Ç’avait été l’une des belles surprises sérielles de l’année 2014, en proposant un récit plein de justesse sur l’adolescence à problèmes et la violence qui peut parfois en ressortir. Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur de documentaires, avait porté à l’écran sur trois épisodes un beau portrait de jeune femme en rapport avec son environnement, chose rare à la télévision, et d’autant plus française. Et trois ans plus tard, il revient presque sans prévenir avec la suite de la vie de Manon, âgée à présent de 20 ans, à nouveau sur trois épisodes de 52 minutes. Et c’est (presque) aussi bien.
Girlhood
Le projet ressemble assez à celui du réalisateur américain Richard Linklater, et ce n’est pas un hasard si le créateur cite "Boyhood" dans ses références. Suivre un personnage sur une longue tranche de vie avec un degré de réalisme accru grâce au procédé filmique, c’est un fantasme fictionnel rarement atteint, que permet plus facilement la série mais qui n’est pas si souvent utilisé dans un contexte aussi social. Dans le registre documentaire en revanche, les références abondent, comme par exemple "Que deviendront-ils ?" de Michel Fresnel, qui suivait des adolescents dans le cadre scolaire sur douze années. Et qui sait, peut-être que Jean-Xavier de Lestrade sortira un "Manon 25 ans" dans quelques années, poursuivant ainsi encore plus loin l’évolution de son personnage.
Mais en attendant, Manon a 20 ans et cherche sa place dans la société, notamment au niveau professionnel. Maintenant qu’elle est parvenue à maîtriser sa violence et s’est séparée de sa mère, elle a le potentiel d’évoluer dans un cadre sain, même si la série montrera que l’émancipation sera plus complexe que prévue. Ainsi, elle essaye de s’épanouir au travail, de trouver des amis, elle fait des rencontres amoureuses… Toujours avec difficulté lorsqu’il faut s’ouvrir aux autres, et encore plus lorsque, par contraintes sociales, il faut au contraire se restreindre. Au final, tout au long des trois épisodes, Manon est constamment à la recherche de la vérité, même si cela passe par des actions instinctives, des regrets, ou des conflits professionnels.
Une authenticité gênée par trop de conflits
À ce niveau, les créateurs, aidés par l’authenticité des acteurs, font preuve d’une grande justesse en n’oubliant pas ce qu’est la vie et ce qui définit une personne qui existe réellement : des actes parfois incohérents, des refus de s’ouvrir à l’autre, de lutter, des jugements subjectifs. Et tout cela sans perdre pour autant de vue l’actualité sociale dans laquelle évolue les personnages : difficulté de trouver un travail, homosexualité encore mal vue dans certains contextes... On pourrait même tout à fait défendre que la série prend une position féministe, pas seulement parce que le personnage principal est féminin, mais surtout parce que la série aborde l’avortement, la situation des LGBT et le sexisme dans le milieu professionnel, avec un engagement sincère.
Néanmoins, il y a tout de même un défaut d’écriture commun à ces trois épisodes, qui ne semblait pas parcourir la première trilogie de 2014 : un échec relatif dans les tentatives de créer du conflit artificiel, trop "fictionnel" en quelque sorte. L’exemple le plus probant : la plupart des employés qui se conduisent comme des enflures envers Manon. C’est poussé à un point tel (même si heureusement présent que dans le premier épisode) qu’on a l’impression que Jean-Xavier de Lestrade a cherché à recréer une ambiance nocive de lycée rappelant la première trilogie. Ce n’est pas crédible, et ça ne sert qu’à artificiellement accentuer la solitude de Manon. C’est d’autant plus le cas concernant l’employé vindicatif (dont nous avons oublié le nom, mille excuses) qui se fait virer dans le premier épisode, extrêmement agressif envers Manon dès leur première rencontre, sans aucune raison. Le conflit ainsi créé apparaît tout de suite comme une mauvaise ficelle d’écriture sérielle afin d’amener sa quête de vérité professionnelle, et heureusement le personnage lui aussi disparaît rapidement.
Pour le reste, tout se justifie par rapport au passage vers l’âge adulte de Manon, y compris sa quête œdipienne et son évolution assez surprenante, sa petite histoire d’amour avec Bruno, ou sa rencontre par hasard avec Lola. Parvenir à condenser tout cela en seulement trois épisodes sans que ça ne paraisse jamais trop rapide est en lui-même déjà un exploit narratif, appuyé par une justesse d’ensemble rafraîchissante. En tout cas, cela donne envie de voir une troisième trilogie d’ici quelques années, quitte à être patient.
Au final, Manon 20 ans est une suite réussie de la série qui avait fait une petite sensation sur Arte il y a de cela trois ans. Cette nouvelle trilogie n'est pas sans défauts d'écriture, mais reste tout à fait cohérente et amène son personnage sur d'autres sujets, d'autres explorations sociétales et psychologiques. Avant toute chose, Manon 20 ans est portée par une équipe créative talentueuse, autant derrière que devant la caméra.
J'ai aimé :
- La justesse globale dans l'écriture des personnages et leurs relations
- Le traitement de certains sujets peu courants
- Le plaisir devant l'accomplissement d'un procédé d'écriture sur la longueur
Je n'ai pas aimé :
- Quelques personnages et conflits qui manquent de subtilité
Ma note : environ 13,5/20 pour l'ensemble de la série.