Pour beaucoup, le générique d'une série TV est avant tout un objet technique destiné à présenter l'ensemble du casting et les différents producteurs affiliés à l’œuvre. Pourtant, une séquence d'ouverture se révèle bien plus complexe. Chris Biling, producer au sein de l'agence d'habillage TCG (Thomas Cobb Group) propose sa propre définition du générique : « Les génériques sont des entrées dans les œuvres qui associent des obligations de mention à une série d'images/sons qui donne au public une meilleure compréhension du monde qu'il pénètre. »  Peu importe la définition que l'on peut lui donner, le générique reste un élément fascinant qui permet entre autre de fidéliser le téléspectateur. Un objectif plus qu'utile pour que la série perdure sur le petit écran. Au fil des décennies, le générique n'a cessé d'évoluer. A la fois court et percutant, narratif et informatif, il a réussi à surprendre le public, devenant aujourd'hui un objet d'art analysé par de nombreux critiques et passionnés du genre. Exemple : Mission Impossible, Equalizer, The Sopranos ou encore CSI : Las Vegas et Mad Men...

Le célèbre générique français

Cette semaine, Serie-All  a choisi de se pencher sur le générique de Dallas, série crée en 1978. Qui n'a jamais fredonné les paroles de la très célèbre chanson composée par Jean Renard (Il signe entre autre le succès Que je t'aime pour Johnny Hallyday) et interprétée par Michel Salva....« Dallas, ton univers impitoyable ». Très souvent moqué en France, la séquence d'ouverture très rythmée du programme de David Jacobs constitue aujourd'hui une séquence culte. Toutefois, il est important de le souligner, le générique de Dallas reste une œuvre très classique. En effet, Éric Vérat, auteur de Génériques ! Les séries américaines décryptées nous rappelle que durant les années 70, le système des grands networks n'a jamais été aussi puissant et monopolistique. A l'époque, les trois grandes chaînes, ABC, CBS et NBC se partageaient 90% de l'audience. « L’hyper-concurrence semble marquer une trêve qui conduit à une perte créative (…) Le générique se transforme en un instrument de vente. Conséquence : on explique, on signifie, on délimite, on veut que le public comprenne dans les meilleurs délais à qui il a affaire et surtout devant son poste. » Néanmoins, pour nos yeux et moins pour nos oreilles, le générique de Dallas parvient à tirer son épingle du jeu en employant un procédé efficace :

L'hyperbole visuelle

La séquence d'ouverture de Dallas débute sur un travelling avant sur la ville. Après une brève série de plans rapprochés sur le quartier des affaires, le réalisateur utilise le split screen (un écran scindé en plusieurs parties) pour approfondir notre immersion au cœur de la cité texane. Le téléspectateur découvre ainsi tous les éléments qui constituent la puissance de cette ville : les puits de pétrole, l'élevage de bétail, les plaines immenses, le stade des Cowboys de Dallas, la famille Ewing et enfin Southfork, ranch familial, symbole de réussite sociale. La 3ème plus grande ville du Texas est un lieu prospère et David Jacobs tient à le souligner. La musique de Jean Renard renforce cette impression de toute puissance. La mélodie est percutante et s’appuie sur des instruments dominants comme les percussions, les cuivres et les chœurs. Enfin, les paroles sont plus qu'explicites : « Dallas, ton univers impitoyable. Dallas, glorifie la loi du plus fort. Dallas, et sous ton soleil implacable. Dallas, tu ne redoutes que la mort. »

Vous l'aurez compris, le générique est ici plus qu'informatif, il décrit l'atmosphère de la série mais aussi l'âme de certains de ses protagonistes. Je parle bien évidemment de J.R., figure emblématique du feuilleton. L'aîné du clan Ewing est un homme riche, redoutable en affaire et surtout impénétrable, à l'image de ces buildings présents dans la séquence d'ouverture. Il est impossible pour le téléspectateur de distinguer une silhouette à travers les vitres de ces gigantesques bâtiments. Cet univers si particulier n'est finalement qu'une vitrine exposée au monde. En effet, Dallas et ses infrastructures sont factices. Les grattes-ciel, le ranch des Ewings entouré de ces champs immenses ... On peut aisément dire qu'à Dallas, seule l'apparence compte. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le showrunner ne fait apparaître aucun de ses personnages à Southfork. Ici il n'est pas question de repas de famille, de promenade à cheval, de baisers romantiques. Mais alors, que se cache-il vraiment derrière ces richesses matérielles ? Le réalisateur nous fait partager à la fin du générique un élément intéressant. Les différentes images utilisées dans la séquence de présentation du casting dévoilent la fragilité des personnages. Aucun des protagonistes n’apparaît serein à l'écran. L’univers de Dallas n'est finalement pas si impénétrable que ça...

Le générique, une vitrine des valeurs américaines des années 80

Depuis des décennies, l'Amérique n'a cessé d'être un objet d'analyse pour les scénaristes. Le pays fascine, trouble, surprend mais déçoit également. Les séries TV de l'époque étaient en quelque sorte le reflet de la société. Ainsi, à travers le générique de Dallas, le créateur, David Jacobs revisite l’Amérique de Ronald Regan. A la fin des années 70, les citoyens américains voient ces valeurs remises en cause après le scandale des écoutes du Watergate sous la présidence de Richard Nixon et le traumatisme de la guerre de Vietnam. Rappelons également que la population subit une crise économique sans précédent après des années de croissance. Le choc est brutal et les américains cherchent un leader, un homme fort. La séquence d'ouverture du feuilleton offre alors tout d'abord le portrait d'une société capitaliste en pleine récession mais qui réussit néanmoins à se tenir debout, malgré les attaques du monde extérieur, à l'image de son "héros" principal, J.R. Ewing. Cet homme de pouvoir, solide, sans faille représente cette nouvelle amérique, l’Amérique de  Reagan dans les années 80.

On peut d'ailleurs facilement affirmer que J.R. Ewing est le grand frère de Ronald Reagan, un homme politique puissant à la morale douteuse. Durant ses deux mandats, le quarantième président des États-Unis a tenu à relancer l'économie de son pays en s'appuyant sur une politique libérale. Parfois avec succès. Certains historiens ont affirmé que les mesures imposées par l'ancien chef d’État n'ont fait qu'accentuer les inégalités. Ainsi, Dallas, ville prospère du Texas s'enrichit grâce à l'aide fictive de la famille Ewing. Les symboles de ce succès familial foisonnent dans ce générique : on retrouve le chapeau de cowboy, le drapeau du Texas, non celui des États-Unis, les diamants aux oreilles de Sue Ellen, le pétrole ou encore la famille unie (en apparence) rassemblée à Southfork. Le travelling avant sur le ranch, entouré de l'immense terre représente ici l'aboutissement d'un travail d'équipe. Les Ewing possèdent une entreprise prospère car le clan est uni. La mélodie de Jean Renard termine en empruntant un air triomphant. Fin. Écran noir.


Dallas possède sans doute le générique le plus célèbre des années 70-80. Sa composition, la typographie utilisée pour le titre, le montage dynamique ainsi que la musique ont contribué à son succès. En définitive, je reprendrai les mots de David Simon, créateur de The Wire pour souligner l'importance du générique : « Les génériques sont essentiels pour donner l'ambiance d'un programme, le présenter à de nouveaux téléspectateurs, en suggérer la thématique principale. Ils doivent être évocateurs, présenter une histoire sans la raconter, vendre la qualité des acteurs, de la photo, de l'écriture, le tout sans utiliser, ou presque ces éléments. »

Voici le générique diffusé aux Etats-Unis.

L'auteur

Charlene2