Jeune cadre fringant, Slim débarque pour son nouveau boulot chez [∙], le leader des solutions Be to Be. Mais très vite, il va se rendre compte que les objectifs de la société sont très flous, voir complètement farfelus : en quoi consiste réellement son travail d’Opérateur Référent ? Et ce n’est pas sa jolie collègue Fran, Référente Opérationnelle, qui va pouvoir l’aider : cette dernière semble persuadée que la boîte est dirigée par des aliens ! Il faut dire qu’entre le comportement plus qu’étrange de leur responsable Charles, les apparitions de l’énigmatique et séduisante Anna, le règlement intérieur incompréhensible des WC et le médecin du travail spécialiste de l’allemand, il y a de quoi se poser des questions. Est-ce la société qui semble vouloir les rendre dingue ou est-ce juste Slim qui a du mal à s’adapter à son nouveau travail ?
L'entreprise, ce lieu absurde
Créée par François Descraques (Le Visiteur du Futur) et Slimane-Baptiste Berhoun (le professeur Castafolte dans Le Visiteur du Futur), cette nouvelle web-série était le fer de lance de la nouvelle plateforme de France 4 dédiée aux web-séries, Studio 4.0 (si vous ne connaissez pas, je vous conseille d’aller y faire un tour, certaines créations sont intéressantes). Mais n’allez pas croire que l’on est en présence d’une fiction bricolée dans le fond d’un garage : au format court, la dizaine d’épisodes qui compose la série a été tournée dans des conditions professionnelles et n’a pas à rougir face à d’autres fictions françaises (bien au contraire). D’autant qu’il n’est pas question ici d’ange gardien ou d’un énième policier mais bien de quelque chose de plus « couillu » et plus décomplexé que le téléfilm calibré pour la ménagère de moins de 50 ans.
Ici, la cible est clairement les jeunes actifs, que ce soit les jeunes diplômés qui vont prendre leur premier poste ou les trentenaires pour qui cette expérience n’est pas si lointaine. Au travers du personnage de Slim qui débarque dans une nouvelle société, c’est toute cette population qui est représentée et à qui la série va parler, beaucoup plus qu’à des adolescents qui ne connaissent pas encore le monde du travail ou à des cinquantenaires proches de la retraite. Et en ciblant cette population jeune qui a été nourrie aux séries Tv américaines, la web-série va aussi se permettre des références sériels plus poussées et un ton plutôt rafraichissant pour le Paysage Audiovisuel Français, mélange de comique absurde et de mystère bien dosé.
Cela se retrouve au niveau même du découpage de la saison. La première partie est clairement celle de la découverte et de l’apprentissage du fonctionnement de l’entreprise. En arrivant dans un environnement qu’il ne connait pas, Slim est contraint de s’adapter et de comprendre comment celui-ci fonctionne. Ainsi, la première moitié de la saison est découpée sous forme de mini-épisodes où plusieurs passages obligatoire pour tout nouvel employé sont décortiqués. Que ce soit la visite médicale, la rencontre avec le DRH, l’apprentissage des codes ou la confrontation avec la hiérarchie, toute personne dans la vie active reconnaîtra ses moments par lesquels elle est forcément passée.
Bien évidemment, le cadre est ici beaucoup moins formel que dans la vraie vie et tout est poussé jusqu’à l’absurde, lorgnant régulièrement vers The Office tout en gardant son indépendance. Les situations rocambolesques s’enchainent et se traduisent par des quiproquos improbables, à l’instar de la signalisation complètement absurde des WC qui posera, le temps d’un épisode, beaucoup de soucis à Slim. Ce dernier sera également confronté à un médecin du travail (incarné par François Rollin) qui alignera les tests physiques et psychologiques incongrus pour valider ses capacités au poste d’Opérateur Référentiel (le tout ponctué de citations allemandes) ou à une secrétaire complètement tarte et incapable de répondre à ses questions (le genre que l’on trouve dans toutes les bonnes administrations françaises en fait !).
Bref, chaque épisode est l’occasion de tourner en dérision un de ces passages obligatoires pour tout nouveau venu et, même si la qualité est assez inégale, le tout se regarde bien. D’autant que les épisodes restent reliés entre eux par une trame de fond plus complexe : qu’est ce que [∙] ? Chaque absurdité est l’occasion pour le spectateur de se poser de nouvelles questions et renforce le mystère autour de l’entreprise. En plus de ça, les scénaristes nous pose un mini-cliffhanger à la fin de chaque épisode, l’occasion de toujours nous rappeler la trame de fond de la saison et de donner envie de revenir, un peu à la Lost (et hop, référence à Lost posée, +100 points).
Du mystère sans lumière blanche
Mais contrairement à cette dernière, il n’est pas question ici de grande lumière et d’église : François Descraques et Slimane-Baptiste Berhoun savent parfaitement ce qu’ils font ! Si la première fournée d’épisodes peut laisser planer le doute quant à la finalité et la conclusion de la série, la seconde devrait dissiper les doutes des plus récalcitrants. À partir du septième épisode, les masques tombent et la vérité commence à apparaître : le ton de la série change et on entre vraiment dans quelque chose de plus sérieux, de plus tendu et de plus captivant aussi.
Chaque épisode est construit autour d’un des personnages énigmatiques croisés dans la première moitié de la saison (Anna, Charles, les actionnaires, …) et chacun d’entre eux apporte son lot de révélations. Et comme toute bonne série à suspense, chaque révélation apporte son lot de questions et d’interrogations, renforçant à chaque étape le mystère qui plane autour de [∙]. Jusqu’à l’épisode final qui apporte les dernières réponses et conclut d’une très bonne façon tout ce qui a été lancé au fur et à mesure de la saison, preuve d’un travail d'écriture maîtrisé.
Parce que la force de la série est aussi là : écrite de A à Z avant le tournage, chaque épisode a été pensé comme une pièce du puzzle et chaque détail s’imbrique parfaitement dans la mécanique générale. Pas d’explications sorties du chapeau, pas de tour de passe-passe foireux, tout a été soigneusement réfléchi et distillé au fur et à mesure. Une fois l’épisode final passé, revoir les autres épisodes permet de mettre certaines choses en avant, des détails qui nous semblait insignifiant au premier abord mais qui prennent toute leur importance une fois la vérité connue. Et c’est vraiment agréable de voir quelque chose de construit et maîtrisé, où le téléspectateur n’est pas pris pour un imbécile : la machine est complexe mais les explications sont simples, claires et logiques.
Et au final, c’est vraiment un avis positif qui reste après le visionnage de la série. Descraques, en quittant l’univers du Visiteur du Futur, propose quelque chose de nouveau tout en gardant ses codes, mélange de suspense, de mystère et d'absurde. Ceux qui ont aimé sa première série devraient trouver leur compte, les non-initiés découvriront une web-série sympathique et plaisante. Certes, elle n’est pas exempte de défauts mais même si certains épisodes sont douteux, même si certaines choses peuvent se deviner, le tout est suffisamment bien travaillé pour se laisser regarder avec plaisir et c’est finalement tout ce qu’on lui demande. Pour une série qui se regarde en une heure, ça serait dommage de passer à côté !
Pour visionner : http://www.france4.fr/studio-4-0/webseries/les-operateurs. Ou attendez une rediffusion sur France 4, la série passe régulièrement.