemment, il est beaucoup plus nuancé et à aucun moment il ne viole Michonne. Si elle avait décidé de le torturer de la même manière que dans les comics, la réaction de la jeune femme aurait paru vraiment disproportionnée par rapport à ce qu’il lui avait infligé. Si cette raison n'est pas forcément la meilleure, c'est celle qui correspond le mieux à notre situation, ou du moins elle est la plus probable, au-delà des raisons techniques, économiques et morales. Dans ce cas là, il s'agit juste pour le spectateur d'accepter ce changement de ton et d'approche, ce qui se révèle finalement pas si facile que ça à faire tellement l'univers original est vraiment emballant.
Voilà pour la seconde partie de notre dossier centrée sur la violence. Rendez-vous d’ici quelques semaines pour découvrir la dernière partie de notre petit comparatif entre les comics et la série. Nous y aborderons la question du format et de l’incidence que ce dernier peut avoir sur l’adaptation d’une bande-dessinée en série TV. Nous nous poserons la question de savoir s’il est tout simplement possible de proposer une adaptation télévisée réussie de ces comics.
En attendant, bonne cinquième saison à tous et bonne lecture à ceux qui auront la chance de découvrir le 22ème volume des comics, disponible en anglais le 5 novembre prochain.
Merci encore à Koss pour son aide durant la rédaction de ce dossier.