Une relation entre les personnages bien travaillée
Quand on parle de Sherlock Holmes, on pense au génial détective anglais de 1900, avec son chapeau, sa veste à carreaux et sa pipe. Il évolue dans le Londres du début du 20ème siècle, avec des femmes habillées de toilettes prestigieuses, des diligences, des petits cireurs de chaussures au coin des rues et j’en passe. On pense aussi à Watson que l’on imagine volontiers un peu enrobé et moustachu, écrivant dans son journal les aventures de Holmes.
Bon, bah, vous prenez ce pitch, vous ouvrez la poubelle et vous le jetez dedans. Parce que la nouveauté ici est le 21ème siècle : Sherlock Holmes passe à l’air moderne ! Au-revoir télégrammes, bonjour SMS ! Exit les rues en terre, les vieux immeubles et les diligences : on est dans le Londres d’aujourd’hui, avec ses rues goudronnées, ses HLM et ses voitures.
Alors la première fois que l’on entend parler du synopsis, comme l’on dit dans le jargon, on pourrait craindre le pire. Et après on voit que ce sont Mark Gatiss et Steven Moffat qui sont à la tête du projet : vu le travail qu’ils ont pu réaliser sur Doctor Who, on peut commencer à espérer du tout bon.
Et justement, A Study in Pink est le premier des épisodes de cette nouvelle série. Les fans y verront un clin d’œil au roman A Study in Scarlet, première histoire où se trouve formé le duo Holmes-Watson. Et justement, les deux histoires présentent de nombreuses similitudes. Que ce soit dans le livre ou dans l’épisode, John Watson est un médecin militaire blessé en Afghanistan (oui, c’est amusant de constater que certains pans de l’Histoire se répètent) et cherche un appartement, sa pension ne lui permettant pas de se payer un loyer suffisant.
On le met alors en contact avec Holmes, personnage on ne peut plus intriguant : il bat des cadavres à la morgue pour prouver une théorie. La rencontre est brève mais déjà Sherlock montre son talent en demandant à Watson s’il était soldat en Irak ou Afghanistan, avant de lui détailler des pans de sa vie.
Toute cette partie liée à la présentation des personnages est particulièrement bien réussie, de même que toute l’évolution de leur relation. Suivant plus ou moins les grandes lignes du livre, celle-ci fait mouche. D’un côté, on a un Watson posé, réfléchi et assez terre à terre. Il incarne parfaitement l’individu lambda qui est émerveillé devant Holmes, sans pour autant le stigmatiser.
De l’autre, on a un Holmes froid, distant et pourtant très surprenant. À noter que les déductions sur Watson (et leur explication après) sont particulièrement bien traitées et ne sont d’ailleurs pas sans rappeler une faite dans The Sign of the Four sur une montre à gousset. Le Holmes moderne est accroc au patch de nicotine (plus le droit à la pipe), fume occasionnellement de l’herbe et est un maniaque des nouvelles technologies, particulièrement des SMS.
Là où Watson a au final peu évolué, l’évolution de Holmes est beaucoup plus marquée. Pour ma part, je trouve cette évolution assez naturelle : il est assez logique de se dire qu’à l’heure d’internet, Holmes se servirait de ce formidable outil. Le laisser passer à côté aurait été, je trouve, une grossière erreur. On pourra déplorer la trop grande insistance, lors de cet épisode, sur l’utilisation des SMS mais cela cadre parfaitement avec le personnage qui ne fonctionne pas comme nous. Un nouveau Holmes qui garde quand même ses traits principaux, ce qui est très bien vu.
Mais que serait un personnage bien écrit sans de bons acteurs. Benedict Cumberbatch campe ici un très bon Sherlock : grand, mince, brun, la description physique colle parfaitement. Et puis, il a également la façon d’être du personnage, à la fois froid et distant (on aurait presque envie de lui coller des baffes par moment) mais également très dynamique, pouvant même se révéler plus chaleureux.
C'est les soldes : un cadavre acheté, un offert
En face, Martin Freeman n’est pas en reste et donne une composition à la hauteur de son partenaire, calme, posée et plus terre à terre. Pour l’anecdote, Matt Smith, actuel Doctor Who, avait auditionné pour le rôle de Watson mais les producteurs l’avait refusé, le trouvant trop fantasque. Grand bien leur en face puisque qu’entre Cumberbatch et Freeman, l’alchimie est excellente. On sent tout de suite que le duo va fonctionner et que les deux vont parfaitement ensemble. Et il fonctionne vraiment bien, le jeu des acteurs et tout le travail d’écriture sur l’évolution de leur relation est parfaitement maitrisé.
On trouvera également de nombreux clins d’œil à une relation homosexuelle entre les deux, ce qui, mine de rien, renforce quand même leur complicité. Bon, là où les allusions étaient plus subtiles dans les romans, ici on sort le rouleau compresseur mais vu qu’elle participe à l’humour de ce pilot, je passe. En comparaison, le duo formé par Robert Downey Jr et Jude Law est beaucoup moins maitrisé (bon, il faut dire aussi que pour moi ce film est un divertissement correct mais n’a rien à voir avec Sherlock Holmes).
Bref, la relation entre les deux personnages, qui est quand même l’une des pierres angulaires des romans est respectée, c’est un bon point.
Une enquête un brin poussive
Bon, la relation entre les personnages, c’était un peu le passage obligé et quand même le noyau dur de la série par la suite, donc cela méritait un peu d’attention. Mais quand on parle de Sherlock Holmes, on pense surtout aux crimes insolubles et aux déductions incroyables. Et cet épisode rempli le quota à ce niveau là.
La première est bien entendue celle concernant Watson, sa blessure et son frère, mais surtout, l’explication. Celle-ci va vite, on se dit whaou et on se la repasse parce que l’on n’a pas tout bien compris. Mais au final, elle se révèle plutôt béton et assez simple : ce qui faisait l’une des grandes forces des œuvres de Doyle est ici respecté et là encore bien maitrisé, que ce soit cette déduction, celle de l’analyse du corps de la victime (j’y reviens) ou le classique : « tiens, vous couchez ensemble ? ».
L’histoire de son côté débute de façon prometteuse : plusieurs personnes sont retrouvées mortes, suicidées. Seulement, les suicides sont tous les mêmes et au bout du troisième, tout le monde se rend compte qu’il y a un lien malgré ce qui est dit en conférence. Le résumé de la situation par la police lors de la conférence est bien foutue et les interruptions de SMS bienvenu : la scène est plutôt inventive et nous sort des sentiers battus. On a à la fois le résumé de la situation mais on se rend également compte que la police est complètement dépassée au contraire de Sherlock qui semble avoir une idée.
Wrong !
La suite reprend en grande partie A Study in Scarlet : un corps est découvert dans une maison vide avec le mot « rache » écrit à côté. Ici, la personne trouvée est habillée en rose, d’où le titre de l’épisode. Ce nouveau suicide est prétexte à nous montrer Sherlock en action : il nous sert une nouvelle fois une très bonne scène de déduction, qui fait écho avec celle sur Watson juste auparavant.
Elle permet également de montrer l’incompétence de la police, le summum étant atteint avec l’explication sur « rache » : là où le légiste y voit l’allemand pour « vengeance », Sherlock y voit le mot « Rachel », ce qui se révèlera juste plus tard. Le point est à souligner puisque la situation est inversée dans le livre A Study in Scarlet : le légiste pense alors à Rachel alors que Holmes y voit l’allemand de « vengeance » (inutile de dire que c’était encore lui qui avait raison). Un nouveau clin d’œil à l’œuvre de Doyle qui permet, à ceux qui ont lu les romans et nouvelles, de retrouver certaines marques.
Jusque là, l’épisode avait tout bon. Malheureusement, l’intrigue ne suit pas le rythme : ce n’est pas mauvais, plutôt plaisant à suivre mais ça s’essouffle en cours de route. Les multiples rebondissements (la valise, le téléphone, …) sont assez évidents et peu surprenants. De même, la poursuite du taxi est très classique pour ce genre d’histoire, bien que la mise en forme soit travaillée et inventive (bien qu’un peu gonflante sur le final).
Tout ceci finit par nous amener au face à face final (attention, spoilers) : Holmes contre le chauffeur de taxi ! Je dois dire que la première fois que j’ai vu l’épisode, j’ai deviné avant la révélation qui était le coupable. Certains ont trouvé ça dérangeant, moi pas tant que ça : il m’était arrivé dans certaines nouvelles de Doyle de trouver la solution avant la fin donc bon, ce n’est pas si catastrophique que ça. Donc, finalement, le chauffeur de taxi trouve Holmes et l’invite à le suivre, ce qu’il fait bien entendu sans prévenir personne.
La scène est très intéressante du point de vue du personnage d’Holmes. On se rend bien compte ici qu’il hésite entre prévenir la police et découvrir la façon avec laquelle le chauffeur pousse les gens à se suicider. Et au final, c’est sa curiosité qui l’emporte contre toute logique : le trait du personnage est vraiment bien amené dans cette scène. Par contre, là où l’on sent le tiraillement chez Cumberbatch, le chauffeur de taxi n’est pas vraiment crédible.
Et c’est dommage, parce que l’on va vers un face à face d’une bonne vingtaine de minutes qui n’est pas à la hauteur du reste de l’épisode. Au premier visionnage, j’avais trouvé le passage un peu longuet. Lorsque j’ai revu l’épisode, je l’ai carrément trouvé affreux et terriblement ennuyeux. On pourrait dire que c’est l’effet « rediffusion » : je ne crois pas, les autres passages de l’épisode ont eu le même effet au second visionnage qu’au premier.
C’est donc la scène qui est d’un ennui terrible. Et au final, on ne sait pas grand-chose : ils parlent, parlent et l’on a vraiment l’impression qu’ils essayent de meubler le temps qu’il reste avant la fin de l’épisode. Le chauffeur de taxi est de plus assez horrible et très peu crédible : on ne croit pas une seconde qu’il soit capable d’avoir commis les forfaits. Sherlock parvient à se distinguer à un moment lorsqu’il présente ses déductions mais faute de répartie en face, la tension n’arrive jamais à grimper et du coup la scène devient très ennuyeuse et l’on a qu’une hâte : que cela se termine.
Et cela se termine de façon un peu trop abrupt et facile. Certes, cela sert à renforcer le lien entre Sherlock et Watson mais au détriment de l’intrigue, qui avait déjà grandement souffert de l’interminable face à face.
Au final, l’enquête est un peu à deux vitesses : une première partie assez rythmée et intéressante qui finit par s’essouffler en cours de route. Est-ce parce que le script initial était prévu pour un épisode de 60 minutes ? Sans doute mais vu que l’auteur en est Steven Moffat, on aurait pu en attendre une meilleure ré-écriture.
Et sinon ?
En dehors de ça, l’épisode nous offre une petite intrigue parallèle, histoire de mettre en avant Watson sans Holmes. Sans péter trois pattes à un canard, c’est plutôt plaisant et sympathique. Le personnage de Mycroft représente tout le flegme britannique et la révélation de son identité tombe au bon moment. Même si l’on se doute que ce n’est pas un véritable ennemi, elle a au moins le mérite de renforcer le caractère asocial de Sherlock et le lien particulier qu’il a avec Watson. Par contre, la fille avec son téléphone, elle ne mérite que des baffes.
so british !
Les différents policiers qui côtoient le duo sont également bien en phase avec le reste. Bien que Sherlock reste le grand détective et que l’on sente qu’ils sont largués, ils ne sont pas montrés comme de vulgaires imbéciles et ça c’est plutôt pas mal et renforce l’intelligence d’exception de Sherlock. Ils sont également plus terre à terre que lui et contrebalancent bien son excitation morbide.
Du côté de la réalisation, l’épisode fourmille de trouvailles, certaines bonnes, d’autre moins. L’affichage des différents sms à l’écran est généralement bien utilisée mais à tendance à lasser sur la fin. De même, la mise en scène de la poursuite du taxi est un peu too much : au début, c’est sympathique mais elle dure un peu trop longtemps à mon goût et l’on finit par être étourdit par tous les panneaux. Rien de bien méchant toutefois et la plupart du temps, j’ai trouvé tous ces petits effets en adéquation avec le reste.
D’autant que visuellement, il n’y a pratiquement rien à redire. La qualité de la photo est bonne, pas vraiment de faux raccords (bon, je ne suis pas spécialiste non plus mais par rapport à Teen Wolf…) et les différents plans son généralement bien choisis pour faire ressortir le meilleur des acteurs.
Au final, c’est un bon pilot qui nous est proposé ici. L’idée de mettre le mythe Sherlock Holmes à l’heure du 21ème siècle est parfaitement géré et bien adapté. L’épisode est de plus porté par de très bons acteurs (excepté le chauffeur de taxi) ainsi qu’une très bonne réalisation qui le rend plaisant. Seul bémol : l’histoire qui s’essouffle avant de terminer sur une confrontation très moyenne, ce qui gâche un peu le tout.
J’ai aimé
- Les personnages bien travaillés
- Les acteurs au top
- Les déductions, très bonnes
- Tous les petits détails de mise en scène qui rendent le tout original
J’ai moins aimé
- L’histoire qui s’essouffle en cours de route
- Le face à face final décevant
14/20