Channel Zero est un curieux projet qui surprend. Ce n'est pas ce qu'on s'attendrait à trouver dans une série télé classique. Qui plus est, diffusée sur Syfy. Tandis que la chaîne est toujours en train de lutter contre le souvenir de la fin de Battlestar Galactica et que les potentiels successeurs échouent un à un dans des séries de plus en plus similaires et de moins en moins inspirées (malgré certains espoirs), Channel Zero est une production inattendue qui se détache clairement du lot. Le principe ? Une série anthologique d'horreur basée sur les creepypastas !
Oui, on peut le dire, Syfy a tout bêtement lancé son American Horror Story. Mais ne vous y trompez pas, les séries sont bien différentes. C'est justement le côté inspiré des creepypastas qui se démarque.
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La creepypasta en télévision
Il n'y avait encore, à ma connaissance, pas de série télévisée basée sur une creepypasta. Mais d'abord, la creepypasta, qu'est-ce que c'est ? En deux mots, c'est une histoire d'épouvante inspirée de faits réels ou fictifs, présentée comme un mythe, une légende, qui utilise internet comme principal média de diffusion (le terme vient de copypasta = copié/collé). Histoire funeste, rumeur ou jeu vidéo se font ainsi détourner et poster sous forme de vidéos, images, nouvelles ou blogs par exemple, qui deviennent virales. Appelez-les des dark memes...
Le Slender Man (la silhouette sombre dans l'arrière-plan) est la creepypasta la plus connue. Ce mythe regroupe une collection de dizaines/centaines d'images et d'histoires.
Oui, vous et moi, comme tout le monde, avons déjà imaginé avec nos copains que les instituteurs étaient des vampires ou que l'école abritait un repaire de loups-garous secret la nuit (non ? il n'y a que ma bande et moi qui étions bizarres ?). Mais les gosses d'aujourd'hui préfèrent s'imaginer que leurs jeux vidéos les hantent. Que voulez-vous, personne n'échappe au progrès ! Les creepypastas sont fondamentalement de simples légendes qui fascinent, et ont été parfois analysées comme une version moderne du folklore. Le Slender Man est comme le successeur de Ça (oui j'ai été traumatisé dans mon enfance), et au lieu d'avoir peur de dire trois fois "Bloody Mary", on a peur de fredonner une musique sinistre... Les creepypastas plus connues proviennent principalement de l'univers du jeu vidéo, ou bien de faits étranges (photos, histoires) de la réalité. Bref, assez parlé des creepypastas, vous retrouverez plus d'informations dans le Coin Creepy en fin de critique. C'est que j'ai un épisode à critiquer, aussi.
Il n'y avait donc jamais eu d'adaptation en séries TV d'une creepypasta, à ma connaissance, disais-je. Si comme moi, vous regardez American Horror Story, vous avez probablement dû entendre parler de la rumeur persistante disant que le thème de la saison 6 serait basé sur l'histoire du Slender Man. Des monstres qui font notamment sans doute partie d'une des (nombreuses) inspirations pour les Silences de Doctor Who. Et en effet, cela aurait été très cool d'exploiter le mythe du Slender Man. Simplement, American Horror Story a choisi une autre vocation, celle de faire quelque chose de beaucoup plus fantastique en restant dans le folklore traditionnel. Pas de panique, Channel Zero est justement là pour exploiter ce très bon filon des creepypastas et le mettre au centre d'un pitch d'une mini-série.
L'heureuse élue choisie comme base pour la saison est la creepypasta "Candle Cove". Une creepypasta également très célèbre mettant en scène quatre posteurs d'un blog se remémorant une de leurs émissions pour enfants quand ils étaient plus petits, la fameuse Candle Cove – dont vous pouvez voir l'un des épisodes plus haut qui a été fabriqué une fois que le mythe s'est popularisé (il s'agit d'un épisode où tous les protagonistes se mettaient à hurler). Plus les blogueurs en parlent, plus ils sont amenés à se rappeler des événements étranges, à quel point le show était inadapté, violent, bizarre. Vous pouvez lire Candle Cove, la légende originale qui a inspiré cette série, sur cette page (comme la plupart des creepypastas, elle est très courte). Quoique, je vous déconseille fortement de la lire avant d'avoir vu le pilote. La raison est simple : elle possède un gros twist à la fin, très ouvert à l'interprétation mais remettant beaucoup de choses en cause, qui est le cliffhanger du premier épisode. Autant découvrir en images ce rebondissement, sous peine d'avoir une vision un peu faussée du reste du pilote.
Car dans l'ensemble, cette série n'est pas du tout conçue pour un public qui connaît par cœur la creepypasta, bien au contraire. Rien ne pourrait indiquer que le scénario est tiré d'une de ces fameuses légendes virtuelles, et rien n'indique que la série compte faire des références à l'univers des creepypastas en général par la suite – ce qui est de mon point de vue une petite opportunité manquée pour elle, mais je n'écarte pas la possibilité de voir quelques easter eggs à d'autres légendes du web par la suite dans la saison.
De l'horreur, du suspens, un thriller ?
Bref, vous allez me dire, "ben Galax tu viens de te taper tout un paragraphe sur les creepypastas pour dire à quel point c'est trop cool qu'une série décide enfin d'en adapter une, pour au final nous dire que ça n'a rien à voir avec une creepypasta". Eh bien, oui et non. Oui car, selon moi, il est tout à fait possible d'apprécier cette série sans connaître une seule chose de Candle Cove. La preuve, c'est que le pilote a déjà en fait tout adapté et se termine par le twist final de la légende originale : autrement dit, la suite sera de la pure extension de ladite creepypasta, c'est-à-dire que la série est bien moins une adaptation qu'une vague inspiration pour poser ses personnages et ses mystères. Mais d'un autre côté, non, car une inspiration, cela implique tout de même que la série adopte certains codes et se forge sur Candle Cove. Et on retrouve en fait cela très bien au sein du genre horrifique dans lequel Channel Zero s'inscrit : on n'est clairement ni dans du gore, ni dans du paranormal, ni dans du fantastique (alors que vu qu'il s'agit de Syfy on aurait largement pu s'attendre à ce registre-là). On est surtout dans du simple mystère, dans un registre inquiétant seulement. Pour le moment, du moins.
La série est extrêmement ancrée dans le réel. Pas de fantômes. Pas de sorcières. Pas de vampires, de loups-garous ou quoi que ce soit. Tout comme les creepypastas, qui ne jouent que sur des faits étranges et qui sont beaucoup dans le suggestif et dans l'imaginaire du lecteur, Channel Zero montre peu de choses et s'apparente sur certains points plus à un thriller psychologique, ou à une série à suspens. Plutôt que de se poser des questions du genre "comment vont-ils s'échapper ?" ou "est-ce un fantôme ?" ou bien parfois "les aliens ont-il un rapport là-dedans ?", bref, des questions très classiques dans une œuvre horrifique donnée, on est plutôt amené dans ce pilote à se poser des questions comme "le héros est-il fou ?" ou "quel est ce comportement bizarre ?", etc. Oui, Channel Zero a aussi des monstres (on peut d'ailleurs en voir un dans le – mauvais – trailer teaser). Des monstres qui ne sont même pas vraiment amenés avec subtilité, au contraire. Mais elle arrive tout à fait à capter ce qui fait la force des creepypastas : nous faire douter de la réalité, et faire dénoter certains détails.
En ce sens, la série est très bien écrite. Les protagonistes sont peu nombreux et sont facilement repérables. Le héros évolue dans une zone de gris et est un narrateur bien peu objectif, comme la fin nous le prouve. La série jongle entre les scènes du passé, relatant l'enfance du héros où se sont produits des drames, et entre le présent et ses conséquences. L'enfance est un thème très récurrent dans l'horreur et à nouveau mis au centre ici : Candle Cove est censée être une émission de pirates à la base. Channel Zero fonde la plupart de son action autour d'une forêt avec des enfants qui jouent, ce qui n'est pas sans dégager un certain charme et une certaine nostalgie (qui a parlé de Stranger Things ?), qui accentue largement certaines parties glauques du récit. Le fil rouge est finalement assez simple mais se décompose en plusieurs éléments intrigants. C’est solide. Pour info, le créateur de la série avait écrit pour Hannibal sur NBC (il a notamment co-écrit le series finale). Et Teen Wolf. Mais ça, pas besoin de le crier sur tous les toits.
Au fond, et c'est vraiment ce qui m'a surpris et ce qui m'a plu, c'est que la série est très sobre. La réalisation est clean et efficace, et est à nouveau tout à fait dans un mélange de détails hyper voyants (les monstres, par exemple) et de silences ou de non-dits beaucoup plus dans la suggestion. Le héros reçoit notamment très souvent des flashs de son passé qui sont très brefs, laissant apparaître une ou deux images mystérieuses, qu'on ne peut simplement pas manquer, mais qui pourtant ne veulent rien dire et qui nous laissent constamment dans le flou. Après, ce procédé n'est plus si original de nos jours et je peux comprendre qu'il puisse agacer. Je l'ai personnellement interprété sous l'angle d'approche qu'il fallait, je pense, pour apprécier l'histoire.
Je ne peux pas vous garantir que la saison soit vraiment une réussite sur toute la ligne ; à partir de maintenant elle devra en effet improviser et construire sa propre mythologie, et cela peut vite partir en sucette. Ce pilote fait partie des pilotes qui sont réussis mais qui n'indiquent pas vraiment la qualité à venir de la série à coup sûr. Cela dit, avec une mini-série au format six épisodes, on ne risque pas grand chose. Le fil rouge semble en effet être juste ce qu'il faut de fourni pour être développé sur une durée de quatre ou cinq épisodes. D'un autre côté, c'est bien, mais cela laisse aussi tout le temps à la série pour se planter... Enfin l'avantage, c'est que Channel Zero reste une série anthologique, et que par conséquent il y aura toujours des chances pour que la suite soit meilleure. C'est parfois même mieux que la première saison ne soit pas trop réussie, histoire de pouvoir assurer la relève à long terme (syndrome True Detective...).
Pour résumer, Channel Zero : Candle Cove est une nouveauté qui mérite largement qu'on y jette un coup d'œil. Forte d'un récit qui a l'air solide, d'un format idéal et d'une idée originale, son exécution peut-être un poil classique et molle pourra gêner certains fans absolus d'horreur bien sanglante, mais l'ensemble du show est très prometteur.
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J'ai aimé :
- Syfy fait quelque chose d'original
- Le sentiment creepypasta est retranscrit à la lettre
- La série se tient bien, indépendamment de son inspiration de légende virtuelle
- L'ambiance est excellente et la place accordée à l'enfant donne des scènes inquiétantes
- Plutôt bonne réalisation, sobre
- Le fil rouge simple mais prometteur
Je n'ai pas aimé :
- Des screamers un peu gros
- Pas de quoi sauter au plafond pour le casting
- (Le pire défaut) le sentiment que ça peut virer au n'importe quoi facilement avec les monstres
- J'espère avoir plus de références et clins d'œil à d'autres creepypastas !
Ma note : 14-15/20.
Le Coin Creepy :
- Beaucoup de creepypastas permettent d'étendre un peu plus l'univers de la source en question – d'un jeu par exemple. Un peu à la manière d'une fanfiction, l'apparition d'une légende va en effet "actualiser" une histoire qui datait déjà de plus de dix ans et lui redonner plus d'intérêt. Revenir sur les jeux préférés de son enfance et y ajouter un aspect extrêmement glauque a un petit côté excitant, tout simplement car il sera toujours impossible de prouver qu'une creepypasta est fausse ! Candle Cove est d'ailleurs réputée pour être une des plus ambigües et difficile à réfuter. Le côté "et si..." est très important : c'est notre imagination qui est très sollicitée.
- Ma creepypasta préférée est aussi l'une des plus connues : celle d'une cartouche hantée de "The Legend of Zelda" : Majora's Mask d'un certain Ben Drowned. Le jeu en lui-même est déjà clairement glauque et complètement déjanté, la creepypasta à son sujet ne pouvait donc être que bien tordue. La cartouche hantée de Ben est aussi une creepypasta des plus complexes et des plus détaillées. Je vous renvoie à YouTube, où l'on trouve très facilement plusieurs vidéos résumant toute l'histoire, et la compilation des vidéos originales.
- J'ai dit qu'aucune série ne s'est jamais vraiment basée sur une creepypasta. En revanche, certaines creepypastas se basent sur des séries. Le suicide de Carlo Tentacules de Bob l'éponge par exemple, ou bien une nouvelle très courte basée sur les Anges Pleureurs de Doctor Who. À vous glacer le sang si vous avez vu la série et que vous lisez dans la bonne ambiance :
A few years ago, a mother and father decided they needed a break, so they wanted to head out for a night on the town. They called their most trusted babysitter. When the babysitter arrived, the two children were already fast asleep in bed. So the babysitter just got to sit around and make sure everything was okay with the children.
Later that night, the babysitter got bored and went to watch TV, but she couldn't watch it downstairs because they did not have cable downstairs (the parents didn't want children watching too much garbage). So, she called them and asked them if she could watch cable in the parent's room. Of course, the parents said it was OK, but the babysitter had one final request... she asked if she could cover up the angel statue outside the bedroom window with a blanket or cloth, because it made her nervous. The phone line was silent for a moment, and the father who was talking to the babysitter at the time said, "Take the children and get out of the house... we'll call the police. We don't own an angel statue."
The police found both of the children and the babysitter slumped in pools of their own blood within three minutes of the call. No statue was found.
- Hormis le syndrome de Lavanville dans Pokémon, qui aurait entraîné la mort de plusieurs centaines d'enfants à la simple écoute de la musique, les fameux Candle Cove et Slender Man, tous déjà cités, vous pouvez trouver d'autres creepypastas très connues sous forme de top 10 sur YouTube ou d'autres sites.
- Le thème de la saison 2 de la série, qui contiendra elle aussi six épisodes, est déjà connu et sera basé sur le mythe de la NoEnd House.
Allez, bonne nuit tout le monde...