Voilà le nouveau vilain petit canard de la série, Mazey Dey. Sans surprise, oui, “même lui”, je l’ai plutôt beaucoup aimé !

Il s’inscrit dans la pure lignée de la saison :

• aucune technologie nouvelle n’est à l’honneur,
• au lieu de ça, on a un concept basé sur une forme d’écran (au sens d’interface avec son audience) très simple, à savoir l’appareil photo
• adaptation d’un genre inattendu et pas vraiment demandé (le fantastique axé supernaturel)
• ambiance très rétro dans le style avec un repère temporel pas forcément évident mais définitivement vintage proche type early 21ème siècle (la musique, Muse, un iPod…)

Même l’introduction est déroutante, jusque dans l’apparition du titre là encore différente du traditionnel “texte blanc sur fond noir”, puisqu’elle évoque directement les flashs grossier à outrance, jusqu’à énerver son audience. Un avertissement de ce qui va suivre, en somme…

Rentrons directement dans la polémique : le twist du loup-garou. Ce que j’ai trouvé très malin, c’est qu’au fond de moi, je refusais d’y croire… mais je l’avais présenti au début. Que ce soit l’esprit rétro, l’ambiance des pays balkans, le plan pleine lune (très évident quand on revoit la scène), ou même le choix de musique (Supermassive Black Hole qui est devenue ultrapopulaire suite à Twilight — je ne peux pas croire que cette référence soit un hasard), je le sentais !

Mais “soyons sérieux” me disais-je inconsciemment, comment s’y attendre sérieusement à ce twist pareil, quand on parle de Black Mirror ?

Et bien sûr car c’est justement impossible de s’y attendre, Black Mirror livre ici son premier twist vraiment imprévisible depuis… pfiou, bien longtemps ! Certes en brisant toutes les règles, et alors ? Qu’est-ce qui rend cet épisode moins valide ou moins crédible qu’un U.S.S. Calister si ce n’est la suspension d’incrédulité de son audience ? La science-fiction est un genre très fluide qui se mêle bien avec tous les autres et même si ici on bascule carrément dans autre chose, ça me plaît. Et puis, le fait qu’on veuille traquer finalement un monstre, qui ne demandait qu’à être laissé tranquille, ça colle en fait très bien au thème de l’humanité et de sa fascination vite maladive pour les monstres, qui la rend elle-même plus monstrueuse que leur sujet (la base de tous les classiques sur le genre supernaturel). Donc le loup-garou ? Sur le papier, ça fait sens. En pratique, on y reviendra.

Pour continuer à parler du fond, l’épisode a pour thème principal évident le voyeurisme, qui dénonce aussi bien son audience que les paparazzis au coeur de l’intrigue. J’ai lu chez certaines critiques que ce thème était dépassé, que les scandales des tabloïds et les harcèlements subis par Lindsey Lohan, Britney Spears etc. ne sont plus d’actualité mais trop early 2000. Que l’épisode, s’il avait été du “vrai Black Mirror” (sic), aurait trouvé un moyen plus pervers et plus créatif (en gros, en mode anticipation) pour montrer le harcèlement subi par les stars à l’ère des réseaux sociaux (Kelly Marie Tran, etc.).

Oui ça aurait pu être un angle d’approche. Et ? Pourquoi Charlie Brooker ne prend pas cette voie ?

Visiblement, pour la simple et bonne raison qu’on n’a pas attendu la technologie pour être voyeur. La protagoniste est relativement attachante (surtout car j’adore Zazie Beats !) et fait ce qu’elle peut pour survivre dans un monde de requins, mais on la suit quand même dans une démarche de gros voyeurisme. Comme l’épisode Loch Henry, on est attiré par une envie malsaine de comprendre ce qu’il est advenu de la célébrité. C’est du voyeurisme, mais surtout avec des méthodes très old school : parler à des gens pour avoir des ouïes-dires, faire une filature en voiture, avoir du bouche à oreille pour savoir où la star est allée. Et même utiliser une carte routière pour se repérer !

C’est vraiment l’anti-technologie par excellence, je trouve ça tellement smart dans une série comme Black Mirror ahah. “Vous voulez de la technologie dans tous les sens ? Même pas en rêve, d’ailleurs vous n’aurez même pas les GPS, à la place, voici une vieille carte Michelin !”. Je trouve ça stylé et subversif dans un aspect vraiment cool.

Le message est donc évident : l’humanité n’a pas attendu le progrès technologique pour être voyeur !

D’ailleurs, la première forme de “technologie” qui intervient dans l’intrigue, c’est vraiment avec le mouchard sur la moto du collègue de Bo, et ce sont les deux paparazzis détestables très clichés qui s’en servent. L’association est claire : ce sont des “tricheurs” qui “méritent” moins que notre protagoniste d’être là, mais c’est là où les avancées nous conduiront.

Quant à la vraie technologie star de l’épisode ? Un simple appareil photo suffit. C’est bien ça qui agit comme l’“écran noir” de l’épisode. D’une photo, on en fait dire ce qu'on veut, mais plus que l’art de la photo ici, c’est vraiment l’outil en tant que tel, avec les flashs qui peuvent vite se transformer en harcèlement malsain.

Ce qui est salvateur pour la protagoniste (qui devient héroïne), c’est qu’elle se rend compte à temps du mal qu’elle cause quand elle voit la star enchaînée, et plutôt que de penser à avoir un scoop, un scandale ou un trophée, elle a le réflexe d’empathiser.

That's fucking illegal!

Et dès ce moment-là, elle lâche pour toujours (jusqu’au plan final) son appareil photo. Les deux cons qui l’accompagnent et qui enchaînaient les rafales, commencent alors à prendre Bo elle-même en photo (ou plutôt, Bo intervient et s’insère dans le champ). Elle est maintenant baignée de flashs, devient partie intégrante de l’action, cesse d’être spectatrice/voyeuse, et est intégrée au divertissement, finalement.

C’est aussi à partir de ce moment-là que l’épisode devient “débile” en dévoilant le twist du loup-garou d’une façon très clichée, avec des morts des voyeurs très très idiots qui ne fuient pas le danger.

Tout le climax devient très premier degré avec une simple course poursuite qui se résule, comme tout divertissement américain, par des coups de feu pour tout régler. J’avoue que c’est là où l’épisode manque un peu de punch pour moi : j’aurais aimé plus d’ambituité sur la nature de la bête, ou sur la crédibilité de Bo en tant que narratrice. Ils auraient pu être plus créatifs à ce niveau-là.

Car oui, l’épisode est finalement bien débile sur sa fin. J’aurais pu imaginé plein d’autres trucs pour rendre ça plus malin mais… mais n’y a-t-il pas quelque chose à se mettre sous la dent/à comprendre plutôt que d’imaginer des scénarios what if comme si les fans écrivaient la série pour eux-mêmes ?

Et bien justement, ce que le public exige avant tout, c’est du sensationnel. Et ça, on l’a eu. Et ça fait perdre un peu tout l’intérêt de l’épisode, on est tous d’accord. Tout ça pour un cliché final que Bo prend de l’actrice en train de se suicider. Elle l’a eu son scoop, mais à quel prix ? Au prix d’un bain de sang décérébré que même l’audience ne trouve pas divertissant.

Je ne peux m’empêcher de me demander si Charlie Brooker n’a pas fait expres de faire un troisième acte aussi pété sur le papier et dans l’exécution, pour prouver que quand on vient chercher du sensationnel, on est bien souvent déçu !

C’est limite si je suis pas en train de dire que l’épisode est en partie exprès d’être mauvais ahah, je sais. Mais en vrai, dans un épisode où on regarde littéralement un public de voyeurs traquer un divertissement/être dans l’attente d’un twist, le fait qu’ils se tapent un loup-garou meurtrier (et que nous on se tape un CGI douteux dans un genre qu’on ne souhaitait pas avoir dans la série), c’est vraiment un peu méta en y réfléchissant !

Franchement, ça me fait marrer cette saison à quel point Charlie Brooker dit fuck aux attentes, fuck aux conventions, fuck à ses propres codes qu’il a lui-même établis (involontairement je pense - les fans ont juste convergé vers les épisodes les plus populaires, ce qui a guidé l’écriture de la suite dans la Netflix era). Qu’il balance tout ça à la poubelle et qu’il écrit ce qu’il veut, pour dire ce qu’il veut comme il le veut. Et tout le monde regarde quand même. Et aime se plaindre. Et en redemande. Et sera au rendez-vous en saison 7, très probablement.

Je peux comprendre que ce “fuck aux attentes” peut vite se transformer en “fuck aux fans”, et qu’on peut aussi faire le reproche que Brooker pète plus haut que son cul, ne respecte pas sa fanbase et ne sait plus quoi écrire. Franchement moi le premier, des auteurs qui ne respectent pas son public, ça m’agace. Mais là vraiment, ça m’amuse, car je trouve qu’au contraire, Charlie Brooker sait plus que jamais de quoi il veut parler, fait dans l’originalité, le renouvellement (ce qui est la chose la plus importante pour qu’une série garde un intérêt, en vrai, surtout après une saison 5 consensuelle mais limitée et fatiguée).

Et puis franchement, quoi de mieux que Black Mirror comme support pour parler de tout ça ? Si les fans veulent des épisodes qui répondent déjà à leurs attentes, où est la surprise dans ce qu’on viendrait chercher ?

Surtout après un épisode 3 qui “répondait aux attentes” : qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il y avait là pour la première fois dans la saison une vraie technologie assez ambigue au centre, et c’est probablement l’épisode préféré (ou en tout cas consensuel) de la saison. Là, cet épisode 4 repart dans une direction différente, tout en s’appuyant sur l’ambiance rétrofuturiste de l’épisode 3 : cette saison est définitivement placée sous le signe du passé, le prochain et dernier épisode de la saison étant aussi situé au 20ème siècle (et il a été le premier a être écrit).

Toujours est-il que cet épisode, je comprends tout à fait qu’on le trouve con et pourri surtout sur sa fin, moi aussi j’ai eu cette impression, surtout la première fois (oui j’ai même été maso pour tout me mater deux fois). Mais là encore, un peu comme avec l’épisode 2, je me suis investi au premier degré dans l’histoire, j’aime le genre parodié aussi cliché soit-il, j’aime toujours BEAUCOUP le fait que la saison soit vraiment cohérente thématiquement sur tous ses épisodes et qu’ils se répondent entre eux, j’aime la proposition très inattendue sur le contexte et l’angle du voyeurisme par les paparazzis pour dénoncer l’écran de l’audience, j’aime même quand ça devient un peu pourri !

Just shoot me

En plus, avec cette punchline finale à double-sens, dans un ultime plan plus lent, calme et réfléchi, où l’héroïne reprend son appareil photo pour un dernier cliché qu’on ne verra pas et qui vient “tuer” la créature et mettre un terme à l’épisode… c’est vraiment cool comme image ! Je me dis que cette boucherie (dans tous les sens du termes) qu’ont constitué les 10 dernières minutes d’épisode qui précédaient, a vraiment un sens et est plus réfléchie qu’il n’y paraît. Peut-être que grâce à ça, l’épisode en soi dénonce justement quelque chose, non pas par son histoire au premier degré, mais bien par ce que l’audience est en train de se dire en regardant : “eh mais ça devient pas un peu nul là ? tout ça pour ça ? c’était bien la peine d’être fasciné comme des voyeurs sur un truc qui ne donne rien juteux ? c’est nul Charlie !!!”. Wait, et si c’est pas exactement ce que l’épisode voulait nous dire ? Méfiez-vous de vos attentes et de ce que vous souhaitez voir ?

Peut-être un foutage de gueule oui, mais au mieux un qui est très très malin, et au pire, je m’en fous, ça m’a quand même fait kiffer !