Attention : cette critique contient de bon gros spoilers bien gras et bien juteux.
Le voilà enfin, l'épisode qu'on attendait tant ! Après une pause de deux semaines tombée à pic, comme pour pousser notre patience dans ses derniers retranchements, nous pouvons enfin poser les yeux sur l'objet de notre fantasme, tandis que des sentiments contradictoires nous envahissent : à l'excitation répond l'appréhension, au désir ardent succède la plus vive anxiété. Car cet épisode est bel et bien celui qu'il ne fallait pas rater : attendu au tournant à la fois par les lecteurs, qui savaient ce qui s'y passe, et par les spectateurs vierges, qui sentaient bien que quelque chose se tramait (le buzz en amont de la diffusion et la désormais sacro-sainte tradition des épisodes 9 version parpaing dans la gueule ne pouvaient que les conforter dans cette position), The Rains of Castamere arrivait avec une pression énorme sur les épaules et le sentiment d'une mission à accomplir. D'autant plus que ses grands frères, Baelor et Blackwater, s'étaient acquitté de leur tâche avec les honneurs. Alors, une fois le générique de fin écoulé, est-ce le soulagement ou la déception qui prime ? Verdict.
We are family !
Faisons fi pour le moment de l'évènement majeur de fin d'épisode, et concentrons-nous sur l'ensemble des autres intrigues, qui valent franchement le coup d'oeil. La première chose qui saute aux yeux, c'est que pour une fois, l'épisode bénéficie presque d'une certaine unité thématique : en effet, durant ces cinquante minutes, on passe quasiment toujours d'un Stark à l'autre. Seuls Sam et Daenerys viennent nous rappeler que depuis deux saisons, les scénaristes de Game of Thrones n'arrivent pas à se défaire de ce tic agaçant qui les amène à vouloir tout traiter en même temps. D'autant plus que la scénette de Sam et de Gilly, en plus de couper le rythme du début de l'épisode, n'est pas franchement passionnante, et semble n'avoir qu'une portée fonctionnelle, afin de préparer le terrain pour le season finale. Daenerys s'en sort mieux, au travers de scènes aux accents volontairement too much (on a quand même droit à une séquence de beat'em all !), comme pour mieux marquer le contraste entre sa réussite insolente (à l'image de son nouveau chippendale) et la déchéance profonde des Stark.
3, 2, 1... FIGHT !
Et cette déchéance, Arya ne la subit que trop, elle qui pour une fois goûtait à l'espoir : la scène où elle aperçoit enfin les Jumeaux et semble presque ne pas vouloir y croire (à raison) est d'ailleurs très juste. A l'image de sa relation avec le Limier, qui constitue l'un des gros points forts de l'épisode : si elle pouvait apparaître un peu trop naïve dans l'épisode précédent, elle prend ici une profondeur et une ambivalence insoupçonnée, et cette interaction entre deux des personnages les plus « gris » de l'univers de Game of Thrones met vraiment en valeur l'évolution de notre perception à leur égard depuis le début de la série. Dans les premiers épisodes, Sandor ne nous apparaissait presque que comme une figure de violence, son premier acte de bravoure étant le meurtre de sang-froid du garçon boucher ; à l'inverse, Arya suscitait un attachement immédiat, en raison de sa fraîcheur et de son espièglerie. Aujourd'hui, les deux personnages sont face à face et entretiennent une dynamique de duo d'ailleurs très chère à l'oeuvre de George R. R. Martin : l'auteur, et la série après lui, abusent en effet de cette technique visant à associer deux personnages que tout semble opposer, et qui se révèlent peu à peu comme des figures complémentaires, voire comme des miroirs l'un pour l'autre (souvenez-vous de Jaime et Brienne). On retrouve la même logique pour Arya et Sandor : l'épisode nous montre bien que, malgré ce qu'on pouvait en penser auparavant, ces deux figures sont au final extrêmement semblables, toutes deux marquées par des blessures de jeunesse indélébiles et par une peur sourde, profondément ancrée en eux. Les deux personnages arrivent à lire l'un dans l'autre comme un livre ouvert, et leurs actions vont même jusqu'à s'articuler autour d'une étrange symétrie, chacun des deux passant par la violence et la pitié à un moment de l'épisode. Et, avouons-le, il y a vraiment quelque chose de captivant dans cette relation.
L'autre évolution fascinante, c'est celle de Bran, qui progresse cette semaine en binôme avec Jon (c'est très tendance, dans cet épisode, les Stark qui se frôlent sans se voir !). Si ce dernier voit sa storyline prendre brutalement une autre direction au travers d'une scène efficace et bien montée (avec une alternance des points de vue bien sentie, une Ygritte très touchante et des wargs en pagaille), c'est donc bel et bien Bran qui capte l'attention, et pas seulement parce que ses pouvoirs über fat cheat roxxor pgm sont enfin présentés dans leur juste dimension. Le personnage se révèle vraiment dans cet épisode, dans tout ce qu'il a de plus digne et de plus grave : ainsi, lorsqu'il voit Jon à travers les yeux de son loup, il ne semble pas s'en émouvoir, et son engouement semble totalement joué quand il l'annonce à Rickon, comme s'il avait définitivement abandonné tout espoir de retrouvailles au nom d'une quête supérieure, laissant ainsi voir une maturité et une grandeur qui forcent le respect. Et sa prise de décision finit de montrer qu'il y a encore des Stark à bord, malgré tout, des Stark sur lesquels il faudra certainement compter la saison prochaine (d'autant plus que les enjeux de l'arc de Bran semblent quand même assez énormes).
Frodon n'a plus le monopole de la "creepy orgasm face".
Raining blood !
Mais ne nous y trompons guère : les arcs « secondaires » de The Rains of Castamere ont beau être très aboutis pour la plupart, ce n'est pas eux qui inscriront l'épisode dans les annales de la série. Non, ce qui restera dans les mémoires, ce sont bel et bien ces dix dernières minutes de folie, qui retranscrivent un événement cultissime du livre, les Noces Pourpres. Et autant rompre le suspense dès maintenant : oui, cette séquence est une vraie réussite, et même un grand moment de télévision. En plus de redéfinir certains enjeux de la série de manière extrêmement brutale, la scène nous embarque dans une sorte de grand huit émotionnel, chaque mort majeure venant nous asséner des coups d'une violence rare, aux saveurs différentes : à la stupeur qui accompagne les premiers coups de dague dans le ventre de Talisa (cruauté extrême d'un Walder Frey qui « voit sous les vêtements »...) succède la consternation devant l'assassinat de Robb, puis une certaine forme de douleur avec le meurtre final de Catelyn, probablement le personnage du lot dont on se sentait le plus proche. C'est dur, sans concession et d'une brutalité sans limite, produisant un impact physique rare même sur le spectateur le plus avisé (comme votre humble serviteur !).
Et si cette scène fonctionne aussi bien, c'est en partie grâce à son traitement formel efficace : la progression vers l'inéluctable est savamment gérée, avec une distillation d'éléments de plus en plus inquiétants perçus du point de vue de Catelyn (et il faut l'avouer, les frissons sont au rendez-vous lorsque résonnent les premières notes des fameuses « Pluies de Castamere » !). La dramaturgie est donc totalement maîtrisée (même si la phase de glissement vers l'atrocité me semblait un poil plus subtile pour l'exécution de Ned), et soutenue en outre par un jeu d'acteurs de très haute volée : si les interprètes de Roose Bolton et Walder Frey incarnent à la perfection la jouissance malsaine, on retiendra surtout la performance de Michelle Fairley, qui parvient de manière remarquable à nous faire montre de toute la détresse de son personnage dans ses derniers instants (l'actrice aurait d'ailleurs mis une semaine à s'en remettre).
And so she cried, and so she cried, that Lady of Winterfell...
L'autre point intéressant dans la construction de cet épisode, c'est l'apparente volonté des scénaristes de soigner leur effet de surprise, qui semble avoir plutôt bien fonctionné sur les non-lecteurs au vu de leurs premières réactions (et ce malgré les considérations externes que nous évoquions en introduction). Tout est fait, en effet, pour tenter de lever les éventuels soupçons du spectateur envers des Frey à l'esprit revanchard : les tensions semblent sincèrement apaisées et les scènes de joie authentiques, Walder fait des petits signes de tête complices à Robb, le Silure fait rêver les ménagères, on en viendrait presque à se laisser embarquer par une insouciance assez insolite dans l'univers de Game of Thrones (et pour cause). Et si les scénaristes tentent là d'anesthésier le spectateur, c'est pour mieux le prendre au dépourvu et lui asséner un choc final d'autant plus retentissant. Or cette obsession de la surprise, si elle peut sembler anodine, apparaît en réalité comme particulièrement riche d'enseignements sur le format de la série, d'autant plus si on compare ce traitement des Noces Pourpres à celui du livre.
Sans rentrer dans une comparaison qualitative stérile, on peut tout de même remarquer que la scène ne relève pas tout à fait de la même note d'intention sur les deux supports, et ne s'inscrit pas dans la même dimension (l'attachement envers les personnages ne semble pas forcément à mettre en cause, Robb étant beaucoup moins présent dans le livre que dans la série et Catelyn nous tapant franchement sur les nerfs). Dans l'ouvrage original, la scène n'est pas seulement forte pour ce qu'elle apporte sur le plan de l'intrigue pure : on y assiste, à travers les yeux de Cat, à une montée progressive de l'horreur qui ne s'arrête jamais avant d'atteindre un point d'orgue insoutenable, renforcée en cela par le refrain entêtant et strident des violons qui lui non plus ne connaît pas de fin, et va même en s'amplifiant. On en arrive à un brouillage des sens, à une détresse inimaginable vécue de l'intérieur qui vire à la folie, à la défaillance irréversible de l'esprit humain ; à tel point que quand le poignard vient mordre la gorge de Catelyn, le lecteur le ressent presque comme une sorte de délivrance après avoir plongé dans les abysses les plus sombres d'un véritable cauchemar éveillé.
Cette dimension d'horreur pure, qu'on peut d'ailleurs retrouver dans d'autres chefs-d'oeuvres de la littérature (Hamlet ou Heart of Darkness, pour ne citer qu'eux), est absente de l'épisode. Et on atteint peut-être là les limites du format télévisuel, à savoir la difficulté à instiller de telles atmosphères quasiment hors du réel (même si on avait effleuré ce type de dimension lors de la mise à mort de Ned Stark, qui reste à ce jour la meilleure séquence de la série) : on reste finalement témoin de cette scène, et non partie intégrante. Et l'insistance des scénaristes à privilégier le choc frontal vient peut-être de leur incapacité à plonger dans cette dimension du cauchemar, dans toute son absurdité et son atrocité : au final, la douleur ressentie devant les Noces Pourpres version télé est une douleur contondante, et non insidieuse comme dans le livre, ce qui peut amener à s'interroger sur sa pérennité dans la sensibilité des spectateurs. Une fois digéré le choc, que restera-t-il des Noces Pourpres ? Seul l'avenir nous le dira.
C'est encore plus le foutoir qu'à la fin d'Hamlet, ici !
Mais quoi qu'il en soit, ne boudons pas notre plaisir : The Rains of Castamere est incontestablement un grand épisode, même s'il lui manque peut-être le grain de génie qui l'aurait propulsé dans une autre dimension. On y retrouve cependant une application exemplaire et un savoir-faire impressionnant, qui parviennent à rendre justice à l'évènement intense que sont les Noces Pourpres, lesquelles n'ont en tout cas rien perdu de leur caractère déchirant. Une très belle offrande, qui vient relever le niveau un peu décevant de cette saison, et qui s'imposera à coup sûr comme un épisode culte de la série.
Note : 18/20.
J'ai aimé :
- Les Noces Pourpres, un choc physique.
- Arya et Bran vraiment au top.
- La relative intégrité thématique de l'épisode.
J'ai moins aimé :
- Sam et Gilly qui se sont gourés d'épisode.
- Le fait d'en avoir peut-être attendu un peu trop.
Questions bonus : quelqu'un sait où est passé le Lard-Jon Omble (le gros barbu qui s'était fait chiquer deux doigts par Vent Gris) ?