Focus sur Au service de la France

Le 14 novembre 2015 à 19:25  |  ~ 8 minutes de lecture
Pourquoi je n’ai pas aimé. Du tout

Focus sur Au service de la France

~ 8 minutes de lecture
Pourquoi je n’ai pas aimé. Du tout
Par nicknackpadiwak

Plus que jamais, cette critique et les avis émis n’engagent que moi et ne reflètent en aucun cas l’opinion des autres membres de Série-All.

 

Au service de la France est une série comique de douze épisodes de vingt-cinq minutes diffusée sur Arte, les jeudis soirs. Elle raconte le recrutement, dans les années 60, d’un jeune homme interprété par Hugo Becker au sein des services secrets français. André Merlaux, nouvel agent secret, va vivre des missions périlleuses telles l’élimination de terroristes dans l’Algérie colonisée, l’interception d’anciens nazis ou... faire tamponner un formulaire administratif.

C’est Jean-François Halin qui est à l’origine du projet et c’était pour moi une très bonne nouvelle. Car Jean-François Halin, c’est le meilleur des Guignols (1990 à 1996 avec Gaccio et Delepine, bref l’Âge d’Or) et le scénariste des deux OSS 117 de Hazanavicius. Donc beaucoup de respect pour la plume du personnage. Et comme en plus les parodies d’agent secret m’ont souvent éclaté (Austin Powers, Le Magnifique), tous les voyants étaient au vert.

Et pourtant, je n’ai pas aimé. Du tout.

 

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Regarde un peu la France. (Miossec)

 

J’avais adoré OSS 117 (surtout le premier opus), porté par un Jean Dujardin en forme olympique. Celui-ci incarnait Hubert Bonnisseur de la Bath alias OSS 117, un agent secret français prétentieux et crétin. C’était con (ah ça oui), frais et rempli de dialogues cultes. Et la force de ces films (le petit truc en plus) était que par l’intermédiaire de OSS 117, c’est la France de l’époque, mais surtout d’aujourd’hui (du moins celle de 2006) qui était égratignée pour son arrogance, sa bêtise, son paternalisme déplacé envers les (anciennes) colonies et son racisme. C’était extrêmement bien envoyé et drôle.

 

Pour illustrer la dénonciation de cette inculture, deux de mes dialogues cultes tiré de "Le Caire, nid d’espions" :

 

— Nous avons besoin de vous sur place. Un expert. J’ai besoin d’un spécialiste du monde arabo-musulman.

— Arabo...?

— Musulman.

Et

— Vous voyez ce groupe de musiciens folkloriques ?

— Traditionnel.

— Je ne sonnais pas le terme arabe.

 

C’était vraiment malin, subtil et bien joué. Sauf que le film a dix ans. Et aujourd’hui, cette France ne me fait plus rire.

En une décennie, elle n’a pas changé, n’a pas évolué. Elle semble même avoir régressé. Il y a comme une odeur de vieux fromage rassis, d’un pays qui a toujours du mal à s’ouvrir au monde et à la modernité, qui se cramponne à ses acquis, qui oublie les valeurs élémentaires de solidarité et qui refait surgir des valeurs rances que je pensais enterrées. Elle est toujours fière et sûre d’elle (à tort) et se laisse de plus en plus séduire par un nationalisme pas beau du tout.

Et je le reproche à la série : jouer sur la mise en abyme. À l’époque d’OSS, c’était réussi. Maintenant je trouve que c’est un problème, car le malaise social s’est aggravé et Au service de la France n’en tient jamais compte.

Et quand Jean Dujardin dit en interview : "OSS 117, c'est pas dans les papiers, parce que je ne suis pas bien sûr que l'humour d'OSS soit propice à l'époque que l'on traverse. Je parle en termes de cynisme, en termes de rire, je ne suis pas sûr que l'on ait les bons rires. Il y a un rire qui est un peu dégueulasse en ce moment. Je pense qu'il faut attendre que cette époque passe." Je m’avance peut-être, mais je pense qu’il pense un peu comme moi.

 

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Mon beauf. (Renaud)

 

Il n’y a rien de plus subjectif que l’humour. Non, sans déconner. Certains vont rire aux conneries d’Eric et Ramzy, d’autres ne jureront que par Woody Allen. Certains éliront Kev Adams le meilleur comique de France, tandis que d’autres se délecteront des sketches de Key & Peele. Au boulot, je fais des blagues, personne ne rigole. Bref c’est compliqué.

Au service de la France ne m’a jamais fait rire.

J’ai l’impression qu’elle se cherche beaucoup, n’a pas encore choisi sa voix, et tente un tas de différents styles d’humour, en se disant qu’en multipliant les lancées, il y aura bien quelques vannes qui toucheront la cible. Personnellement, tout est passé à côté.

Le comique de situation (l’interrogatoire des allemands plombé par un rythme soporifique), les grimaces (les deux qui gesticulent tandis qu’André répond au téléphone) le comique de répétition (le costume d’Hugo, « L’Algérie, c’est la France »), les dialogues pesants (les vrais-faux passeports). Autant d’échecs.

Et passer cinq minutes sur un standardiste, incapable de prononcer le pronom de dirigeant africain, ça ne me fait pas rire. Nope.

Car faire une série se passant dans le passé ne doit pas être synonyme de gags vieillots.

 

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(En fait, je vous mens depuis tout à l’heure, car un gag a fonctionné sur moi : le questionnaire pour démasquer les nazis qui m’a fait sourire. Mais c’est vraiment le seul.)

 

 

Le temps des colonies. (Michel Sardou)

 

Un des ressorts humoristiques, déjà présent dans OSS, est de se moquer des autres nationalités, cultures ou religions. On tacle les Arabes, les Noirs, les Juifs, les Allemands, les Danois, etc etc. Mais au deuxième degré. Bah oui, c’est plus facile. Ce n’est pas du racisme, mais une dénonciation du racisme. Et ça permet d’enfiler tous les préjugés existants, la conscience tranquille.

Oui, mais voilà, un film à sept millions d’entrées a utilisé (et épuisé) le concept : « Qu’est qu’on a fait au Bon Dieu ? ». Partant d’un postulat simpliste, pour ne pas dire simplet, à savoir « on est tous racistes, autant en rire », ce film a été jusqu’à l’harassement du procédé, jusqu’au ad nauseam, jusqu’au point de non retour, à une forme de no man’s land humoristique. Ces terres-là, ce style d’humour, sont désormais brûlés ; il était hasardeux d’y remette les pieds. Au service l’a fait et s’y est cassé les dents (et m’a cassé les noix).

En plus, ce genre de blagues racistes au second degré me gêne terriblement, car il banalise les stéréotypes et renforce le clivage entre communautés qui se regardent déjà en chien de faïence.

Puis cela ne me fait pas rire.

Pareil, profiter de la couverture de la dénonciation du sexisme de l’époque pour s’amuser à balancer le plus de répliques misogynes, je trouve ça facile (et pas drôle une nouvelle fois).

 

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Voilà, je pourrais enfoncer le clou en disant aussi que j’ai trouvé le rythme très mollasson, Hugo Becker très fade, le reste du casting sans éclat et l’écriture des personnages féminins peu inspirée. Mais je ne le ferai pas. Non. 

 

Au final, peut-être la série est innocente. Peut-être elle est arrivée au mauvais moment. Peut-être que c’est moi qui ai cristallisé mon désappointement face aux mentalités actuelles et que je la descends injustement. Peut être qu’en vrai, cette série est hilarante. Et subtile. Peut être que certains se sont pliés en quatre de rire en la regardant.

Mais je suis dubitatif.

 

J’ai aimé :

 

  • Ça ne dure que 25 minutes, ça aurait pu être pire.
  • Le gag du questionnaire pour démasquer les anciens nazis.

 

Je n’ai pas aimé :

 

  • Euh, je dois recommencer ?

 

Ma note : 7/10.

 

Liens des chansons :

 

Miossec : Regarde un peu la France.

Renaud : Mon Beauf.

Michel Sardou : Le temps des colonies. Euh pardon, erratum, c’est ici.

Bonus : un autre sketch de Key&Peele, parce qu'ils me font vraiment bidonner.

L'auteur

Commentaires

Avatar Gizmo
Gizmo
Merci pour cet article très intéressant, la série me tentait mais les premiers retours me refroidissent pas mal. J'avais espoir qu'on produise un OSS sur petit écran, mais apparemment on ne dépasse pas la "qualité française" actuelle. Sinon, je n'ai pas compris pourquoi tu parles de 1996 quand tu abordes "la France d'aujourd'hui". OSS117 étant sorti en 2008, je ne comprends pas quelle gymnastique de l'esprit t'a amené à cette date.

Avatar nicknackpadiwak
nicknackpadiwak
ah oui tu as raison, il est sorti en 2006, je me suis trompé d'un décennie. Merci, je vais rectifier cela.

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