Homeland est le genre de série que l’on regarde parce qu’"il parait que c’est bien" et que l’on continue parce qu’on "attend de voir si ça va se casser la gueule". Parce que oui, Homeland aime se mettre en danger. Cette série marche – imperturbable – sur le fil servant de frontière entre les clichés arabophobes américains et la grosse paranoïa qui tache. Amis Sériealliens, vous qui avez peur de vous aventurer sur ces terres où, à tout moment, n’importe qui peut vous prendre pour un con en vous le disant droit dans les yeux, croyez-moi, pour l’avoir scrutée attentivement, cette série a un excellent sens de l’équilibre.
American hero
Les caméras, les écrans : outils de zoom ou facteurs de myopie ?
Nous sommes en 2011 et l’armée américaine découvre on-ne-sait-pas-vraiment-où en Irak un clochard barbu qui répond au nom de Nicholas Brody. Celui-ci est un Marine Américain déclaré M.I.A (Missing in action : mort au combat) depuis sa disparition huit ans plus tôt. Dans la peau du sergent Brody, Damian Lewis, qui endosse à nouveau l'uniforme de l'armée américaine dix ans après Band of Brothers. Un excellent choix de casting, puisque Lewis promène sa violence toute intérieure sans jamais trop en faire, tout au long de cette première saison. Face à lui, Carrie Mathison (Claire Danes), un agent de la CIA persuadé que le héros de guerre a subi un lavage de cerveau et revient au pays comme un terroriste en puissance.
Le métier est posé, il ne reste plus qu’à tisser.
L’intrigue se déploie ainsi à partir de plusieurs points de vue : Brody, sa belle et tendre épouse (Morena Baccarin), Carrie et son supérieur direct, le très paternel Saul (Mandy Patinkin). On ratisse large dans le domaine du cliché conservateur américain, où armée, famille et patrie occupent la première place. Un accumulation qui a tendance à faire peur pendant quelques épisodes. Et on se retrouve à regarder les premières heures du show comme on écoute un représentant venu nous vendre un quelconque produit/abonnement miracle, sauf que cette fois, il ne semble pas y avoir d’entourloupe dans l’affaire.
Ces multiples points de vue, s'ils sont bien utiles pour que l'on puisse construire le portrait de cette Amérique en proie au doute et au soupçon, relèvent aussi de la facilité scénaristique. Dans les premiers épisodes, on découvre Brody, son histoire, les soupçons qu'il génère par l'intermédiaire de Carrie. Le doute s’installe, aidé par la paranoïa latente de Carrie Mathison, convaincue que revenir vivant d’une prison en Irak c’est über louche et qu’il y a donc terroriste sous cagoule dans l’histoire. D'autant qu'au début, le spectateur n'a droit à rien de plus que les informations dont elle dispose. Ce qu'il sait pertinemment. C'est bien assez pour nous faire douter de la sincérité du Marine, mais aussi de la crédibilité de Carrie. A force de la suivre et de la voir observer Brody, on finit par en apprendre beaucoup sur elle. De la même façon qu'elle-même regardera Brody observer l'interrogatoire d'un prisonnier, lors d'une jolie mise en abyme au milieu de la saison.
Si les scénaristes en étaient restés là, s'ils avaient intégré cette contrainte et s'étaient obligés à limiter strictement leurs révélations à ce qui nous était accessible via Carrie, j'aurais applaudi des deux mains. Mais très vite, on s'écarte de cette ligne, et l'on nous divulgue, épisode après épisode, des informations partielles qui nous permettent de reconstituer les puzzles que sont Brody et Carrie. C'est bien, ça relance l'intrigue, et ça nous permet même de nous sentir très intelligents, nous les spectateurs, parce que l'on a une longueur d'avance sur la CIA. Mais c'est surtout une solution de facilité. Les auteurs nous distillent quand ça les arrange les informations qui nous font pencher du côté de Brody terroriste puis du côté de Brody homme brisé.
Mais il faut être honnête, cette méthode n'a pas non plus que des défauts. Et s'il elle agace, c'est après coup. Parce qu'en regardant l'épisode, on gobe avidement le tout.
American Muslim
Abu Nazir, l'ennemi insaisissable, invisible et omniprésent
dans les têtes de Carrie et Brody
ATTENTION, tout ce paragraphe est un énorme SPOILER
Par exemple, quand on voit l’agent Brody faire sa prière en direction de la Mecque -une info que la CIA n'a pas-, on est encore plus tendu. Homeland nous propose de nous interroger sur nos propres parts d’ombres en nous présentant son acteur principal comme musulman très tôt dans l’intrigue.
Au fil des épisodes, Homeland balance des graines que le cow-boy qui sommeille plus ou moins profondément en chacun de nous va s’empresser de dévorer. Parce que vous serez d’accord avec moi pour dire qu’avec Howard Gordon aux commandes, un vétéran de la série 24, on ne va pas regarder l’histoire d’un Charles Ingalls musulman chez les yankees. Il y a forcément une part de vrai dans la paranoïa de la blonde de la CIA et c’est en cherchant dans cette direction que l’on s’aperçoit qu’Homeland gère parfaitement le steak. Tout cela n’est que prestidigitation pour nous amener dans des contrées bien plus subtiles que ce que notre scepticisme nous laisse suspecter.
American Psycho
Oh say, can you see by the dawn's early light...
Sur fond de Patriot Act, Homeland emmène le téléspectateur dans les profondeurs de la paranoïa liberticide américaine. A l’instar d’un « Black Mirror » elle fait écho à ce que la propagande télévisuelle quotidienne éveil de plus subjectif chez le téléspectateur lambda. Ce que 24 réussissait à faire passer par son rythme, Homeland prend le pari de le traiter dans la profondeur sous l’œil désabusé d’un Mandy Patinkin, qui ne semble pas tout à fait sorti de son rôle dans Criminal Minds.
D’un côté, la famille modèle de l’agent Brody - dont le vernis tombe très vite – dévoile autant d’abnégation puritaine que d’hypocrisie consternante quant à la souffrance et au dépaysement enduré par le marine. D’un autre, les services secrets, qui naviguent sans cesse entre un patriotisme exacerbé par cet espèce de Captain America trop peu scarifié pour être honnête et une tendance au harcèlement plus ou moins justifiée par cette complaisance au martyre toujours bien pratique pour détruire les libertés gênantes. Entre les deux, un homme qui a tenté de survivre pendant huit ans dans un pays qui n’avait finalement d’ennemi que le nom et qui embrasse une religion parce que finalement, on prend la foi qu’on peut. En ajoutant au tout le facteur humain, on empêche l’intrigue de s’inscrire dans la moindre case prédéfinie, et on obtient une série satyrique réussie disposant d’une intrigue suffisamment bien ficelée pour tenir le téléspectateur en haleine pendant plus d’une dizaine d’heures. Et qui réussit même le pari pervers de nous faire trembler pour le marine, quand bien même on a tout compris de ses plans.
American recyclage
Un tel bilan ne serait pas honnête si l'on ne rendait pas à César ce qui lui appartient. En l'occurrence, c'est à Gideon Raff qu'Homeland doit beaucoup. Le scénariste et producteur exécutif de la série est d'abord le créateur de Hatufim, une série israélienne qui a fait polémique en 2010 en Israël, parce qu'elle abordait le sujet sensible des prisonniers de guerre. Mais dont le scénario portait davantage sur l'intrusion des services secrets dans la vie privée des anciens prisonniers de guerre que sur la possibilité de faire d'eux des terroristes.
Homeland puise aussi abondamment dans la situation de départ de Brothers (lui-même un remake du film danois Brodre) pour poser les bases des traumatismes de Brody et de sa rage intérieure, et pour d'autres aspects dans The Mandchurian Candidate. De bonnes références, mais qui seront détournées par une dramaturgie qui tire plus vers la série d'espionnage que vers le drama.
Au final, Homeland est une série qui fait du bien là ou ça fait mal, en s’enfonçant dans tous les raccourcis sans jamais parvenir à une finalité attendue. Dans un Occident qui se perd en manichéisme, elle brouille suffisamment les pistes pour laisser le champ libre à son intrigue, digne des meilleures saisons de 24.
Ce bilan est un layer cake dont les couches successives ont été préparées par Scarch et Puck. En cas de désaccord, exprimez-vous dans les commentaires et chacun répondra des ingrédients qu'il y a apportés.