Depuis plusieurs années déjà, le fantastique s’est imposé comme un genre incontournable à la télévision américaine. Chasse aux créatures en tout genre dans Supernatural (CW) ou dans Grimm (NBC), adaptations de certains classiques de la littérature avec Sleepy Hollow (FOX) ou Dracula (NBC) … Le fantastique est partout et semble s’être fait une place de choix dans le cœur des téléspectateurs, toujours plus avides d’histoires étranges et de surnaturels. Au milieu de cette production foisonnante, voici que la chaîne SHOWTIME (Masters of Horror, The Outer Limits, Poltergeist : The Legacy) décide de dégainer de sa poche une toute nouvelle série : Penny Dreadful. Située en 1891 à Londres, la dernière création de la chaîne câblée risque bien de faire parler d’elle. Sa particularité : faire se rencontrer de grandes figures fantastiques telles que Frankenstein ou Dorian Gray dans l’Angleterre victorienne du XIXème siècle. Cela est-il suffisant pour permettre à la série de se démarquer des autres productions du genre ? S’il est encore trop tôt pour donner une réponse à cette question, ce pilot a au moins le mérite d’interloquer et d’attirer l’attention. C’est parti pour un petit décryptage !
Une série qui prend son temps…
Côté scénario, Penny Dreadful est loin de créer la surprise. La série raconte l’histoire de Vanessa Ives (Eva Green), une femme mystérieuse qui s’associe à Sir Malcom Murray (Timothy Dalton) pour retrouver la fille de ce dernier, enlevée par une créature démoniaque. Ayant découvert l’existence d’un monde surnaturel, ils ont décidé de combattre ensemble les forces du mal. Sur ce point, le pilot reste assez conventionnel et ressemble davantage à une mission de recrutement. En effet, les deux associés partent à la recherche de personnes qui pourront éventuellement les aider dans leurs diverses tâches : alors que la première tente de recruter Ethan Chandler (Josh Hartnett), un acteur itinérant doué pour le mensonge et la séduction, le second cherche à convaincre le docteur Frankenstein (Harry Treadaway) de rejoindre leur équipe.
Au début, le scénario est assez brouillon et il ne serait pas surprenant que certains téléspectateurs peinent à s’engouffrer dans le récit. En faisant le choix de dévoiler (trop) progressivement les différents enjeux de son intrigue, la série a tendance à déstabiliser. Les objectifs des protagonistes ne sont pas clairement établis et Penny Dreadful semble vouloir miser sur le mystère, les secrets et les non-dits. Un choix à double tranchant, qui à défaut de faciliter l’immersion du public permet de mettre en place un univers étrange et intriguant, au même titre que ses personnages. Si nous avons accès à quelques informations les concernant, on ne sait pas toujours ce qu’ils recherchent et leurs véritables intentions sont souvent dissimulées. Pour autant, les mystères entourant Vanessa Ives et sa clique ont pour conséquence de renforcer l’aspect inquiétant du show et de susciter l’intérêt des plus curieux d’entre nous.
Vanessa Ives : Une femme mystérieuse, à l'image de la série
Vous l’aurez compris : il ne se passe pas grand-chose dans ce premier épisode, du moins en apparence. Sa principale fonction réside dans la présentation progressive de ses différents personnages et de leur environnement. Penny Dreadful fait partie de ces séries qui prennent le temps de poser un contexte pour mieux dévoiler ses différents enjeux par la suite. Il n’est pas question de ne proposer qu’une succession d’affrontements avec des créatures surnaturelles, mais bel et bien de créer des interactions entre les personnages. La série n’échappe pas à quelques moments de creux et malgré des dialogues souvent bien écrits, certaines scènes se révèlent parfois trop bavardes pour parvenir à convaincre complètement. N’allez pas croire pour autant que Penny Dreadful est ennuyeuse. Au contraire, la série réserve plus d’une surprise et nous offre aussi de grands moments, en particulier la dernière scène du pilot au cours de laquelle on assiste à la naissance de la créature de Frankenstein. Tout simplement sublime et d’une grande intensité dramatique, à la fois touchante et surprenante d’humanité, cette scène agacera sûrement les plus puristes d’entre nous, ceux qui attendaient une copie conforme de l’œuvre originale.
Malgré les défauts que nous avons déjà énumérés, on ne s’ennuie presque jamais au cours de ces 52 minutes. Même lorsqu’il semble ne rien se passer, la série est déjà en train de mettre en place des éléments qui viendront sans doute enrichir l’intrigue dans les prochains épisodes. En outre, la grande force de ce pilot ne réside pas tant dans l’histoire qu’il raconte que dans l’atmosphère qu’il met en place, qui contribue grandement à sa réussite.
Une atmosphère soignée et passionnante
Ce n’est pas un hasard si l’action de Penny Dreadful se déroule en Angleterre au XIXème siècle, en pleine époque victorienne. Tous les connaisseurs de fantastique savent que cette époque alimente certains des plus grands récits du genre, comme le Dracula de Bram Stocker (1897) ou encore L’étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde de Robert Louis Stevenson (1886). À voir le pilot de la série, on se dit même que John Logan et ses équipes ont mis un point d’honneur pour que la série reproduise le plus précisément possible le Londres victorien de l’époque, tel qu’il est décrit dans les romans. Du choix des chapeaux à celui des costumes, des calèches aux lampadaires, en passant par la ruelle sombre et brouillardeuse de Londres, tout a été mis en œuvre pour permettre au public de se projeter en plein cœur de cette époque.
Sur ce point, il est vraiment difficile de trouver un défaut à Penny Dreadful. Le soin apporté aux décors et aux costumes est d’une telle précision que l’on atteindrait presque la perfection. Les décors et les costumes sont souvent magnifiques et le travail sur les lumières est remarquable avec un jeu entre l’ombre et la lumière. La musique participe également à l’immersion du spectateur, puisqu’elle est en parfaite adéquation avec l’époque dans laquelle se déroule le récit. Enfin, les effets spéciaux sont vraiment convaincants, tout comme les créatures qui apparaissent à l’écran. Grâce à cela, la série parvient à proposer un univers cohérent et vraiment plaisant à découvrir.
Penny Dreadful nous plonge dans le Londres victorien du XIXème siècle
Les dialogues font partie intégrante de cet univers et le langage employé par la plupart des protagonistes est suffisamment raffiné pour permettre au public de retrouver le contexte de l’époque. Il n’y a qu’à voir la scène entre Sir Malcom Murray et le Dr. Frankenstein pour se rendre compte de la richesse des interactions entre les personnages. Il y est question de l’opposition entre les différentes sciences et de l’affrontement entre les spiritualistes et les sceptiques, tout cela sur fond de répliques imagées, puisque les protagonistes ont recours aux figures de style et aux métaphores pour exprimer leurs pensées. Si cela a tendance à rendre parfois la compréhension difficile, c’est ce qui permet également d’ancrer les personnages dans cette période.
Plus qu’une série d’époque, Penny Dreadful semble avant tout être une « série d’ambiance ». La réalisation ainsi que la mise en scène comblent les faiblesses du scénario qui, de son côté, peine à se dévoiler. À la vue de ce pilot, on sent une véritable envie de poser une ambiance et une atmosphère qui soit à la fois réaliste, angoissante, inquiétante et pleine de désillusion. À ce niveau, la nouvelle série de SHOWTIME est vraiment agréable à suivre et nous change des autres séries fantastiques du moment. Même les quelques scènes excessives ou démonstratives éparpillées dans l’épisode ne viennent en rien gâcher les qualités esthétiques du show. Au final, il y a une véritable maturité et intelligence qui se dégage de Penny Dreadful et qui risque bien d’en décontenancer plus d’un. Une maturité qui concerne aussi bien les personnages que l’univers qu’ils fréquentent.
Une série fantastique pour un public ciblé ?
Penny Dreadful, c’est un peu la série que tous les fans de fantastique pouvaient attendre. En plus de mettre en scène des figures incontournables du genre, comme Frankenstein ou Dorian Gray, absent de cet épisode mais qui devrait débarquer prochainement, les références au genre sont nombreuses. Ainsi, il ne fait aucun doute que la fille de Sir Malcom Murray dont le prénom est Mina n’est autre que la Mina Murray de Dracula. De plus, la série de John Logan flirte constamment entre le fantastique et l’horreur. Le spectateur est invité à rencontrer toutes sortes de créatures et de phénomènes surnaturels. Il y a des vampires, des hiéroglyphes égyptiens, des hallucinations et des apparitions, mais il y a aussi une autre menace : celle d’un meurtrier présenté comme étant Jack l’éventreur.
Une série qui reste fantastique malgré tout
Vous l’aurez compris : Penny Dreadful est une série qui s’adresse à un public précis, amateur de fantastique et d’horreur. Cet aspect a pour conséquence d’exclure un certain nombre de personnes pour qui ces personnages et ces références n’évoqueront rien de particulier. Le spectateur curieux qui aurait envie de s’engouffrer dans le genre pour la première fois serait un peu perdu tellement les références sont nombreuses. En tout cas, il ne ressentira certainement pas le même plaisir qu’un habitué du genre. Après avoir vu ce premier épisode, il paraît d’ailleurs presque évident que SHOWTIME propose ici une série à ne pas mettre entre toutes les mains.
En outre, le défi des scénaristes pour la suite sera de faire en sorte de préserver la cohérence que nous avons déjà évoquée précédemment. D’autant plus qu’à l’issue de cet épisode, on a encore du mal à voir où est-ce qu’ils veulent véritablement aller. La série ne doit pas seulement devenir un prétexte pour réunir et rassembler les grandes figures de l’horreur et du fantastique. S’ils sont parvenus à éviter ce piège lors du pilot, ils devront néanmoins faire attention lors des prochains épisodes, au risque de faire de Penny Dreadful une espèce de fourre-tout indigeste et exagéré.
Voilà une série fantastique qui gagne à être connue. Penny Dreadful a toutes les cartes en main pour tirer son épingle du jeu : une idée de départ étrange mais attrayante, une réalisation parfaitement maîtrisée, un univers captivant et des personnages mystérieux. Sans oublier un casting qui force le respect et qui apparaît comme un gage de qualité. Rappelons au passage que John Logan, créateur de la série, a collaboré avec des cinéastes comme Martin Scorsese, Tim Burton ou plus récemment Darren Aronofsky. Juan Antonio Bayona, réalisateur du pilot, est à l’origine de L’Orphelinat (2007) ou de The Impossible (2012). Sam Mendes, réalisateur d’American Beauty (1999), Les sentiers de la perdition (2001) ou plus récemment Skyfall (2012), a également réalisé certains épisodes de la série. Si on ajoute à cela la présence d’Eva Green (Kingdom of Heaven, Casino Royale, Cracks, Camelot) et de Timothy Dalton (Flash Gordon, Tuer n’est pas jouer, Permis de tuer) pour incarner les rôles principaux, on ne peut qu’être emballé. Même Josh Hartnett (The Faculty, Virgin Suicides, La chute du faucon noir, Sin City), loin d’être le comédien le plus talentueux de sa génération, se débrouille pas mal. Par ailleurs, la surprise vient surtout d’Harry Treadaway (La Cité de l’ombre, The Last Son, Lone Ranger), qui interprète un jeune Frankenstein à la fois touchant et exalté.
Un casting 4 étoiles pour une série pleine de promesses
Pour son pilot, Penny Dreadful joue la carte de l’étrangeté et du mystère pour attirer la curiosité. Il n’est pas question d’effrayer et la série cherche à être plus intelligente et mature que les autres productions du genre. À défaut d’être parfait, ce pilot a au moins le mérite d’être intriguant et donne envie d’explorer encore un peu plus cet univers. Au moment du générique de fin, on se retrouve dans une position assez étrange : si le plaisir d’avoir découvert une série audacieuse et esthétiquement réussie est bien là, il se peut que l’on soit déstabilisé par un scénario plutôt évasif et brouillon, dont les mystères ne font que décupler notre curiosité. Si ce premier épisode risque d’en rebuter plus d’un, l’ensemble est malgré tout prometteur.
J’ai aimé :
- L’idée de départ de la série qui consiste à réunir plusieurs figures du fantastique et de l’horreur
- La réalisation presque impeccable
- Les décors, les costumes et les dialogues réussis
- Le casting enthousiasmant et convaincant
- Les nombreuses références au genre
- La maturité et l’intelligence qui se dégage de la série
- La dernière scène, tout simplement sublime
- Le format 8 épisodes pour la saison
Je n’ai pas aimé :
- Le scénario classique et parfois un peu brouillon
- Le côté trop bavard de certaines scènes
- Le fait de ne pas savoir vraiment où les scénaristes comptent aller par la suite
Ma note : 14/20