Tout d’abord, pas de spoiler dans cet article : vous pouvez le lire sans crainte de découvrir tous les rebondissements de la série. Ceci pour la simple et bonne raison que le propos ne se situe pas là. Le spectateur assiste à des images du conditionnement humain, donc, pas besoin d’avoir recours à des cliffhangers de fin d’épisode donnant envie de connaître la suite. Chaque épisode est indépendant, raconte une histoire, et peut être vu séparément.
Le topo est très simple, visible dans le générique : un homme des services secrets britannique présente sa démission. De retour chez lui, prêt à partir en vacances, il est kidnappé, et se retrouve dans un village, enclave situé au milieu de nulle part, commandé par le numéro deux. Notre homme est le numéro six, et bien évidemment, son seul but dans la vie va vite devenir de sortir de cette prison. Il va malheureusement constaté qu’une boule blanche, le rôdeur, empêche toute escapade, mais aussi, que le numéro deux veut absolument savoir pourquoi il a décidé de se désengager (rappelez-vous que nous sommes en pleine guerre froide… Il est parfois bon de se remettre dans le contexte). Bien sûr, le numéro six, qui crie haut et fort au milieu de la plage qu’il n’est pas un numéro mais un homme libre, ne l’entend pas de cette oreille, et ne voudra rien divulguer. Au grand dam des numéros deux, qui se succèdent à une vitesse effarante…
Je vous encourage fortement à vous procurer cette série de seulement dix-sept épisodes (achetez, téléchargez, faites-vous prêter, tuez, mais chopez-là). Certes, 1968, cela commence à dater, par rapport aux nouvelles séries, la qualité est à mille années lumières, mais n’exagérons rien, tout ceci reste regardable. Surtout par la touche psychédélique de la série, très marquée seventies, très pop. David Lynch explique que même pour un film d’époque, ce film est marqué par l’époque où il a été réalisé. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on retrouve aujourd’hui quelques touches de science fiction qui existe aujourd’hui (téléphone portable, porte automatique…), mais tout parait sorti tout droit des années soixante-dix. D’ailleurs, rien, dans chaque épisode, ne veut faire croire à un futur probable, il s’agit du présent du moment. Et Patrick McGoohan a excessivement la classe dans son costume noir.
Dès le premier épisode, le ton est donné : « Je ne veux pas me faire ficher, estampiller, classer ou numéroter » affirme le numéro six. Comment ne pas se replacer dans le contexte d’aujourd’hui, avec tous les réseaux qui existent (téléphone, internet, carte bleue, facebook…), qui nous traquent et veulent absolument tout savoir de nous, pour qui nous ne sommes que des numéros de sécurité sociale ?
De plus, pas facile de sortir du lot, le numéro deux exploitant toutes sortes de tortures mentales pour obtenir des informations. Toute cette société soi disant utopique n’est en réalité qu’un lavage de cerveau à l’ échelle d’un village pour mieux contrôler les esprits… D’ailleurs, il existe deux catégories de personnes : les gardiens et les prisonniers. Mais impossible de faire la différence… Dans ce cas, à qui le numéro six peut-il se fier ? Parfois même pas à lui-même…
Une chose que j’ai fortement apprécié la première fois que j’ai vu la série, c’est que le scénario n’est jamais redondant : le numéro six ne perd pas tout le temps ou ne gagne pas tout le temps. Ce n’est jamais le même ressort scénaristique qui intervient (du style un méchant a volé les bijoux, hop hop hop, on va l’arrêter), ici, l’intrigue change : une fois le numéro six se fait totalement avoir, parfois, il a tellement la classe qu’il embobine tout le monde. Et ça, c’est très très fort, puisqu’on ne sait jamais vraiment qui va réussir à tromper qui. Sans oublier les épisodes sans but apparent. Par contre je ne préfère pas parler d’un épisode (ou Patrick McGoohan est absent, et ça se voit) : il répond à des questions qu’on ne se pose même pas !
Si l’on prend les caractéristiques de chaque épisode, on a droit à un grand festival de manœuvres dans le but de détruire toute force mentale chez le numéro six : utilisation de femmes pour l’attendrir, utilisation de ses rêves, utilisation d’un sosie, utilisation d’un ordinateur qui apprend trois années de cours en trois seconde, et même une utilisation fabuleuse de son anniversaire avec un cadeau pour le moins surprenant ! Mais le numéro six ne se laisse pas faire, il va convaincre un numéro deux qu’il est en réalité un espion, remettre en cause le pouvoir, obtenir une entrevue avec le numéro un…
D’ailleurs, qui est-il ce numéro un ? Seule véritable suspense de la série, je vous laisse admirer la fin de la série pour obtenir la réponse. Une petite digression sur ce dernier épisode. Lors du premier passage sur la télévision anglaise, le standard de la chaîne a littéralement explosé du aux coups des fils des téléspectateurs qui espéraient une meilleure fin, bien plus mainstream.
Pour ma part, je pense qu’on ne pourra jamais faire mieux que ce chef d’œuvre déjanté (très seventies, l’ai-je déjà dit ?), et qui donne une nouvelle raison de revoir encore et encore la série, donnant implicitement une nouvelle vision de voir les choses… Prenons pour exemple l’épisode où sont organisées des élections au village. Des élections libres dans une dictature ?... Où comment mettre en place un parallèle avec la démocratie…
Le numéro six paraît esseulé, seul contre tous, tentant de deviner qui sont les amis des ennemis, s’entraînant sans relâche, mettant en place des stratagèmes qui ne fonctionnent pas pour la plupart… Du moins au début de la série. L’évolution intervient dès que le numéro six comprends que malgré tous ses efforts, il ne pourra jamais s’échapper. La seule alternative revient de s’attaquer directement à la source. Et il a bien du courage, car il passe pour un asocial la plupart du temps, preuve s’il en est que si on ne rentre pas dans le troupeau, la vie devient plus complexe, moins facile, surtout lorsque l’on voit les autres numéros qui ont craqué et ne deviennent que des sbires de l’oligarchie…
Pourtant, le numéro six n’abandonne pas, et tente même de donner l’envie de combattre aux autres, et notamment aux enfants dans un des derniers épisodes, un hommage surréaliste à la série des james bond !
Parlons rapidement de ces derniers épisodes : en réalité, à partir du quatorzième épisode, la seconde saison débute. Nous avons droit à des épisodes dont l’action se situe à l’extérieur du village. Assez déroutant au départ (surtout qu’il s’agit plus d’hommage à des genres, comme le western par exemple), je trouve qu’ils offrent un bon interlude au final. Car sous la pression des studios, et vu le temps que McGoohan prenait pour réaliser un épisode, les producteurs ont décidé d’arrêter les frais et ont demandé une fin. McGoohan, qui portait à bout de bras la série, écrivant sans relâche, réalisait quasiment tous les épisodes (ne me dites pas qu’il n’est pas inscrit au générique, il prenait des pseudonymes pour ne pas montrer qu’il contrôlait absolument tout), décide d’arrêter, écrit avec ses scénaristes en un week-end le dernier épisode, et met fin à Sa série.
Des idées un peu folle, des scénarios subversifs, une fin dantesque… Que demander de plus ? Quand vous (re)visionnerez un épisode, souvenez-vous qu’il existe toujours une part de réflexion derrière, mais n’oubliez pas de prendre du plaisir aux personnages, à l’ambiance, et surtout, admirez quelqu’un qui a la classe ultime, le numéro six