Dimanche. Deuxième jour du festival. Bonne surprise : nous avons finalement un créneau de 15 minutes avec Graham Yost, à partager avec deux autres journalistes de blog. Très bonne surprise : à l'arrivée dans le cossu lobby de l'hôtel Royal Barrière, l'interview groupée s'est transformée en one to one. Et les quinze minutes sont devenues vingt. Adrénaline, révision express du niveau d'anglais... Let's go !
Graham Yost
Puck, pour Serie-All : Une fois n'est pas coutume, commençons par des questions sur l'environnement économique. Est-ce que la crise dans laquelle nous sommes aujourd'hui a eu un impact sur la télé et le business du divertissement ? Avez-vous du mal à réunir des fonds, convaincre les chaînes, lancer de nouveaux shows ?
Graham Yost : Il y a eu une grande angoisse, beaucoup d'inquiétude en 2008 et 2009. Les plus grandes entreprises financières flanchaient, les banques, et avec elles, tous les services financiers. Tous le monde se demandait s'il serait possible de lever des fonds, et les chaînes de télé s'inquiétaient pour les volumes publicitaires. Et finalement, on se rend compte que ces peurs étaient exagérées. D'abord parce que la situation financière des chaînes était plutôt saine. Ensuite, parce que, surtout en période de crise, les gens veulent se divertir. C'est le New York Times, je crois, qui avait publié une étude qui montrait que ce que privilégiaient les gens, c'était les sorties au cinéma et le fast-food. Les gens en période de crise veulent toujours manger et voir des films. Idem pour la télé.
Justement, pensez-vous que les traders de Goldman Sachs ou d'autres banques pourraient faire l'objet d'une bonne série ? Il y a de la dramaturgie dans ces affaires, non ?
Oui, j'en avais d'ailleurs discuté avec des membres de l'équipe de 24 quand ils écrivaient la dernière saison. Ils avaient pensé, à un certain moment, faire du grand méchant un grand manitou de la finance. Mais ce n'est pas quelque chose qui aurait sa place dans Justified.
Poursuivons sur l'économie. En 2007, la grève des scénaristes a été un coup dur pour de nombreuses séries. Au final, croyez-vous que les problèmes soient résolus, ou bien pensez-vous qu'une autre grève pourrait survenir avec le déploiement de nouveaux supports de diffusion ?
Je ne crois pas. Pas dans l'immédiat. La précédente grève datait de 1988. Près de vingt ans après, celle de 2007 a été longue, douloureuse. Elle a coûté beaucoup d'argent à tout le monde. Elle est encore dans toutes les mémoires, et je ne crois pas que quiconque ait envie que les choses en arrivent de nouveau là.
Vous avez à plusieurs reprises travaillé avec Tom Hanks et Steven Spielberg (pour Band of Brothers, De la terre à la lune, The Pacific et récemment Falling Skies), est-ce que c'est facile de travailler avec eux ? Si jamais vous avez des désaccords, pouvez les exprimer ? Après tout, il s'agit de...
Graham Yost (qui interrompt en souriant) : oui, il s'agit de Tom Hanks et Steven Spielberg, quand même !
Il faut bien comprendre une chose : j'aime travailler en équipe, et quand je dirige une série, comme Justified actuellement, j'écoute mes collaborateurs ; mais au final, c'est moi qui décide. Et quand je travaille sur les projets de Tom ou de Steven : ils m'écoutent, mais la décision finale leur appartient. Je peux évidemment exprimer mes désaccords, mais je dois dire que dans 99% des cas, je suis entièrement d'accord avec eux.
Justified, série réalisée par Graham Yost.
La saison 2 sera diffusée en France dès le 18 septembre, sur Orange Cine Choc.
Vous disiez hier lors de la table ronde que vous ne participiez pas au tournage des épisodes de vos séries. L'avez-vous déjà regretté ?
Il est arrivé que ce que je regarde ne corresponde pas à ce que j'imaginais. Nous avons parfois du refaire des scènes. Mais c'est un travail et une décision collective, qui engage aussi la production. Cependant, je connais maintenant bien les réalisateurs, notamment ceux qui participent à Justified. Nous avons l'habitude de travailler ensemble. Et il n'y a pas de problème.
The Pacific, Boardwalk Empire, Mad Men... On a l'impression que l'Amérique revisite son histoire, ou à défaut, s'en sert comme toile de fond. C'est une tendance ou juste une coïncidence ?
Je pense qu'il y a un appétit réel pour des récits qui appartiennent au passé. Moi-même, je viens de visiter, pour la première fois, le cimetière américain [où sont enterrés les soldats tombés sur les plages du débarquement, ndlr]... Et c'est très impressionnant. Mais ces séries sont très chères à produire.
Et pour Band of Brothers ou The Pacific, qui étaient en décors réels, ce sont des projets énormes, qui n'ont vu le jour que parce qu'il y avait Tom Hanks ou Steven Spielberg aux commandes. Cela dit, si ces mecs se lancent à nouveau dans quelque chose de ce genre, je suivrai.
Hier soir, lors de sa masterclass, Tom Fontana regrettait que les jeunes auteurs n'aient comme seule référence que la télé, et non pas la littérature. Vous êtes d'accord avec ce constat ?
Je peux vous dire que les jeunes auteurs avec lesquels j'ai travaillé étaient très instruits, cultivés. Si Tom Fontana a constaté ça, c'est en partie de sa faute (sourire). Après tout, ce sont des séries intelligentes comme The Wire, Homicide ou Oz qui servent de références à ces jeunes auteurs.
Sérieusement, je pense qu'il s'agit surtout du syndrome du « c'était mieux avant... » Avant que les jeunes ne s'abrutissent devant la télé, avant qu'ils ne passent tout leur temps devant les jeux video...
Justement, pour continuer dans cet esprit du « c'était mieux avant ! », certains redoutent que les séries feuilletonnantes ne soient plus vraiment plébiscitées par le public et les chaînes. Qu'en pensez-vous ?
Ca dépend, vraiment. Par exemple, FX privilégie les séries feuilletonnantes. Ils aiment l'idée d'accrocher le spectateur avec leurs shows. De le tenir en haleine.
Et puis il y a un autre phénomène. Les études faites sur Netflix [un réseau américain de streaming légal] montrent que les séries les plus regardées sont feuilletonnantes : c'est Weeds, Breaking Bad. Les gens ont raté ces séries, ils en ont entendu parler, et ils les regardent finalement par ce biais. Reparlons-en dans cinq ans, et nous verrons quelles seront les séries regardées via Netflix...
Vous disiez hier que vous aviez été assez étonné du langage cru et de la nudité dans les productions françaises Engrenages et Pigalle la Nuit. Ca serait une motivation pour travailler avec des producteurs européens, comme Tom Fontana vient de le faire pour Borgia [avec Canal+] ? Plus sérieusement, vous aimeriez travailler avec des chaînes européennes ?
La vraie motivation pour travailler avec les producteurs européens c'est de filmer ici, en Europe. De toute façon, nous avons quand même de plus en plus de latitude dans ce que nous pouvons faire ou dire. Et pour les jurons et la nudité, nous avons HBO. C'est un peu leur marque de fabrique.
Un peu trop parfois... Dans Game of Thrones, certaines scènes étaient de trop...
Graham Yost (riant) : Vous voulez parler de la prostituée ? Elle avait trop de scènes ?
Oui... Ce n'était pas toujours utile.
Et la blonde. Vous voyez de qui je veux parler ? Celle qui épouse the dark big guy, Conan ! Elle devait avoir une clause dans son contrat pour que l'on voit ses seins à chaque épisode. Mais bon, cette force d'attraction, ça doit bien fonctionner...
(Derrière Graham Yost, l'attaché de presse me fait signe : dernière question !). Pour finir, vous pourriez nous parler de vos nouveaux projets ?
Non, je suis désolé. J'ai déjà eu la poisse en racontant à l'avance ce sur quoi je travaillais, et je suis devenu superstitieux.
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