Chaque année, c'est la même chose. Chaque année, il y a ce pilot que tu attends un peu plus que les autres, celui que tu as mis tout en haut de ta liste. Cette année, cette série, c'était Gotham. Mon rapport avec le show avait connu un développement sinueux : d'abord excité par le sujet (adaptation du très excellent comic book « Gotham Central » d'Ed Burbaker), puis déçu au fur et à mesure des annonces de casting : Catwoman, le Pingouin, Poison Ivy, Ed Nigma et Bruce Wayne lui-même. D'une série policière ancrée dans l'univers de Batman, on passait à une série centrée sur l'enfance de Batman avec des morceaux de polar dedans. Derrière ceci, se cachait probablement le combat entre le showrunner Bruno Heller (Rome et The Mentalist), soucieux de faire un cop-show et peu fan des comics et la Fox, productrice du show et souciant de voir un retour sur investissement rapide avec le plus de guests possible. Le combat du bien contre le mal ? Pas si sûr.
Autant vous le dire tout de suite, Gotham est un très bon pilot, le seul pilot même qui m'ait réellement enthousiasmé parmi la masse que j'ai vue, cette année. L'éclaircie dans une rentrée plus que moribonde.
In the line of duty
Et pourtant, c'était très mal partie. La première scène donne à voir Catwoman assistant au meurtre des parents de Bruce Wayne.... C'est-à-dire tout pile ce que je ne voulais pas voir : du Batman-centric, de la réécriture grossière et inutile et un coté cheap flagrant (le costume de Catwoman est désastreux). Mais très vite, on bascule sur autre chose, autre chose de plus intéressant : un duo de flic enquêtant dans un univers poisseux et sombre. Du polar noir, brut. Hard-boiled disent les anglais. Ce duo, c'est James Gordon et Harvey Bullock, l'opposition classique entre le jeune bleu honnête et le vieux briscard plus ou moins corrompu (good cop et bad cop). C'est quelque chose de vu mille fois et pourtant ça fonctionne. La raison à cela ? Les acteurs. Tous les acteurs (sauf 1) de ce pilot sont bons. En tête, on trouve l'excellent Ben McKenzie qui n'a aucun mal pour nous faire attacher à son personnage de jeune flic (déjà) désabusé. Donald Logue (Bullock) est même encore mieux. Je n'ai pas l'habitude de dire cela souvent, mais c'est un vrai régal de les voir jouer. Les deux acteurs se renforcent mutuellement et nous livrent de très belles scènes.
On est bel et bien loin de l'approche de la CW, honteuse chaîne qui a multiplié les massacres de comics : les daubes Smallville et The Flash et la très passable Arrow. La Fox a soigné son projet et ça se voit. Les cadres sont travaillés, la lumière est belle, les mouvements de caméra précis et les costumes (sauf 1) crédibles. Cela aide pas mal à aborder ce pilot avec enthousiasme. Je n'ai pas eu l'impression d'être pris pour un con par une bande d'arrivistes souhaitant masquer un teen-show grossier derrière des super-héros. Gotham n'est pas une série sur des super-héros et surtout pas un teen-show. C'est une série moderne qui transpire d'intelligence.
Motive
Le vrai coup de poker de ce pilot, c'est précisément un de ceux que je craignais pour la qualité du show. En effet, la série donne à voir dès son premier épisode une avalanche de noms et de références dans tous les sens. Overdose ? Non, sûrement pas. Ces références ne sont jamais soulignées et participent, au contraire, à rendre la ville de Gotham vivante peuplée de figures familières. A-t-on vraiment besoin de savoir qui est véritablement Crispus Allen pour apprécier ce pilot ? Non, c'est juste un flic qui se méfie de Bullock. Pas plus. C'est raccord avec l'identité du personnage sans pour autant en dévoiler trop. Pas de clin d’œil clinquant, juste des personnages bien écrits. Alors oui, on frôle parfois le name-dropping gratuit sur certains personnages (Poison Ivy par exemple), mais c'est toujours fait au service du récit.
Car Bruno Heller a eu l'intelligence de tout connecter au meurtre du couple Wayne : Batman bien sûr, mais aussi le devenir de Gordon, le futur de Catwoman, celui de Poison Ivy et du Pingouin. Tout est fait avec intelligence et tout s’enchaîne logiquement comme un jeu de domino subtilement travaillé. Et c'est une approche nouvelle pour le fan de comics que je suis : montrer que ce meurtre emblématique a non seulement changé la vie de deux personnages (Bruce et James), mais aussi celui des personnages périphériques, qui eux-mêmes ont bouleversé l'histoire de Gotham. En faisant tout pile ce dont j'avais le plus peur (placer le meurtre des parents Wayne au centre du récit), Heller donne à voir une toute autre lecture de l'Histoire de Gotham City. Comme dans The Wire (oui oui) et surtout comme dans Rome, on s'aperçoit que rien ne reste sans conséquence et que les personnages devront, dans un futur proche, faire des choix en fonction de leurs actions passées. Installer ce sentiment dès le pilot, c'est franchement brillant.
Unresolved
Le problème, c'est que ce pilot ne résout nullement notre question initiale. Au fond, qui a gagné ? Heller et sa vision de polar ou la Fox et sa vision de super-héros ? On a vu que les costumés ont fait prendre de l'ampleur au polar, sans le désservir. Mais cela va-t-il se tenir sur le long terme ? Quid de la suite ? On en sait rien. La série peut encore basculer dans un camp comme dans un autre. Cela dépendra de l'audience, en fait (ce pilot a fait 8M de téléspectateurs). Si le public suit la vision de Heller, la Fox le laissera tranquille. En 2006, après trois ans de publication, DC Comics avait annulé « Gotham Central », pourtant soutenu par une petite communauté de fans, faute de ventes suffisantes. Espérons pour le futur des adaptations comics à la télévision que Gotham ne connaissent pas le même sort. J'ai – en outre - vraiment envie de voir le baiser entre Barbara Gordon et Renée Montoya.
Univers sombre, mais pilot lumineux ; pas de doute, Gotham est brillant. Comme un bat-signal dans la nuit.
J'ai aimé :
- L'acteur qui joue le Pingouin, totalement convaincant.
- La très subtile référence au Joker.
- La très bonne idée de faire d'Ed Nigma, un médecin légiste travaillant pour la police.
- L'idée de lier Montoya et Barbara Gordon, donnant de la substance à cette dernière qui en manque cruellement dans les comics.
- La non-résolution du meurtre des parents Wayne.
Je n'aime pas :
- La scène d'introduction avec Catwoman.
- L'actrice qui joue Catwoman.
- Le costume de Catwoman.
- Toutes les scènes avec... Oui, vous l'avez deviné : Catwoman !
Ma note : 15/20
* Tous les titres de cette critique sont les titres des principaux chapitres de l'excellent comic (faut-il vraiment pour le répéter?) d'Ed Brubaker, « Gotham Central ». Tome 1 disponible. Tome 2 à paraître en octobre.