Hypocrisie, pression, manque de reconnaissance, burn-out ou harcèlement, le monde du travail peut parfois être d'une terrible violence. Et pour ceux qui en sont exclus, ce n’est guère plus évident : rendez-vous à Pôle Emploi, lettres de refus, démotivation, France 2 l’après-midi et sentiment d’être inutile à la société.
Pour illustrer mon intro, une excellente chanson qui vaut mieux qu'un long discours...
Donc, on aura beau dire, on aura beau faire, nous sommes définis par notre situation professionnelle. C'est d'ailleurs l'une des premières questions posées lorsqu'on rencontre une nouvelle personne : "Et toi, tu fais quoi comme boulot ?". Preuve de l'omniprésence dans nos vies d'un système qui peut devenir opprimant, et duquel il est difficile de se passer. De plus, la situation ne semble pas vouloir s'arranger, puisqu'on risque d’entrer dans une nouvelle crise financière et bancaire, qui aura les conséquences qu'on connaît déjà : austérité, augmentation des licenciements, baisse de la croissance (ou plutôt ralentissement de sa progression, ce qui n’est pas tout à fait pareil, n'est-ce pas ?) et aggravation du fossé entre riches et pauvres.
Et à quoi va ressembler le monde du travail de demain, alors que le travail tend à disparaître et que le nombre de demandeurs d'emploi va en augmentant ? Même si certains économistes proposent des pistes alternatives tel Bernard Friot et son idée du salaire à vie, l'optimisme n'est cependant pas de rigueur. Ces réflexions sont le thème central de Trepalium, la nouvelle série d'Arte. Mais le risque d’un tel sujet d'anticipation, sur une telle chaîne, était de faire un pensum philosophique, une série profonde, mais sans vie et froide.
Après le visionnage des trois épisodes, j'aurais préféré que cela soit ça finalement, car Trepalium pisse sur ce sujet en or et pond un gros truc débile et abrutissant.
Gloups.
Bienvenue à Groscaca
Dans le futur, un mur sépare les 80% de la population sans travail, qui vivent dans la "Zone", et les 20% d'actifs habitant à "Aquaville". Pendant que la colère monte parmi un groupe d'activistes, dix mille zonards sont sélectionnés un jour pour passer le mur et obtenir un travail solidaire. Mais celui-ci s'apparente vite à de l'esclavage consenti.
Voilà pour le synopsis qui m'avait bien alléché. Mais amener le spectateur à entrer dans une dystopie est un exercice compliqué. Il faut l’immerger dans un monde inconnu, mais avec suffisamment de repères pour ne pas le perdre totalement, tout en gardant un petit peu de mystère pour l'inciter à revenir. C’est une vraie question de dosage, de l’ordre du millilitre.
Eh bah Trepalium ne se prend pas la tête et sort les gros sabots, d’entrée. Partant de l'anecdote de l'étymologie latine du mot travail (qui vient de "torture", oui, cela ne s'invente pas), la série sort de son chapeau un professeur habitant dans la zone, exposant de manière ultra explicative la situation à des enfants en haillons. Mais ce sont les spectateurs qui sont visés (parce que je pense que les gamins doivent déjà connaître l’histoire de leurs vies et le pourquoi du mur).
Trepalium vient à peine de commencer et le message est clair : cela aura la finesse d’un éléphant en tutu dans un magasin de porcelaine.
2001 l'odyssée du vide
Très vite, un nouvel exemple du manque totale de subtilité apparaît avec le traitement des inactifs.
En effet, dans notre quotidien, les médias et certains politiciens aiment donner aux personnes sans emploi l’image du chômeur fainéant, cancer de la société et parasite des "honnêtes" travailleurs. Trepalium reprend cette image pour la dénoncer, mais les gyrophares sont de sortie pour être sûr que tout le monde comprenne le message. Ici, les inactifs se font cracher à la gueule, menacer d’un fusil à la moindre suspicion de vol et traiter un milliard de fois de sous-humains. Pire, à Aquaville, les militaires n'hésitent pas à tirer sur des enfants (!!) de la zone qui ont osé passer le mur.
Ce thème de l'humiliation du sans-emploi est le sujet de la série, on est d'accord, mais il est inutile de le marteler de la sorte, à gros coups de marqueur. D’ailleurs, quand Trepalium reprend au premier degré des expressions comme "cracher à la gueule de quelqu'un" ou "marcher sur le cadavre de quelqu’un pour prendre son poste", le résultat ne fonctionne pas et à trop forcer le trait, la série commence à plonger dans le comique involontaire.
Blade Nuller
À quoi reconnaît-on une série qui nous prend gentiment pour des benêts ? À la fainéantise de l’écriture, consistant à dire "ok, c’est pas logique, incohérent et pas vraisemblable, mais bon, ce n’est qu’une série". Et Trepalium fait très fort, se servant de la "Grosse Coïncidence", cette Divinité des tire-au-flanc.
Ici, comme par hasard, Izia, l’inactive qui vient travailler chez Ruben, est le sosie de sa femme (en même temps, c'est la même actrice, ça aide). Le même jour, la fameuse épouse disparaît sans laisser de trace. Coïncidence. Pas démonté, Ruben demande à Izia de la remplacer. Plus tard, on apprend que la disparue trompait son mari avec un des chefs de la résistance, qui se servait d’elle pour approcher le père de Ruben, personnage influent. Or, Izia voit le retour d'une ancienne connaissance qui, "coïncidence", est aussi un chef de la résistance. Décidément, Ruben s'entoure très mal.
(Alors, peut-être je suis mauvaise langue, peut-être que toutes ces coïncidences seront expliquées et qu’on apprendra qu'il s’agissait d’un plan machiavélique d’un cerveau super avancé. N'empêche, cela resterait laborieux.)
1984 nuances de nawak
Et là, soudain, j'ai eu un déclic. En fait, Trepalium est un nanard, une série à regarder au deuxième voire troisième degré, pour voir et rire des prochaines conneries qui vont sortir ; une sorte de Wayward Pines français.
Et j’ai commencé à rigoler, à me délecter.
J'ai aimé l'insistance de la réalisation sur l'opulence des repas chez les riches.
J’ai ri qu’on refuse de gaspiller de l’eau en en donnant à une prisonnière, alors que vingt minutes plus tôt, on s’amusait à lui apporter deux bouteilles, une saine et l’autre empoisonnée. Ce n'est pas l’exacte définition de "gâcher", ça?
Je me suis gaussé devant le vol sans vergogne des idées des autres : un homme revenu traumatisé d’un enlèvement (Homeland), un haut placé atteint d’une maladie dégénérative (Boss), le questionnaire d’embauche (Blade Runner).
J'ai rigolé devant le côté super cheap de l'univers futuriste proposé : les téléphones qui sont un bout de plexiglas, les poupées moches mais qui parlent (oohhh) et les gamins en haillons prenant leurs cours sur des ardoises.
Je me suis marré avec le fils d'Izia qui a un don très "Kim Bauer" pour se mettre dans le pétrin à chaque épisode (overdose, militaire qui le mitraille).
Je me suis poilé devant tous ces personnages sans épaisseur qui défilent devant mes yeux, m'en touchant une sans en faire bouger l'autre.
Internullar
Bref, je commençais à m'amuser.
Jusqu’au viol d'Izia de l’épisode 3, où mon rire s'est bloqué dans ma gorge devant cette scène de violence gratuite et racoleuse. De plus, l'absence totale de répercussions sur la psychologie de la victime m'a glacé, car cela banalise insidieusement l'acte criminel.
Ce viol est juste un effet dramatique, pour faire "tendance", pour faire comme dans Game Of Thrones. Abject.
Après cette douche froide, le reste du visionnage sera pour moi un calvaire, une peine de voir une série si prétentieuse se vautrer dans la pire des vulgarités et la paresse d'écriture.
Outre ses défauts d’écriture évident, ce qui m’a vraiment déplu dans Trepalium est cette sensation désagréable d’être pris pour un kéké , que les producteurs/scénaristes/auteurs pensent s'adresser au spectateur de Julie Lescaut et balise le chemin, afin d'être sûr de ne laisser personne au bord de la route, sans hésiter une seconde à utiliser les ficelles les plus poussives et déjà vues ailleurs. C'est clairement de l'abrutissement, un nivellement vers le bas, n'ayant que pour but de s'en mettre plein la poche. Et être pris pour un mouton, un pigeon ou une vache à lait, moi, je déteste ça.
J'ai aimé :
- Ça passe assez vite si on prend le parti d'en rire.
- L'idée de base était bonne.
- C'est tout.
Je n'ai pas aimé :
- Le traitement, le rendu, la paresse des scénaristes.
- Faut pas me prendre pour un âne.
Bonus : le service des responsables créatifs de Trepalium en plein travail
Ma note : 5/20.