Olive Kitteridge est une série adaptée d’un livre d’Elizabeth Strout, bouquin qui a reçu le Pulitzer de la fiction en 2009. Elle est diffusée par HBO, chaine pourvoyeuse de chef-d’œuvre tels que The Sopranos, Six Feet Under, The Wire, et plein d’autres. Tom Hanks l’a produite. Au casting on retrouve : Frances McDormand (Fargo le film) et Richard Jenkins (le papa mort de Six Feet Under). En acteur secondaire, il y a : Jesse Plemons (Breaking Bad et Friday Night Lights) et Bill Murray (who gonna call ?). Cela raconte 25 ans de la vie d’une femme, Olive, femme acariâtre, constamment de mauvaise humeur, mariée depuis toujours à Henry, pharmacien, qu’elle traite comme un chien. On y brasse aussi des thèmes comme le temps qui passe, l’amour, le vieillissement, la mort. Bref, tous les ingrédients sont présents, on a là une magnifique pièce montée télévisuelle et pas la peine de voir la moindre image, c’est un chef-d’œuvre, pour sûr !
Sauf que, ici, à Serie-all, on ne nous l’a fait pas aussi facilement, on sait que tout ce qui brille n’est pas d’or, on se méfie des loups qui crient et des sirènes qui chantent. Et après visionnage, tout objectivement, il ne faut pas se cacher : Olive Kitteridge est loupé.
Attention, ce n’est pas une bouse intergalactique, ce n’est pas honteux, ni insultant, c’est juste un objet froid, qui indifférence et ennui poliment. La forme est belle : l’emballage est soigné et il y a un petit motif musical très sobre et réussi (même s’il a un peu tendance à apparaitre pour appuyer les moments tristes). Les acteurs sont aussi très bons. Maquillés, vieilli, impliqués, c’est même grâce à eux qu’on échappe au détachement total. Non, le problème est que la série est tirée d’un livre. Et il est quasiment impossible de réussir une adaptation. Simplement.
(Je tiens avant tout à préciser que je n’ai jamais lu le livre d’où est tirée la série).
Voici une phrase tirée d’un livre « Nemesis » de Philp Roth.
« Il ne put poursuivre, il s’était mis à pleurer, de façon gauche, inexperte, comme pleurent les hommes qui d’habitude se croient de taille à faire face à n’importe quoi »
Cette phrase est magnifique. C’est ce genre de petites phrases qui dessinent un personnage en quelques mots, lui donne de la consistance. Ce genre de phrases, prolifiques dans les bons romans, construisent un univers, une unité. Elles sont le ciment qui fait tenir le mur debout. Ou pour une métaphore plus astrologique, c’est cette fameuse matière noire que personne ne remarque, mais qui permet la cohérence de notre Univers. Problème, ce genre de phrase est impossible à retranscrire à l’écran. Comment adapter les sentiments crées par cette vingtaine de mots à l’écran ? Impossible. Il y aurait la voix off, mais ce procédé est grossier et malhonnête. L’autre solution est de montrer le personnage évoluait dans différentes scénettes afin que le spectateur arrive à cerner sa personnalité. Mais ça demande du temps, trop de temps. Alors cette phrase disparait et le personnage devient moins épais, plus plat.
Et c’est le gros défaut de Olive Kitteridge, c’est ça : les personnages n’ont aucune subtilité, ce sont des figures mono-expressives. Olive est méchante, toujours méchante. Henry est gentil, trop gentil. Point final, ils n’évoluent quasi pas. La confrontation entre les personnages se réduit aux mêmes schémas : Henry essaie d’être gentil avec Olive, elle l’envoie chier. Le summum est atteint dans la scène du hold-up où chacun joue sa gamme jusqu’à la surenchère, au grotesque. Cette absence de subtilité torpille les autres personnages plus secondaires, les femmes, notamment : Denise la tête à claque et les deux femmes de Christopher, caricatures énervantes. Ma main à couper que dans le livre, ces personnages sont plus complexes, plus intéressants.
Et quand je vois les critiques professionnelles ou sur les réseaux sociaux, vantaient l’ambigüité des personnages, je fais de (petits) bonds. Il n’y aucune complexité, Olive Kitteridge est juste une misanthrope qui ne supporte pas la solitude, préférant être mal accompagnée que seule (son chien, son mari catatonique, son voisin avec qui elle n’a rien en commun). Le personnage n’est pas inintéressant en soi, c’est tout ce qui gravite autour qui donne l’impression de carton pâte, d’un vide qui empêche l’émotion de fonctionner.
L’autre défaut de l’adaptation est qu’à force de retirer de la substance, par manque de temps ou impossibilité, il ne reste plus que les os. L’adaptation se réduit, alors, aux gros événements de l’histoire. Le spectateur assiste à une succession de faits importants sur un laps de temps assez court, au point de nuire à la crédibilité de l’ensemble. Le premier épisode, par exemple, voit le décès de trois personnages et d’un animal. C’est tellement rapide (une scène de vie quotidienne, un mort, une scène de vie quotidienne, un mort, etc) que ça en devient comique.
Pourtant, et c’est encore plus frustrant, mais la série a failli devenir grande. Elle l’a été même, le temps, d’un épisode, le deuxième. La différence avec les autres ? Olive n’en est pas le personnage principale. Déjà, il y a une formidable scène qui voit le retour de Denise et Jerry (qui prouve que Jesse Plemons excelle dans l’art de cacher de la noirceur derrière un visage de poupon). Puis, dans cet épisode, l’histoire est divisée en deux parties. La première, Kevin, qu’on avait aperçu gamin dans le premier épisode, est de retour dans sa ville natale. Dépressif, enfant d’une dépressive et atteint d’hallucination, il se retrouve invité par Olive au mariage de Christ, son fils. On suit alors ce mariage en épousant le point de vue de la belle famille des Kitteridge où Olive passe pour une extra terrestre. Le fait de donner aux Kitteridge des rôles secondaires leur permet de recevoir un éclairage différent. Le couple gagne en gamme de couleurs, notamment Olive qui devient touchante dans son incapacité à tomber le masque de la dureté. Malheureusement, les deux derniers épisodes recentreront l’intrigue sur Olive et le froid ressoufle sous la série.
Pour reprendre une analogie littéraire, Olive Kitteridge est un beau livre en papier glacé, dont on tourne les pages sans trop s’impliquer. Et une fois, la dernière page fermée, on le repose sur son étagère, le laissant à prendre la poussière, tandis qu’on se demande si on ne vient pas de perdre quatre heures de sa vie, alors qu’il y a tant mieux à faire.
Note : 12/20